Le « Tsubomi café », c’est un autobus transformé en café où des jeunes filles en situation de détresse peuvent trouver refuge, écoute et sécurité. Hélas, un groupe de politiciens venus officiellement en soutien ont été les acteurs de comportements sexistes. L’un d’eux s’est même rendu coupable d’un attouchement pour le moins douteux sur une des jeunes filles. Des attitudes toxiques dénoncées par l’association gérant ce bus où les jeunes filles s’y réfugiant cherchent justement à s’en protéger.

Tout commence par un bus rose…

Grand bus rose décoré d’une image de jeune fille à la coiffure de fleur, le « Tsubomi Cafe » est un autobus converti en café mobile qui ne passe pas inaperçu dans la capitale ! Dirigé par « Colabo » – un organisme qui vient en aide aux adolescentes en difficulté – le véhicule rose se gare chaque mercredi soir entre 18h et 20h dans les zones de nécessité, alternant entre Shinjuku et Shibuya. Deux quartiers très animés de Tokyo, en particulier la nuit…

En effet, la clientèle principale de ce café sont des adolescentes qui ne parviennent pas à retourner chez elles pour diverses raisons (pauvreté, abus, isolement, dernier train manqué, fugue, etc.). En attendant le lendemain, ces filles arpentent les rues de ces quartiers et se retrouvent alors exposées au risque de l’exploitation sexuelle. En effet, en plus de potentiels prédateurs sexuels, des rabatteurs rôdent dans ces lieux populaires avec pour mission de leurrer de jeunes femmes pour les attirer dans le « JK Business », une industrie où des entreprises proposent à une clientèle masculine divers services offerts par des lycéennes allant de la réflexologie (massage thérapeutique) aux pseudo-promenades amoureuses (l’abréviation JK fait référence à « Joshi Kosei » qui veut dire lycéenne). Des appellations qui cachent surtout de la prostitution camouflée officiellement interdite. On trouve ainsi variété de profils de jeunes filles et femmes ayant parfois besoin d’un refuge d’urgence pour fuir une situation critique.

La fondatrice de « Colabo », Yumeno Nito, a créé le café ambulant en 2018 avec l’espoir d’offrir un refuge temporaire à ces jeunes filles où elles se sentiraient en sécurité et en confiance d’interagir avec des adultes bienveillants qui veulent réellement les aider. Au « Tsubomi Cafe », une large gamme de services gratuits est mise à la disposition des jeunes filles qui peuvent venir utiliser le wifi, charger leurs téléphones portables, manger un repas en bonne compagnie, obtenir des conseils juridiques ou du soutien psychologique. Elles peuvent également recevoir gratuitement divers produits comme des vêtements, des brosses à dents et même des préservatifs. Surtout, elles se trouvent en sécurité pour quelques heures et peuvent être redirigées par Colabo vers des refuges de nuit temporaire ou à long terme.

Le bus du « Tsubomi cafe ». Source : instagram

Une drôle de visite politique…

Le 21 avril dernier, les responsables de « Colabo » ont été contactés par des membres du Parti libéral-démocrate (LPD), le parti de l’actuel Premier Ministre Shinzō Abe, pour une demande de visite officielle du « Tsubomi Cafe ». Dans le contexte de crise actuel lié à la propagation du COVID-19, cette demande fut acceptée avec l’espoir de pouvoir sensibiliser les politiciens sur les problèmes de pauvreté et d’exploitation sexuelle que vivent de nombreuses adolescentes au Japon.

