Il y a quelques temps, dans une galerie de Ginza, Poulpy – qui résiste difficilement à une œuvre qui lui tape dans l’œil – achetait une étrange toile peinte par une artiste anonyme qui se présente sous le pseudo Arimura. Désireux de mieux connaître l’auteure de ce tableau mystérieux riche en symboles traditionnels japonais, nous avons cherché à la rencontrer pour en savoir plus sur sa démarche intellectuelle. Elle a accepté notre invitation…

Arimura (蟻邑) de son nom d’artiste est née et a grandi Kyoto. Elle est sortie diplômée de l’Université en 2018 et travaille comme employée administrative dans une société japonaise classique. Une « salarywoman » dans la norme, mais pas exactement comme les autres… Car, si ses collègues l’ignorent peut-être, la jeune femme de 25 ans a de l’or dans les doigts. Travaillant comme « simple » employée, elle n’avait jamais songé à devenir artiste. Bien qu’elle dessinait depuis son plus jeune âge, elle nous avoue : « je n’avais pas confiance dans mon art ».

Mais heureusement, le déclic lui est finalement venu un jour en visitant une galerie d’art. Observer le travail des autres lui permit de réaliser pleinement que la peinture était le seul moyen d’exprimer « son monde imaginaire » comme elle aime le nommer. De là, elle s’est mise à croire en ses capacités artistiques et a décidé de tracer sa propre voie d’artiste, dans l’ombre de sa vie civile. Et dès ses premiers essais, la magie a opéré, avec un style bien particulier, une recherche du détail et une symbolique riche et recherchée qui devient rapidement sa marque de fabrique. On craque.

Sa toute première peinture fut un simple devoir universitaire qui l’a aidée à fixer son identité artistique. Les élèves devaient créer une œuvre qui rendrait hommage à un roman japonais de son choix. Arimura réalisa l’œuvre « Girl Hell » de Kyusaku Yumeno, une série d’histoires sordides mêlant meurtres, violences sexuelles et souffrances psychologiques subies par des jeunes femmes. Elle désirait représenter un univers spécifique à la culture japonaise et ses artefacts qu’elle affectionne tant. Ce fut la révélation qui allait guider ses œuvres suivantes. D’ailleurs, cette première œuvre est toujours sa préférée aujourd’hui.

En plus de motifs japonais qu’elle a continué à intégrer à ses œuvres, elle incorpore également des éléments religieux tels des tombes ou des sotoba, ces planches de bois qu’on peut apercevoir dans les cimetières japonais. On y inscrit le plus souvent le kaimyo, ce nouveau nom donné aux morts après le passage dans l’autre monde. Une démarche qui lui a permis de découvrir l’univers qu’elle désirait dessiner. Depuis lors, ses peintures suivantes ont continué d’explorer cette direction à la limite du morbide, mais toujours avec une grande sensibilité. Chaque œuvre semble porter un message spécifique dont l’interprétation est à la discrétion de chacun…

« J’ai peur de la mort, mais en même temps, elle m’attire. »

La première œuvre d’Arimura.

Ainsi, les toiles d’Arimura s’inspirent toujours de la vie et de la mort, du rapport entre ces mondes et de l’angoisse universelle qu’elle génère chez les humains. Le regard de ses sujets en témoigne. C’est son thème de prédilection et un univers qui la fascine. Une de ses dernières toiles se nomme justement « Le salut par la mort » ce qui n’a pas manqué d’ailleurs de nous inquiéter un instant… Quand on l’interroge sur cette fascination pour ce domaine assez obscur, elle nous répond sans détour :

« J’ai peur de la mort, mais en même temps, elle m’attire. Notre monde est dur à vivre. Il comprend beaucoup de choses tristes et douloureuses. C’est pourquoi je dessine avec le souhait qu’au moins après la mort, celles-ci disparaissent et je désire que la mort soit pacifique. » Mais qu’est-ce qui peut bien tourmenter l’esprit de la jeune artiste ? Peut-être que la lecture de Girl Hell (Kyusaku Yumeno) adapté au cinéma en 1977 pourra répondre à nos questions.

