Après l’accident nucléaire de Fukushima, des habitants ont décidé de rester vivre au nord de la région pour bâtir un futur dans la petite ville d’Iwaki. Mais la radioactivité n’a pas disparu et avec elle le risque de contamination de l’environnement, des aliments qui y poussent et des personnes. Pour s’en prémunir et se tenir informée des risques qui l’entoure, la population a fondé l’ONG Mother’s Radiation Lab : un laboratoire de recherche spécialisé dans la radioactivité qui a l’originalité d’être animé par des super-mamans… Nous avons eu la chance de les rencontrer.

Lors de notre récente enquête autour de la centrale nucléaire de Fukushima (permise grâce à Utip et Tipeee), nous avons transité par Iwaki, une ville située à 40km au nord de la centrale où une partie importante des victimes du drame ont décidé de refaire leur vie. Mais suite à la catastrophe nucléaire, de nombreuses familles ont développé une grande inquiétude sur les effets à long terme du nucléaire, notamment concernant l’alimentation offerte aux enfants, craintes loin d’être infondées pour ceux qui s’alimentent beaucoup de produits issus de la région.

Dans toute la région, ces sacs de terre radioactive. Crédit : Mr Japanization. Fukushima. Juin 2019.

Si les autorités officielles se montrent systématiquement rassurantes, il n’existait pas avant elles d’alternative libre et indépendante pour mesurer la radioactivité et ainsi pouvoir éventuellement mieux s’en protéger. C’est ainsi qu’est née en novembre 2011 l’ONG Mother’s Radiation Lab. Sa particularité : tous les membres qui composent l’organisation sont des mères de famille ! Celles-ci voulaient à l’origine s’assurer par elles-mêmes de la non-toxicité des aliments qu’elles donnaient à manger à leurs enfants, ainsi que de leur état de santé. Leur qualité de « mamans de Fukushima » deviendra un fondement de leur projet.

Crédit : Mr Japanization. Fukushima. Juin 2019.

Profitant de notre présence sur les lieux, Makiko, une journaliste qui nous accompagne et qui fait également office de guide professionnel dans la région sinistrée à destination des chercheurs et reporters, passe aujourd’hui un test de radioactivité et vérifie l’état de sa thyroïde. Le laboratoire de l’ONG est équipé de technologies derniers-cris financées par des dons venant du monde entier. Après plus de 20 allers-retours en zone contaminée, celle-ci craignait le pire. Heureusement – soulagement pour Makiko – rien à signaler pour l’instant. Mais ce n’est pas une raison pour prendre davantage de risques, estime le médecin qui l’ausculte.

« Lors d’un contrôle dans un hôpital spécialisé de Tokyo, j’ai été alarmée par le nombre de patients présents dans ce secteur de la santé. » explique-t-elle. « Les patients sont tellement nombreux que le temps d’attente pour un rendez-vous est très long ». Depuis quelques années, le nombre de cas de cancers de la thyroïde, en particulier chez les enfants de Fukushima, est en forte augmentation. Mais les autorités se veulent rassurantes une fois encore. L’augmentation des cas déclarés serait liée à l’augmentation conjointe des diagnostics suite à l’incident. Les médias japonais s’en font volontiers porte-voix : « il n’y a pas d’étude à ce jour démontrant que cette augmentation est liée à la radioactivité. » Manque d’évidences ou manque de recherches sur le sujet ? Makiko en est certaine : chaque nouveau voyage en zone radioactive est un risque supplémentaire pour sa santé. Et les citoyens côtoyant la région sont nombreux à partager ces inquiétudes pour leur famille.

Crédit : Mr Japanization. Fukushima. Juin 2019.
Crédit : Mr Japanization. Fukushima. Juin 2019.

Pour voir clair dans tout ça, l’ONG possède un laboratoire haut de gamme où des fruits, des légumes et autres produits de la région sont testés chaque jour, et ce encore 8 ans après. Des citoyens inquiets apportent également des choses parfois surprenantes comme des serviettes usagées ou des objets personnels suspectés d’être contaminés. On y contrôle également le taux de radioactivité de l’air, de l’eau et du sol (du sable prélevé dans la cour de l’école ou de la poussière collectée par les aspirateurs domestiques) ainsi que les urines de travailleurs sur le terrain. Enfin, une machine permet de détecter des traces de radioactivité dans le corps humain avec un rapport détaillé en quelques minutes. Les relevés sont ensuite publiés sur le site de l’ONG.

