Toute personne fraîchement débarquée au Japon sera à même de remarquer à quel point les villes japonaises sont globalement propres. Par contre, on ignore volontiers que certains lieux se distinguent, eux, par leur pollution et la saleté. Outre certains quartiers populaires de Tokyo, la plupart des plages de la Mer intérieure du Japon sont recouvertes de déchets que les eaux dégorgent sans relâche. Une situation à laquelle s’est attaqué un groupe de lycéens de Kobe membres d’une association écologiste.

Depuis quatre ans, des lycéens japonais et étrangers, membres du club écologique de l’Académie canadienne, se rassemblent sur la plage de l’île de Shiraishi pour la débarrasser des déchets (principalement plastiques) qui la jonchent. Cette année, ils sont onze à s’être portés volontaires pour cette mission d’intérêt général et écologique. Par une triste ironie du sort qu’ils regrettent eux-mêmes, pour venir nettoyer cette plage ils ont dû faire la route en voiture et ont donc participé aussi à la pollution de la planète. Mais ils y viennent malgré tout, car personne ne nettoiera la plage à leur place, pas même les habitants de l’île ou les autorités…

Cette île n’est pas la seule au Japon à voir ses rivages pollués de déchets charriés par les courants marins et les rivières. Toutes les îles de la Mer Intérieure du Japon en font les frais. La responsabilité de cette catastrophe écologique n’est assumée par personne et indirectement tout le monde y participe un peu par son mode de vie. D’un côté, les habitants des îles accusent les pays voisins de jeter leurs ordures dans la mer qui les envoie sur leurs côtes. Certains rejettent la faute sur des citoyens peu scrupuleux qui jetteraient leurs ordures dans les rivières qui les amènent ensuite sur les rivages. D’autres voient le problème systémique, dans sa globalité, où tout le monde joue un rôle dans cette pollution. Quoi qu’il en soit, pendant que les gens s’accusent mutuellement, occultant bien souvent leur propre part de responsabilité, les plages et la mer continuent d’être souillées.

Images de l’édition 2017. Crédit : Stephen / Twitter

Par ailleurs, les pêcheurs qui travaillent la nuit n’hésitent pas à jeter à l’eau les ampoules usagées. Des bouées de pêche sont laissées à la mer et on en retrouve régulièrement des morceaux sur les plages. Les pêcheurs à la ligne ne ramassent le plus souvent pas leur fil de pêche, préférant le couper, ce qui amène des animaux à s’emmêler dedans et à mourir. Une pollution qui serait évitée si chacun avait un comportement responsable à la source. C’est pourquoi Anri, une membre de l’Eco Club âgée de 16 ans souhaiterait que le gouvernement se mette à punir les personnes qui laissent des ordures dans la nature puisque les campagnes de prévention semblent inefficaces à sensibiliser une partie de la population. Par ailleurs, le gouvernement a tout intérêt à agir : ces plages ultra-polluées commencent à se remarquer et entachent cette image édulcorée d’un Japon parfaitement « clean » …

Notons, par stricte honnêteté intellectuelle, que même si chaque citoyen adoptait un comportement modèle en jetant et triant strictement ses ordures, le combat serait loin d’être gagné. Il faudrait encore s’assurer que les déchets collectés soient correctement traités et ne terminent pas leur route dans une rivière ou l’océan. Qu’importe de mettre sa bouteille en plastique dans la « bonne » poubelle recyclage si elle atterrit finalement dans une décharge à ciel ouvert où le vent pourra l’emporter dans la nature. D’autant que la politique actuelle consiste toujours à exporter une large partie des déchets plastiques. On sait que chaque année, des bateaux transportant des conteneurs en perdent plusieurs centaines, causant une pollution incalculable et difficile à réparer. Et pourtant aucune mesure n’est prise pour ne pas limiter cette marche triomphante du « progrès » et du développement économique.

Agir en amont semble donc aujourd’hui indispensable, au niveau des processus industriels notamment, et des alternatives aux plastiques. C’est normalement la tâche de nos gouvernants d’agir pour imposer des pratiques écologiques aux entreprises et surveiller leur applications. Cependant, les mesures tardent à être mises en place, collusion entre les politiciens et puissants industriels oblige, alors que l’heure est déjà (trop) grave.

Faute de mieux, les citoyens ordinaires peuvent aussi agir de leur côté, en changeant leurs habitudes de consommation, en boycottant les produits polluants, sur-emballés et en militant politiquement pour la prise de décisions politiques écologiques (via des associations, le lobbying, la signature de pétitions). Malheureusement, au Japon, l’engagement politique est pratiquement inexistant, les grands partis conservateurs se perpétuant à l’infini sans réelle opposition un minimum radicale.

Si de plus en plus d’aliments affichent la mention « sans huile de palme » c’est en réponse à la mobilisation des citoyens informés sur les ravages de cette culture et qui ont courageusement délaissé les produits en contenant. Et pourtant, les rayons des supermarchés n’ont jamais été aussi plein de Nutella et de produits industriels similaires. Au royaume du konbini, c’est d’autant plus flagrant. Les multinationales sont encore vraiment très loin de plier à un quelconque boycott citoyen, en particulier au Japon où la grosse majorité des consommateurs ne se posent aucune question et sont invités à ne pas s’en poser à travers des médias silencieux sur ces questions, officiellement, pour éviter les conflits et maintenir la paix sociale.

La plage après nettoyage

Les étudiants qui sont allés nettoyer la plage de l’île de Shiraishi ont bien conscience qu’ils agissent contre un mal déjà fait et toujours en cours. Et malgré la nécessité de leur action, ce constat est frustrant. Chez certains, la prise de conscience est venue du club d’écologie de leur lycée. Car ce n’est pas un sujet couramment abordé chez les jeunes de leur âge. Mais devant l’urgence climatique et environnementale, ces jeunes gens aimeraient passer des actions ‘réactives’ aux actions ‘proactives’ et responsabiliser leurs concitoyens et réduire les quantités astronomiques de déchets produits au Japon plutôt que d’attendre un miracle du recyclage qui n’a donné aucun effet depuis 30 ans.

Pour cela, ils proposent plusieurs idées comme la sensibilisation dès le plus jeune âge des enfants (avec leurs parents) aux conséquences du gaspillage par le ramassage de déchets, une activité qui pourrait être mise en place directement par les écoles ou la mairie. Pourrait être envisagé également de rémunérer les gens qui collecteraient des déchets par un système de consigne. Les médias sociaux peuvent être mis à contribution pour propager à grande échelle la sensibilisation et la responsabilisation écologique. Vient enfin le point le plus vital : un changement des institutions qui fixent les règles du jeu économique. Sans attendre « le monde idéal de demain » et ses promesses (illusions ?) technologiques car le problème est déjà sous nos yeux. La jeune génération à qui sera légué le monde d’aujourd’hui en prend chaque jour un peu plus conscience, même dans l’archipel nippon qui semble parfois coupé du monde.

Images de l’édition 2017. Crédit : Stephen / Twitter

S. Barret


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