Depuis quelques jours, nous avons remarqué qu’une nouvelle marque d’eau en bouteille a fait son apparition au Japon dans les konbinis. Il s’agit de la marque Just Water, un concept venu des États-Unis inventé par Jaden Smith, le fils de l’acteur Will Smith alors âgé de 18 ans. À grand renfort de publicités, l’eau importée directement des USA tente de gagner le marché nippon en surfant sur les codes de l’écologie. Une innovation qui laisse Poulpy pour le moins perplexe… On vous explique pourquoi.

Depuis quelques temps, le tête de Will Smith est sur tous les écrans au Japon. En cause, la sortie du remake d’Aladdin. Le personnage bleu de la tête au pied n’a pas laissé indifférents les Japonais. Mais c’est un autre produit de consommation bleuté qui nous intéresse aujourd’hui. La fameuse bouteille « Juste de l’eau » (Just Water) inventée par le fils de l’acteur qui débarque en grandes pompes au Japon.

Lors de sa campagne de promotion, Jaden Smith leva le voile sur l’origine de cette fameuse eau. Il déclara que l’idée de concevoir une bouteille d’eau durable avait germé dans son esprit à l’âge de 11 ans : un jour, le jeune garçon était allé surfer et avait été saisi par la pollution plastique dans l’océan. Et ayant pris conscience des dangers de ce plastique fabriqué à base de pétrole, il souhaita développer une alternative aux bouteilles plastiques omniprésentes.

En 2015, sept ans plus tard, le rêve s’est concrétisé sous la forme d’une bouteille à la forme rectangulaire et au design épuré. La gamme se décline en plusieurs variantes, allant de « simplement de l’eau » (la bouteille bleue) à de l’eau parfumée à la menthe, à la cerise, au citron, à la mandarine et à la mûre, dont la bouteille reprend ingénieusement la couleur du fruit en question. Grâce au soutien actif de sa star de père, l’eau a très vite gagné du terrain sur le marché américain. Pour son arrivée sur le marché nippon, au début de l’été 2019, Will Smith en personne a publié une vidéo en direct depuis un konbini de Tokyo pour présenter cette eau aux japonais. Un clip qui fera quelques 450.000 vues !

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All together now ??????

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Sur le papier, les bouteilles de Just Water sont conçues à 82% de ressources renouvelables. Le corps de la bouteille est réalisé en papier cartonné issu de forêts certifiées responsables. Le goulot et le bouchon par contre sont faits d’un plastique végétal recyclable issu d’une canne à sucre importée du Brésil. Pour les parties non renouvelables, on compte 3% d’aluminium et 15% de film plastique traditionnel pour isoler l’eau de l’emballage. Toutes les bouteilles sont conditionnées dans la petite ville de Glens Falls, au nord de l’État de New-York, qui fournit également l’eau potable contre le paiement d’une taxe six fois plus élevée que la normale. Puis, le produit final est envoyé aux distributeurs de produits biologiques Whole Foods pour finir par rejoindre les rayons des magasins au prix de 99 cents, un coût inférieur à la concurrence. Officiellement, Juste Water propose une eau de source moins chère et plus écologique

Tous les éléments sont réunis pour un véritable conte de fées vert. On pourrait ainsi se dire que Just Water est un nouveau produit respectueux de l’environnement, comme nous en avons drastiquement besoin à l’échelle planétaire. Alors où est le problème ? Hélas, nous en observons plusieurs, et pas des moindres.

La mondialisation commerciale de l’eau : un non-sens fondamental

Le simple fait de retrouver ce produit américain au Japon est un premier non-sens écologique. Exporter des conteneurs de Just Water implique des coûts de transport en matière d’émissions de CO2 qui sont contre-écologiques par nature. On peut éventuellement considérer que les bouteilles Just Water peuvent présenter une alternative locale pertinente aux États-Unis, mais dès lors qu’on les exporte par avion ou conteneur maritime, on retombe immédiatement dans la problématique de la pollution – astronomique – liée au transport.

Un transport qui se répercute d’ailleurs sur le prix. De 99 cents, les bouteilles bondissent à 150 yens (1,40$). On pourrait alors se demander pourquoi cette augmentation n’est pas plus importante. À ce jour, l’externalité négative liée aux transports de longues distances ne se répercute toujours pas – ou très peu – sur le prix final des produits. De nombreux mécanismes structurels, dont l’accès à des carburants peu coûteux dans le domaine du fret de masse, permettent l’écoulement des produits de la mondialisation à moindres coûts, en défaveur de l’économie locale. On en vient ainsi à notre second non-sens…

