L’été approche timidement et une clientèle bien particulière va bientôt affluer aux portes du fameux fastfood américain… Pourquoi les McDonald’s japonais sont-ils autant fréquentés par les personnes du troisièmes âge ? Une tribune signée Laurent Ibanez, dans un théâtre inattendu de la vie, publiée sur Mr Japanization.

Cette histoire est déjà assez ancienne. Il y a deux ans de cela, j’avais la chance de passer plusieurs mois à Tokyo pour apprendre le japonais.

La plus grande partie de mes journées se déroulait donc à la bibliothèque où l’apprentissage de cette langue nouvelle mettait clairement en exergue les limites de mon intellect.

Jusqu’au jour où cette si pratique bibliothèque ferma pour travaux… J’avais choisi un logement en raison de sa proximité géographique avec ce noble établissement et je me voyais alors jeté à la rue après deux semaines à peine d’apprentissage intensif.

Les remplaçants n’étaient pas légion dans le quartier et prendre le train chaque jour était hors de question. La mort dans l’âme, mon dévolu s’arrêtait sur le Macdonald’s situé derrière l’appartement.

Armé d’un café à 100 yens et de solides écouteurs vissés au oreilles, je passais désormais dans ce temple de la restauration rapide au moins cinq heures par jour.

Les avantages de la routine

Il semble que désormais le mot routine soit devenu un terme presque péjoratif. C’est lui faire ce me semble un bien mauvais procès.

La routine permet d’avoir accès à bien des choses et c’est justement grâce à elle qu’il est possible de vous raconter cette histoire.

Vous l’avez compris, ce Macdo était devenu une deuxième maison pour moi et très vite j’y pris quelques habitudes. J’avais une table de prédilection, un éternel café, les membres du staff même avaient fini par s’habituer à ce client étonnamment redondant.

Entre deux exercices de japonais, il m’arrivait de lever la tête et de contempler le monde qui m’entourait alors. Si tout était déjà évident, je ne remarquais rien d’étonnant dans ce lieu impersonnel à l’extrême.

Ce n’est qu’après deux semaines que je commençais enfin à remarquer certaines choses inhabituelles au niveau de la clientèle.

Selon Mcdo, le 3me age peut aussi se trouver de l’autre côté du comptoir. Photo : Laurent Ibanez

Papi, Mamie vous faites quoi aujourd’hui ?

Ils étaient là depuis le premier jour, mais je n’y avais pas prêté attention. Pourtant à mesure que le temps passe, on s’habitue aux gens, à ces inconnus des premiers jours vous deviennent presque familiers. Si l’on ignore leurs noms, il devient cependant facile de se souvenir de leurs visages, attitudes et habitudes.

De plus en plus sensible à la question, j’examinais alors le restaurant avec chaque jour plus de minutie et remarquais que la grande majorité des clients étaient des personnes âgées. J’attendais quelques jours pour en être sûr et cela devint soudainement évident.

Comment n’avais-je pu les remarquer dès la première semaine ?

Le cercle des anciens du Mcdo

Il faut bien comprendre que je ne parle pas ici de simples personnes âgées allant au Macdonald mais d’une catégorie bien particulière de personnes dont l’âge seul ne peut suffire à les définir.

Il y avait donc plusieurs autres critères assez évident à distinguer :

Le temps passé dans les lieux : Un client lambda (quelque soit son âge) passe commande et ne reste en général guère plus d’une vingtaine de minutes dans les lieux puis reprend le cour de ses activités. C’est tout le principe de la restauration rapide.

Ici, le temps reste une donnée importante mais plutôt dans l’autre sens. Malgré le temps que j’y passais à étudier, ces papis et mamies étaient là avant moi et il était rare qu’ils quittent les lieux les premiers…

Le contenu de leur plateau repas : dans la très grande majorité des cas, ils se contentent d’un simple café. Un café lui aussi éternel. Quelque soit le choix effectué, son prix est toujours le même : 100 yens symbolique.

