Depuis les années 2000 les animaux de compagnie ont le vent en poupe au Japon. Leur nombre a doublé en une quinzaine d’années entraînant le développement de tout un nouveau marché (nourriture, jouets, soins, vêtements, bien-être). Mais si des Japonais sont fous de leur animal, d’autres s’en lassent et les abandonnent dans des chenils d’où ils ont peu de chance de ressortir. Et suivant la courbe des adoptions, celle des abandons a dramatiquement explosé pour le plus grand malheur des animaux qui ont cessé de plaire. Enquête.

Ce n’est pas peu dire que les animaux familiers sont aimés au Japon. Tous les Japonais ou peu s’en faut connaissent l’histoire du chien fidèle Hachiko qui, dix ans durant, a attendu chaque soir son maître à la gare de Shibuya jusqu’à son dernier souffle. Le chat est aussi associé à une figure porte-bonheur à travers le maneki neko. Certaines stations de train, temples ou et parcs ont même un véritable chat comme mascotte. Dans les grandes villes où les logements sont petits, il est souvent impossible d’accueillir un animal de compagnie, quand ce n’est tout simplement pas interdit par le propriétaire. C’est dans ce contexte que se sont développés les bars à chats qui ont rencontré un immense succès au point de s’exporter aujourd’hui et de se décliner en d’autres « variantes » : bars à hiboux, à lapins, à serpents… Aujourd’hui, les amoureux des chiens peuvent en louer un à l’heure ou pour la journée et profiter de sa compagnie.

Depuis quelques années, certaines entreprises ont même décidé d’accueillir des chats, des chiens et même des chèvres (!) dans leurs locaux pour tenir compagnie aux travailleurs. Le but est d’instaurer un climat apaisant pour les salariés et réduire l’anxiété dans un pays où la pression au travail reste très forte. Candy, le chien de race bobtail adopté par l’entreprise Oracle Japan possède même ses propres comptes twitter et instagram ! Pas folle la guêpe…

Candy et les salariés qui le chouchoutent !

Source : instagram

Bref, tout semble aller bien dans le meilleur des mondes ! Mais à coté de ces tableaux attendrissants, on découvre une réalité un peu moins « kawaii » (mignon en japonais), celle de l’abandon massif des animaux. Si le nombre d’animaux de compagnie possédé par les Japonais a rapidement augmenté en 15 ans, celui des abandons a hélas fait de même. Car l’affection des Japonais pour les chats et les chiens n’a pas été exempte d’effet de mode temporaire. Comme dans d’autre pays, nombre de familles se lassent de leur animal ou rencontrent des difficultés pour les garder. Ainsi, dans les années 80, l’Archipel s’est entiché des huskies suite au film ‘Antartica’ mais ces grands chiens réclamant de grands espaces pour vivre et se dépenser ont été tout aussi rapidement abandonnés qu’ils avaient été plébiscités. Grâce au film « les 101 dalmatiens » de Disney, cette race de chien a également eu son heure de gloire, avant de retourner à l’indifférence. Aujourd’hui, les exemples ne manquent plus.

Actuellement ce sont les races de petits chiens qui ont la faveur des Japonais, car il est plus facile de s’en occuper. Mais cet engouement a entraîné des conditions d’élevage dramatiques pour soutenir la demande. Des professionnels de l’élevage tentent de faire naitre des chiens (caniches, teckels, chihuahuas) de plus en plus petits, ce qui n’est pas sans conséquence sur leur santé. Ainsi, les chiennes porteuses de ces élevages se retrouvent avec le bassin trop étroit pour mettre bas. Il faut leur pratiquer une césarienne pour faire naître les chiots. Ces « transformations » morphologiques contre nature pour satisfaire le goût du public inquiètent des associations japonaises de protection des animaux comme ARK (Animal Refuge Kansai). Une autre conséquence fait que les chiennes reproductrices, épuisées après des grossesses trop rapprochées, sont mises au rebut lorsqu’elles ne peuvent plus être utiles à la reproduction

Les neko cafés : bientôt passés de mode eux aussi ?

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ARK pointe l’implication des yakusas. La mafia japonaise, à l’affut de nouveaux business, aurait infiltré les élevages et animaleries par appât du gain, sans aucune considération pour les animaux. Il est d’ailleurs très difficile pour les associations de venir en aide à des animaux maltraités quand bien même la loi amendée en 2013 prévoit désormais la prison contre une personne maltraitant son animal. Car les procédures de contrôle laissent à désirer, si bien qu’une seule entreprise a été fermée au Japon, en 2015, pour maltraitance. D’autres suspendent leurs activités durant quelques semaines avant de revenir aux affaires. Ainsi, à titre d’exemple, il aura fallu cinq ans à ARK pour traduire en justice un éleveur qui laissait sa trentaine de teckels sans soins et quasi mourant de faim. Un long et coûteux combat pour que l’éleveur ne soit condamné qu’à une amende de 100 000 yen (environ 780€). Olivier, qui a fondé l’ARK voici 25 ans, déplore que les autorités n’agissent pas quand leur sont signalés des cas de maltraitance même appuyés de preuves. D’où l’importance d’associations comme la sienne qui veulent faire bouger les lignes. Une indifférence qui laisse songeur, alors que les Japonais sont globalement réputés pour aimer les animaux.