Le Japon est un pays riche en eau douce

Le problème du non-sens écologique de l’importation de l’eau se couple à une spécificité japonaise. Le pays du Soleil-Levant n’a en effet nul besoin d’importer de l’eau, l’archipel étant naturellement riche en sources naturelles d’eau potable. Les Japonais entretiennent d’ailleurs une histoire profondément liée à l’accès abondant en eau sur leur territoire. On dit par exemple de Kyoto, l’ancienne capitale nippone, que sa richesse culturelle s’abreuve aux abondantes ressources aquifères de la région. La nappe phréatique sur laquelle Kyoto est érigée est si vaste que l’on dit parfois que cette ville fut construite sur une cruche géante. Mais la nature n’est pas la seule à fournir de l’eau potable à la population. Le Japon bénéficie d’un système de distribution hydraulique parmi les meilleurs du monde, avec une eau potable au robinet des citoyens d’une qualité irréprochable (voir ce rapport sur l’eau potable au Japon). L’eau est d’ailleurs gratuite dans l’ensemble des restaurants du Japon. De ce constat désaltérant, quel est l’intérêt de faire venir de l’eau depuis l’autre bout du monde, si ce n’est commercial ? Les éco-bénéfices réalisés lors de la fabrication de la bouteille (-74% d’émission de CO2 en comparaison avec du PET standard) s’en trouvent largement rabotés.

L’image du jeune Smith est mise en avant pour promouvoir l’eau américaine.

De l’écologie très peu profonde

Nous en venons inévitablement à nous questionner sur les matières de la bouteille elles-mêmes. On peut certes saluer l’utilisation de carton pour créer le contenant à la manière des briques de jus de fruit ou de lait. En cela, les bouteilles de Just Water s’avèrent effectivement plus écologiques à produire que leurs homologues en plastique, matière dont on ne présente plus les dégâts environnementaux. Mais si le carton est effectivement recyclable, encore faut-il s’assurer qu’il sera effectivement recyclé ! On touche ici à une confusion qui existe souvent en la matière : ce qui est recyclable n’est pas nécessairement recyclé.

Par ailleurs, recyclable n’est pas biodégradable, l’objet pouvant donc finir à son tour dans l’environnement sans possibilité de disparaître. À ce titre, le PET utilisé dans les bouteilles classiques (polytéréphtalate d’éthylène) est réputé pour sa grande recyclabilité. Là aussi, le souci du PET réside dans le fait que le recyclage fait défaut. L’un comme l’autre sont sur un pied d’égalité face au recyclage. À ce titre, nous avons déjà témoigné sur l’épineuse question du recyclage au Japon où les usines de traitement sont beaucoup trop peu nombreuses. Depuis l’arrêt de l’exportation du PET vers la Chine, les décharges japonaises débordent…

De plus, contrairement au PET – qui n’en est pas moins problématique – la bouteille du jeune Smith contient en plus des éléments non-recyclables, à savoir le film interne en aluminium et en plastique. Certes, la canne à sucre est un matériau renouvelable mais le plastique qui en est issu n’est pas biodégradable. Laisser penser le contraire au consommateur s’apparente à une forme de greenwashing. Par ailleurs, ce goulot n’est pas conçu pour être détachable facilement du corps de la bouteille, pas plus que l’aluminium. Dans quelle poubelle doit-on alors s’en débarrasser ? Celle réservée au plastique ? ou au papier ? À part découper la bouteille en petits morceaux, ce que personne ne fait, le caractère recyclable de la bouteille semble tomber à l’eau. Faute de système industriel complexe de séparation des matériaux, la plupart des contenants de ce type sont simplement incinérés, contrairement au PET.

En résumé, il y a un risque important pour que les bouteilles Just Water vendues au Japon ne soient tout simplement jamais recyclées… Il conviendra de mener l’enquête à ce sujet sur le plus long terme afin de le confirmer.

Comment résister à ce sourire. Crédit : PRNewsfoto/JUST Water

De l’urgence de penser « holistique »

L’approche holistique consiste à considérer les problématiques comme une somme de composantes indivisibles. Pour qu’un produit soit réellement écologique, il convient donc d’inclure dans la réflexion industrielle chacune des externalités générées par la production de ce produit jusqu’à son utilisation et sa destruction (ou réutilisation). Seul le bilan global de la vie d’un objet devrait compter. Une approche que peinent à prendre en considération les industriels, car trop complexe et coûteuse. Il est beaucoup plus rentable, dans le prisme capitaliste classique, de créer un produit qui a des apparences écologiques, au moins assez pour gagner une part profitable du marché. Just Water semble malheureusement rentrer dans cette catégorie, au moins sur le marché japonais.

En conclusion, malgré des promesses alléchantes, force est de constater que « l’innovation » Just Water s’avère décevante, voire malhonnête. On ne doutera pas des bonnes intentions affichées par la famille Smith (qui par ailleurs traite l’eau polluée de Glens Falls et l’offre aux habitants locaux) mais Just Water se heurte aux réalités de la pollution et des limites structurelles du recyclage au même titre que ses homologues 100% plastique. Alors, vu que le meilleur déchet est celui qu’on ne fabrique pas, pour faire un geste vraiment éco-responsable, il suffit de limiter ses achats d’eau en bouteille sous toutes ses formes (à plus forte raison si elle vient du bout du monde) pour privilégier l’eau de source locale, surtout si, comme au Japon, nous avons la chance d’en bénéficier en quantité et en qualité.

Mr Japanization / S. Barret


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