Cet achat sera unique pour la période passée dans le restaurant. Et ce n’est pas anodin.

Fameux café à 100 yens. Photo : Laurent Ibanez

Des clients solitaires : Souvent, ils viennent seuls, plus rarement à deux. Il n’est donc pas rare de les voir seuls à leur table avec unique compagnon leur plateau repas sur lequel repose un café fumant.

Hormis l’âge, nous nous ressemblions beaucoup.

Pauvreté chez les seniors au Japon

Je fis cette première expérience en plein hiver et cet élément est important pour mieux comprendre ce phénomène. Ceux qui vivent ou ont déjà vécu au Japon savent à quel point l’électricité est chère ici (et la situation ne vas pas en s’arrangeant).

Il était évident que la raison première de leur présence était une certaine pauvreté commune. Au moins chez Mcdo, on est au chaud, plus besoin de payer le chauffage à la maison. Si on prend un café à 100 yens, on reste le temps qu’on veut sans risque qu’on nous mette à la porte (ce qui n’est pas le cas d’autres établissements). 100 yens par jour, c’est largement moins qu’un mois d’électricité pour se chauffer au Japon.

Dans l’archipel, les personnes de 65 ans et plus représentent plus de la moitié des ménages du pays vivant de l’aide sociale. La question des personnes âgées en situation précaire est quelque chose de très développé au Japon, induisant parfois des phénomènes nouveaux (criminalité grise) ou tout simplement le surpeuplement des Macdonald’s en hivers. Quand Mcdo joue finalement le rôle imprévu d’une soupape sociale, on comprend à quel point le problème est profond ici…

La question s’est répétée de la même manière cet été, le lieu étant climatisé, il était facile de repérer à nouveau ceux qui venait passer du temps au frais à moindre coût.

Le reste de l’année (printemps et automne), ils sont un peu moins nombreux, mais il semble que désormais certains aient pris leurs habitudes toute l’année chez Mr M.

Lutter contre la solitude

Il existe un autre problème sociale au Japon : celui de la solitude des seniors. D’ailleurs 90% des personnes âgées touchant des aides de l’état au Japon vivent seules. Comme expliqué plus haut, la plupart venaient seuls mais, le temps passant, eux aussi apprenaient à se reconnaître puis se connaître. Il n’était donc pas impossible d’assister à de nombreuses interactions. Des groupes se formaient, se défaisaient. Un vrai communauté s’était créée entre eux.

Il semblait évident qu’ils venaient d’abord pour la chaleur d’un radiateur et qu’ils restaient pour une chaleur d’une nature bien différente.

Il n’y a pas d’age pour créer du lien. Photo : Laurent Ibanez

Car il nous reste du temps…

Avec le temps, j’ai pu assister à beaucoup de choses. Un vrai roman : amitié, disputes mais aussi séduction.

Certains se faisaient beau, d’autres ne s’adressaient finalement plus la parole. Tout cela était bien sûr en demie teinte sans soubresaut, mais lorsqu’on vient tous les jours, on voit tout cela très clairement.

Tiens ils ne se mettent plus à côté, il ne repartent plus en même temps, enfin il se mêle à la conversation ! Va-t-il être accepté dans le groupe ?

Finalement, le froid les avait conduit ici et c’est avec beaucoup d’émotion et de plaisir que je les observais à se recréer du lien.

Désormais, quelque-soit le Mcdo japonais dans lequel j’entre, je ne peux m’empêcher de chercher cette touchante tribu dont je fis, d’une certaine manière, un peu partie.

« Regarde toi un peu. Tu n’as pas honte d’être si jeune ? A ton âge ! » – Daniel Pennac

– Laurent Ibanez


Publié initialement en 2017. Vous aussi partagez vos histoires au Japon sur le blog en nous contactant. Republié avec toutes autorisations.