Le 21 décembre dernier, les organisateurs des JO de Tokyo ont clôturé la campagne de recrutement des bénévoles. En trois mois environ, ce ne sont pas moins de 186 101 volontaires qui ont déposé leur candidature sur le site internet officiel. Alors que les responsables estimaient leur besoin à 80 000 personnes, ils ont reçu plus du double de demandes. À ce stade, ils peuvent être rassurés, tous les postes de travail seront pourvus. Et ce gratuitement qui plus est, puisque les bénévoles ne sont pas rémunérés ! Une situation qui interroge de plus en plus au vu de l’importance du budget d’un tel évènement mondial et des sponsors qui en tirent avantage, de Coca-Cola à Mcdonald’s. Certains n’hésitent pas à parler carrément d’exploitation au service de multinationales. Le point.

À chaque Olympiade on ne manque pas de louer ces petites mains de l’ombre, sans qui la machine bien huilée des Jeux Olympiques ne pourrait tourner aussi bien. Il s’agit bien sûr des bénévoles à qui reviennent une foule de tâches : aiguiller les athlètes, accueillir le public, guider dans les transports, interagir avec les médias, être en relation avec les comités olympiques… Ils se doivent de rester polis, serviables, aimables en toute occasion. Il est répété à l’envie que « Ces volontaires joueront un rôle très important pour la réussite des Jeux« . Un rôle très important donc mais pour lequel aucune rémunération n’est débloquée. Et ce n’est pas par manque de fonds, alors que le budget des JO de Tokyo atteint près de 18 milliards d’euros. Seul le coût du transport et les repas seront pris en charge pour ces volontaires de Tokyo 2020. Une aubaine pour les organisateurs alors que les bénévoles potentiels se pressent pour offrir leur temps le plus souvent sur leurs propres – et rares au Japon – congés.

A fortiori, les bénévoles n’analysent évidemment pas la situation sous cet angle. Pour ces citoyens « ordinaires », il s’agit d’une occasion unique d’approcher des grands sportifs, d’une chance et d’une fierté d’apporter sa contribution même minime à un évènement prestigieux d’envergure mondiale, de se faire des amis et éventuellement des contacts qui aideront sur le plan professionnel. Mais avant tout, il s’agit de communiquer l’esprit de partage, d’incarner l’hospitalité du pays receveur. Les motivations ne manquent pas.

Les organisateurs connaissent parfaitement ces motifs et n’hésitent pas, dans leur communication, à jouer sur la corde sensible du patriotisme et de l’altruisme pour attirer les candidatures. Une carte qui a fonctionné à plein pour les JO de Tokyo au vu du nombre de candidatures reçues, tant pour le comité d’organisation des JO (presque 200 000 demandes pour 80 000 postes) que pour les autorités de la ville qui recherchent 30 000 personnes et ont reçu 36 000 demandes. Les Japonais, connus pour leur sens de l’hospitalité « omanotashi », ont plus que jamais répondu présents. Depuis l’après guerre et les J.O. de Tokyo de 1964, l’archipel nippon entretient une véritable fascination pour cet évènement sportif.

Cette dévotion pratiquement aveugle justifie-elle pour autant une forme d’exploitation ? Pour Joel Maxcy, président de l’Association internationale des sports, économiste et professeur à l’Université Drexel à Philadelphie, on peut indiscutablement parler d’exploitation économique. Il compare les bénévoles à des ouvriers qui assemblent un produit alors que d’autres en retirent des profits. Sur le terrain olympique, les bénévoles font le travail, et derrière eux le fruit de leurs efforts est récolté par les sponsors, les chaînes de télévision diffusant les JO et le CIO. Les indemnités des autres acteurs de JO atteignent des sommes conséquentes : les membres du CIO touchent entre 400 et 800€ par jour plus le transport et l’hébergement dans les meilleurs hôtels, le président « bénévole » du CIO, Thomas Bach touche une allocation annuelle de 250 000 dollars. Entre 2013 et 2016 le CIO a généré 5,7 milliards de dollars de revenus (dont 90 % sont reversés aux fédérations sportives et aux comités olympiques nationaux selon les dires du CIO). La NBC paie 7,75 milliards de dollars pour les droits de diffusion de six Olympiades dès 2022 en prolongation d’un contrat de 4,38 milliards de dollars. Quant aux sponsors, l’impact est difficile à calculer. Une chose est certaine : les grandes marques américaines envahissent le Japon plus que jamais. L’investissement est rentable. Les moyens ne manquent donc pas pour payer les travailleurs, contrairement à la volonté d’un partage équitable.