Probablement notre œuvre préférée.

Dans cette toile d’une femme éventrée par des reliques japonaises, transparaît nettement son attirance pour le sujet. Arimura préfère ne pas donner une explication claire sur sa signification, elle préfère que le spectateur y réfléchisse de lui-même et trouve sa propre réponse. Mais elle approuve cependant notre interprétation toute personnelle. Nous y voyons l’entrée éprouvante des femmes japonaises dans le monde adulte par la sexualité, souvent forcée, l’abandon violent et brutal de l’innocence, et l’éventuelle perte précoce d’un enfant. Nous y ressentons tout particulièrement le poids de l’oppression patriarcale des traditions japonaises sur les femmes.

Elle attire alors notre attention sur les poupées Kokeshi qui sortent de l’estomac de la femme. C’est d’ailleurs l’origine du mot Kokeshi qui lui a inspiré cette peinture. Beaucoup l’ignorent, mais les Kokeshi sont des poupées qui représentent – au moins dans l’imaginaire collectif – des bébés tués à la naissance dans des familles pauvres de la région du Tôhoku qui n’avaient pas les moyens de les nourrir. Si les sources historiques manquent, le mythe est bien vivant et alimente l’imaginaire des artistes.

Arimura aime utiliser ce type de symboles et mythes japonais dans ses œuvres pour exprimer discrètement ses sentiments, ce qui est devenu rare dans l’art japonais actuel, ultra-modernisé et épuré. On en trouve l’explication dans son enfance qu’elle nous relate :

« Mes grands-parents habitaient une maison japonaise traditionnelle et l’école maternelle que je fréquentais se trouvait dans les locaux d’un temple. De plus, il y avait un grand sanctuaire près de la maison et je m’y promenais souvent avec ma mère. À cause de cela peut-être, je me sens plus détendue quand je ressens les dieux et les bouddhas japonais. Voilà pourquoi je dessine des choses japonaises. »

Arimura explore également un rapport très particulier à la sexualité dans ses œuvres, mais nous n’osons pas nous étendre sur le sujet lors de cette première rencontre.

En ce qui concerne son futur artistique, Arimura compte continuer à explorer davantage son univers personnel pour s’efforcer d’en tirer des choses encore plus profondes, sans hésiter à aller bousculer un peu les rigidités culturelles japonaises. Car ses œuvres flirtent très souvent avec la transgression, ce qui n’est pas pour nous déplaire.

La jeune artiste expose ses œuvres en ce moment à Osaka et prévoit une seconde exposition à Tokyo au printemps 2021. D’ici là, elle espère avoir évolué et gagné en maturité, même si nous trouvons son œuvre et sa technique particulièrement aboutis pour son âge. Arimura nous confie également son rêve d’aller progresser à l’étranger, pour s’ouvrir à de nouveaux horizons conceptuels. Elle nous convie enfin, toutes et tous, à venir admirer son travail si l’occasion se présente.

Pour conclure, Arimura a tenu à envoyer un message à nos lecteurs francophones qui découvriront probablement son art :

« Comme je n’ai pas encore exposé d’œuvres à l’étranger, je suis heureuse qu’on m’offre une telle opportunité. Je pense que mes peintures ont un caractère japonais très fort, reflétant surtout cette atmosphère sombre et humide unique au Japon. Certaines personnes pourront se sentir mal à l’aise, effrayées ou inquiètes. Cependant, je suis née et j’ai grandi au Japon et je suis venue dans ce monde en me basant sur ce que je ressentais. Je serai heureuse si mes œuvres vous marquent quelle que soit l’émotion qu’elles susciteront en vous. »

Tous nos remerciements à Arimura pour cette interview intimiste. Et pour nos lecteurs désireux de suivre son travail, vous pouvez consulter son compte instagram.

Mr Japanization & S. Barret


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