Poulpy ne vous a jamais caché son ambition d’habiter une maison traditionnelle japonaise en bois. Il en existe de différents types, le plus connu étant sans doute la « machiya » (町屋 ou 町家). Il s’agit de la maison citadine des marchands & artisans dont l’origine remonte à l’époque Heian (794-1185). À Kyoto, capitale culturelle du pays, on trouve encore une grande concentration de ces maisons qui portent le nom de « Kyo-machiya ».

Si leur origine a plus de 1000 ans, c’est à l’époque Edo (1603-1868) que l’architecture des machiya est fixée telle qu’on peut toujours l’admirer de nos jours en se baladant dans le cœur de Kyoto. Toutefois, quasi aucune maison d’origine ne nous est parvenue de cette époque, les incendies, le climat humide pourrissant le bois ayant eu raison d’elles. Les plus anciennes encore debout ont été construites au début du XXème siècle, à l’époque Meiji (1868-1912), ce qui, au Japon, est déjà très ancien concernant des habitations privées. Les plus récentes datent elles des années 50 avant la promulgation de lois réglementant le bâtiment en particulier concernant le risque de séisme, ce qui va profondément changer le paysage urbain japonais. Particularité remarquable, les machiyas sont construites selon des techniques qui n’utilisent aucun clou pour assembler leur structure de bois !

町家 ---Traditional house in Kyoto---

Par souci d’homogénéité, toutes les machiyas d’un quartier présentent théoriquement un extérieur similaire en terme de hauteur, de couleur et de forme. Les machiyas font souvent partie d’un ensemble au sein d’un quartier, ce qui est logique vu qu’elles étaient à l’origine les lieux de vie et de travail des marchands et des artisans. Si la façade extérieure en treillis de bois n’est guère plus large que 6 mètres (pour des raisons fiscales remontant à l’époque Edo), cette apparence étroite cache une construction toute en longueur derrière la devanture kimusuko. Les salles, en enfilade, peuvent atteindre plusieurs dizaines de mètres de long ! Cette architecture a valu aux machiyas l’amusant surnom de « maison de l’anguille » (unagi no nedoko).

Comme il s’agissait de maisons de commerçants, l’intérieur d’une machiya est séparée en deux espaces distincts, progressant du public vers le privé : le premier, ouvert sur la rue, accueille la boutique puis un petit salon pour recevoir les clients importants. Le second, à l’arrière, sert de lieu de vie mais aussi d’atelier et d’entrepôt aux marchandises. Un petit jardin prend place tout au fond, une indispensable source de fraîcheur en été mais surtout de lumière, les murs latéraux ne pouvant être percés de fenêtres. Ces deux parties sont reliées par un couloir tori niwa en terre battue ou en mortier où la cuisine est installée. Les pièces sont recouvertes de tatamis et délimitées par des cloisons en papier et en bois shôji ou fusuma. Ces cloisons modulables permettent, au choix, de garder la chaleur ou d’aérer la pièce en les enlevant, ce qui est plus qu’appréciable lorsque l’on connaît l’humidité des étés étouffants à Kyoto.

町家

Kyoto Machiya

La ville de Kyoto reste attachée à ses machiyas formant un paysage urbain tout droit sorti des époques Edo ou Meiji qu’elle cherche désormais à préserver en tant que capitale culturelle. Malgré tout, on assiste à une lente disparition, le nombre de machiyas à Kyoto étant passé de 47 735 en 2008-2009 à 40 146 en 2016. Et la baisse continue… Des particuliers amoureux de ces maisons (et des traditions nippones) en font aussi l’acquisition pour y vivre. Des subventions octroyées par la ville les aident à les rénover, mais l’achat est souvent hors de prix. Quatre propriétaires ont accepté d’ouvrir les portes de leur machiya à l’occasion d’un documentaire qui leur est consacré :

Certaines machiyas sont rénovées en profondeur pour s’adapter à un niveau de confort moderne – surtout au niveau de la salle de bain et la cuisine – au point que seule l’architecture extérieure reste intouchée. L’intérieur ayant été, lui, complètement transformé. Une évolution qui leur permet de s’adapter à la manière de vivre de leurs habitants et de perdurer dans le monde moderne sans rester figées dans le temps. Les machiyas peuvent aussi être reconverties en café, restaurant ou guest-house qui ne manquent pas d’attirer les touristes en quête d’authenticité.

Hélas, si Poulpy affectionne les anciennes maisons japonaises, ce n’est pas le cas de nombre de Japonais contemporains. À Kyoto, les machiyas au cœur de la ville sont relativement préservées du fait de la volonté des autorités ou de particuliers de préserver l’allure traditionnelle de la « capitale des traditions », mais il n’en va pas de même dans le reste du pays. On assiste à un abandon massif de ces habitations pourtant pleines de charmes et témoins de l’histoire du pays. Comme nous l’avions mentionné dans notre article sur les logements vides au Japon, les Japonais n’aiment pas emménager dans les anciennes constructions mal isolées et peu préparées aux tremblements de terre. Il est courant, quand on hérite d’un tel bien, de le raser pour reconstruire une maison plus adaptée au mode de vie moderne et pourvue du confort dernier cri. Pour cause, beaucoup de « technologies » japonaises sont directement intégrées à la maison pour un maximum de confort dans un minimum de place. On pense notamment à la salle de bain, entièrement sur mesure, ou encore aux toilettes ultra-modernes. Un confort notable dont peu de jeunes japonais peuvent désormais se passer. Si le coût d’une maison ancienne est parfois négligeable, les travaux sont tellement conséquents que peu de famille peuvent y faire face. Par contre, une maison japonaise neuve bénéficie d’un prix très compétitif et sans risque.

Machiya houses, Kyoto

Exterior view of Starbucks Coffee Kyoto Ninenzaka Yasaka Chaya (スターバックスコーヒー 京都二寧坂ヤサカ茶屋店)

Comment ne pas avoir un serrement au cœur à voir ces anciennes maisons sacrifiées sur l’autel de la modernité et avec elles de constater la disparition d’anciens savoir-faire (artisans du bois, fabricants de tatamis,…). Mais l’espoir nous revient en voyant l’acharnement mis par certains pour les préserver. Poulpy espère secrètement en faire partie un jour prochain…

S. Barret


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Photographie d’entête : Miyagawacho Machiya