La jeunesse en marche pour un monde meilleur…

Andy Schwarz, économiste du travail vivant en Californie, va même plus loin en affirmant que certains bénévoles seraient prêts à payer pour faire partie de l’aventure Olympique si l’honneur de participer devait finir par en valoir un coût financier. Le sentiment de prestige et l’idée d’accéder à un statut social particulier pousserait les individus à sacrifier leur temps mais aussi leur pouvoir économique en faveur de l’organisation. Si cela arrivait, les bornes du cynisme seraient atteintes.

Les données disponibles apportent cependant un éclairage particulier. Selon les statistiques, il apparaît que la plupart des bénévoles les plus âgés n’ont pas besoin d’argent. Deux tiers d’entre eux sont de nationalité japonaise et les femmes sont présentes à hauteur de deux tiers également. Les volontaires sont le plus souvent des gens qui ont du temps libre à consacrer à ce bénévolat, donc ayant une certaine aisance financière. Les personnes précaires n’envisagent pas de se porter candidates, elles ont d’autres priorités au quotidien, comme celle de travailler pour vivre.

Du coté du CIO, sans surprise, on défend fermement l’idée du bénévolat en se référant cinquante ans en arrière à l’époque où les athlètes alors amateurs n’étaient pas rémunérés. John Coates, membre du CIO, en appelle évidemment à « l’esprit des Jeux » et au prestige pour les bénévoles de participer à cette aventure pour laquelle « ils reçoivent une formation et un uniforme » d’autant plus que « personne ne les force à se présenter ». Une fois encore, tout réside dans la projection de l’évènement dans l’imaginaire collectif. C’est à dire, la capacité des J.O. à avoir construit un puissant sentiment positif pour ces individus, et ce même s’ils sont aujourd’hui complètement gangrenés par les logiques mercantiles, sans même évoquer un bilan carbone faramineux aux doux airs de suicide collectif.

John Coates met aussi en avant de la situation économique qui rend la présence de bénévoles gratuits indispensable. Pourtant, au vu des sommes énoncées plus haut on ne peut que s’interroger. Mary Robinson, ancienne présidente irlandaise qui a exercé les fonctions de Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, craint que le recours aux bénévoles lors d’évènement sportifs d’une telle ampleur ne nuise au marché du travail. Au lieu de donner l’opportunité à des gens qualifiés d’exercer leur emploi (et d’en générer) en gagnant honnêtement leur vie, les J.O. leur coupent l’herbe sous le pied en recrutant des bénévoles par dizaines de milliers. L’effet même des J.O. sur l’économie locale est remis partiellement en cause de ce simple fait.

Japan’s National Stadium en construction pour les J.O. 2020. Hiroshi HIYAMA

Une solution pourtant simple pourrait se trouver dans les propos de David Berri, économiste américain à la Southern Utah University, qui estime que les JO ont abusé du volontariat pendant des décennies et ce au profit d’une petite minorité et d’entreprises transnationales : que les organisateurs et officiels baissent leur confortable rémunération pour payer les bénévoles ou qu’ils travaillent gratuitement, tout comme eux. Dans ce cas précis, le bénévolat généralisé prendrait tout son sens. Pas sûr qu’il soit entendu des instances dirigeantes…

S. Barret


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Sources : japantimes.co.jp / francsjeux.com