L’ONG publie chaque année ses relevés en ligne. Source.

Pour mener à bien ces mesures et offrir ces services gratuits, l’ONG peut compter sur des expertes dévouées ainsi qu’un docteur spécialisé. Devant-nous, Yuko* broie une salade de Fukushima dans un mixeur. La mixture sera placée dans un appareillage adapté importé d’Allemagne pouvant relever les niveaux de radioactivité. On le ressent pleinement en discutant avec ces travailleuses : le nucléaire, c’est une histoire d’amour-haine pour l’éternité. Leur travail ici ne tarit jamais avec parfois des « surprises » assez inquiétantes.

Crédit : Mr Japanization. Fukushima. Juin 2019.
Crédit : Mr Mondialisation. Fukushima. Juin 2019.
Crédit : Mr Mondialisation. Fukushima. Juin 2019.

« c’est la roulette russe permanente »

Si la plupart du temps les doses détectées dans l’alimentation sont acceptables, mais parfois, elles crèvent le plafond sans toujours pouvoir en déterminer la raison. « Dernièrement, nous avons trouvé de très fortes concentrations de strontium, un isotope radioactif particulièrement dangereux, dans du thé traditionnel vendu en magasin ! » nous explique Noriko Tanaka, une chercheuse du laboratoire, elle-même mère de famille. Elle l’avoue, au nom de la sécurité de ses enfants, tout ce qu’ils consomment passe nécessairement sous la loupe de la science. Pas question pour elle de boire de l’eau du robinet de la région. Le vrai problème, « c’est la roulette russe permanente » nous explique la chercheuse de Mother’s Radiation Lab. Si la plupart des produits sont effectivement sans risque, on peut tomber n’importe quand sur un aliment hautement contaminé qui passe entre les filets des contrôles officiels. On ne peut pas juste détourner le regard et faire prendre le risque à tout le monde, y compris les – déjà rares – enfants au Japon.

Ainsi, des parents commencent à se poser la question de l’avenir qu’ils vont léguer à leurs enfants. Pour répondre à ces inquiétudes, à coté du laboratoire, l’ONG a ouvert le 1er mai 2017 une clinique médicale à la disposition des habitants de la région pour assurer de façon pérenne les consultations, les examens de la thyroïde et du taux de radiation qui étaient réalisés de manière irrégulière jusque là. S’y ajoutent d’autres tests (sanguins, abdominaux, de la cataracte), la surveillance de l’état psychologique des enfants ainsi qu’un espace d’échange. Les données qui seront rassemblées sur des années permettront aussi de mieux comprendre les effets de la radioactivité à long terme.

https://www.instagram.com/p/Bw857p1jgd0/

En dépit de la lourdeur des sujets abordés, il règne ici une ambiance décontractée. La plupart des gens qui passent au laboratoire ont vécu de multiples chocs psychologiques et drames humains (le tsunami, le nucléaire, le deuil et le déplacement). Leur engagement et mission de vie est désormais de limiter les dégâts évitables de la radioactivité, ce poison invisible qui peut-être partout et nulle part à la fois, pour que les générations à venir puissent continuer de vivre à Iwaki ainsi que les régions contaminées où certains d’entre eux ont décidé de retourner vivre. Nous quittons donc cette équipe souriante l’esprit plein de questionnements, direction la centrale de Fukushima…

Crédit : Mr Japanization. Fukushima. Juin 2019.

Si vous souhaitez soutenir l’ONG Mother’s Radiation Lab vous pouvez envoyer un don via paypal en bas de cette page.

PS : Makiko est une journaliste indépendante japonaise spécialisée sur le sujet de Fukushima. Info et contact : https://jfjn.jp/contact/

*Yuko = Nom d’emprunt


Pour un média libre et indépendant sur le Japon, soutenez Poulpy sur Tipeee !