Les effets de mode inquiètent aussi les associations. Si les cafés à hérissons, à serpents et à hiboux ont du succès depuis quelques années, elles soulignent les conditions de vie stressantes pour ces animaux sauvages et craignent que cet intérêt ne s’estompe. D’ici deux-trois ans, ces animaux captifs risquent d’être massivement abandonnés dans les refuges, comme un vêtement qui aurait cessé de plaire. Olivier de l’ARK estime que l’engouement du public pour une race de chien ne dépasse pas deux ans. Telle leur garde-robe, les consommateurs veulent en changer de plus en plus vite. En ce sens, les associations font aussi de la sensibilisation et de l’éducation auprès du grand public. Elles incitent notamment les futurs propriétaires à ne pas acheter dans les animaleries mais à se rendre dans des refuges où des milliers de créatures innocentes attendent de retrouver un foyer…

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Il est d’autant plus vital de se tourner vers les refuges que ceux-ci sont aujourd’hui saturés, recevant plus de 200 animaux par jour au Japon. Au point où chaque année entre 82% et 88% des chiens et des chats qui y sont hébergés sont gazés (ce qui correspond à une fourchette de 100 000 à 300 000 animaux selon les sources officielles ou les associations) contre seulement 11% d’adoptés ! Ceux qui « restent » sont parfois revendus à des laboratoires où leur sort n’est guère enviable. En refuge, un animal n’a que trois à sept jours pour être sauvé par l’adoption avant que ne soit prise la décision de l’abattre ou de le vendre. Ces chiffres édifiants ont mené l’association Tokyo Zero à lancer en 2014 la campagne ‘No Kill’ quelques mois après l’amendement de la loi condamnant à la prison le propriétaire d’un animal reconnu coupable de maltraitance. Malheureusement, sans grand succès. Ici aussi, l’animal est devenu une marchandise comme une autre, dissolu dans le flot incessant des produits de consommation.

Cette modification ambitieuse de la loi, qui avait été promue avec le slogan « un chien pour la vie », avait l’objectif de responsabiliser les (futurs) propriétaires. Mais celle-ci va avoir un effet pervers inattendu, comme l’explique Julie Okamoto d’AKR : de par cette loi, les chiens condamnés par un cancer à un stade avancé dont ils souffrent ne peuvent plus être euthanasiés. En voulant protéger l’animal, la loi mal pensée crée involontairement de nouvelles conditions de maltraitance. Mais les associations ont bon espoir d’améliorer le droit des animaux en continuant d’informer le grand public. Et pour pallier aux abandons, elles veulent faire relever l’âge auquel on peut acheter un animal. Elles comptent aussi sur la mobilisation des vétérinaires encore trop peu nombreux (deux dans le Kanto !) pour stériliser les animaux.

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Concernant les chats, le Japon doit faire face à une autre problématique. Le pays compte 10 millions de chats, un chiffre parmi les plus importants au monde. Mais chaque année nombre d’entre eux sont jetés à la rue par leur propriétaire et deviennent soudainement des chats errants dont la survie est précaire. Entre 2004 et 2016, le nombre de chats admis en refuge a baissé de 70%, passant de 237 000 à 45 000, une différence qui correspond au fait que les propriétaires ne se donnent plus la peine d’emmener l’animal en refuge mais se contentent de l’abandonner dehors, surfant sur le mythe que les chats trouvent forcément de quoi survivre. À Tokyo, on peut parfois en douter, d’autant plus depuis la fermeture du marché aux poissons géant de Tsukiji.

En réaction, des campagnes de prévention ont été lancées. Telle celle réalisée à Ogaki par l’ONG Kitten Cafe Sanctuary en collaboration avec la compagnie ferroviaire Yoro Railway Co Ltd. Le 10 septembre 2017 un train a été affrété avec à son bord 30 chats et chatons sauvés de l’euthanasie. L’opération a été un succès, tous les billets ont été vendus en un temps record. Les organisateurs espèrent que cette expérience aura sensibilisé les gens à l’abandon des chats (et des autres animaux) et inciter à adopter des animaux errants ou dans les refuges plutôt qu’en animalerie. D’autres associations, parmi lesquelles Animal Walk Tokyo, organisent aussi régulièrement des évènements de sensibilisation, des visites de refuges, des foires d’adoption, des promenades.

Si Machiko Nakano, une volontaire d’ARK Tokyo, estime que le Japon a 100 ans de retard en matière de droit des animaux, les associations et leurs volontaires courageux refusent tout fatalisme et demeurent fermement engagés pour que les mentalités et la réalité changent dans le bon sens du terme.

(Les noms ont été changés pour protéger l’identité et la vie privée des témoins)

S. Barret