En acceptant la visite, les responsables de « Colabo » ont néanmoins émis la requête de recevoir un maximum de 5 visiteurs, notamment en raison de l’étroitesse des lieux et des restrictions liées à l’état d’urgence en place à Tokyo. Or, le jour suivant, c’est une délégation d’une quinzaine de membres de la classe politique, pour la plupart des hommes, qui s’est présentée pour visiter le Tsubomi Cafe. La suite des évènements et plus précisément, les comportements des politiciens, ont déclenché une vague de vives critiques sur les réseaux sociaux japonais tels que Twitter.

https://twitter.com/colabo_yumeno/status/1258960489322647552

 

Dans une lettre de protestation écrite par Mme Nito et publiée le 24 avril dernier, l’organisme déplore les comportements et les propos problématiques tenus par les politiciens lors de leur visite et leur demande des excuses écrites. Plus précisément, l’ancien ministre de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie, Hiroshi Hase, est accusé de harcèlement sexuel envers une adolescente présente lors de ces incidents. Selon le document, M. Hase aurait posé ses deux mains sur la taille d’une jeune fille. Celle-ci a nécessairement pris peur et s’est retirée rapidement pour confier plus tard son histoire aux bénévoles. La victime, qui vit avec des traumatismes antérieurs liés à des violences sexuelles, leur a partagé avoir passé un moment très difficile qui l’a affectée par la suite (perte d’appétit, peurs, etc.), d’autant plus que l’incident s’est produit dans un endroit qu’elle considérait comme sécuritaire.

Mais cet attouchement étrange, dont on ne connaît le but, s’inscrit dans un contexte sexiste plus général de cette visite. On reproche également aux politiciens une attitude intimidante, des propos sexistes et un manque de respect à l’égard des activités de l’organisme. Par exemple, les visiteurs du LPD ont pris des photos ainsi que des vidéos sans demander d’autorisation préalable, pour ensuite les partager sur Twitter afin de montrer leur « implication bénévole » aux électeurs. Or, des adolescentes présentes ce jour là ont fui des abus et ne voulaient pas faire connaître l’endroit où elles trouvent refuge. De plus, les bénévoles de « Colabo » déplorent l’attitude condescendante et sexiste dont M. Hase a fait preuve lorsqu’il empêcha une adolescente de transporter des objets jugés trop lourds prétextant que c’est parce que « c’est une fille ».

Le Tsubomi cafe offre des repas chauds. Source : instagram

À ce sujet, la fondatrice de « Colabo » a commenté que tous les acteurs de son organisme se partagent le travail de manière égale et qu’elle a estimé que M. Hase regardait de haut les femmes en sous-estimant leur force et en leur imposant une protection inutile. Elle aimerait qu’il réfléchisse sur l’aspect problématique de cette attitude d’un autre temps envers les femmes. En effet, les membres de « Colabo » considèrent que le groupe de politiciens a montré un important manque d’empathie en ne réalisant pas l’impact de leurs comportements perçus comme offensants dans un lieu qui vise à être un refuge de confiance pour les adolescentes en difficulté. L’organisme espère que les politiciens prendront le recul nécessaire pour réfléchir davantage sur les conséquences de leurs actes. Mais cette demande semble bien désuète tant le sexisme est profondément ancré dans les mœurs japonaises. Rappelons que depuis trois ans, la journaliste Shiori Ito accuse un proche de Shinzo Abe de l’avoir droguée et violée. Une affaire entachée de zones d’ombres tant l’accusé semble avoir été systématiquement protégé.

À ce jour, les responsables de « Colabo » sont toujours en attente d’excuses officielles écrites leur étant directement adressées et plus précisément que les politiciens reconnaissent le côté problématique de leurs gestes et l’accusation de harcèlement sexuel. Comme le mentionne la professeure Tanaka de l’Université des femmes de Otsuma, les politiciens concernés ne semblent visiblement pas comprendre pourquoi Mme Nito et ses collègues de Collabo sont en colère. Ils ont voulu apporter leur soutien à ces jeunes filles en détresse mais ont plutôt fait le contraire en venant bousculer le cours des activités du « Tsubomi Cafe ».

De leur côté, les membres de  « Colabo » continueront non seulement leur travail sur le terrain auprès des adolescentes en détresse mais également leur travail de sensibilisation de la population sur la réalité, les défis et les dangers que vivent ces jeunes filles à travers leurs conférences et leurs visites guidées éducatives de la vie nocturne à Tokyo.

Sources : asahi.com / jcp.or.jp / colabo-official.net / japantimes.co.jp (1 & 2) / theguardian.com


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