Jeune femme à la fois d’origine écossaise et japonaise, Maya Caulfield a pendant longtemps rejeté et dissimulé la partie japonaise de son identité. Avant de l’embrasser pleinement. Une acceptation de ses origines familiales qu’elle a matérialisé en créant un kimono unique au monde avec du tissu rappelant les étoffes écossaises. Maya a accepté de nous livrer son ressenti sur le fait d’avoir cette double culture et sur ce kimono qui transcende cette dernière.

Âgée de 20 ans, Maya Caulfield réside actuellement à Austin au Texas où elle travaille en tant qu’artiste depuis quatre ans. Parmi les arts auxquels elle s’adonne : la peinture, la sculpture et bien sûr la création textile. Elle a choisi la voie de la création artistique après avoir fait des études de cinéma dans le Colorado et avoir travaillé le temps de quelques films dans le département des arts.

C’est d’ailleurs dans le Colorado qu’elle a grandi. Dans cet état à la population majoritairement blanche, Maya éprouva longtemps le besoin de cacher la part de « japonais » en elle. Elle ressentait même de la honte et de la colère à l’idée d’avoir une autre culture si peu conforme à ce lieu où elle grandissait. Car, comme elle nous le confie, être à moitié asiatique lui vaut de ne pas être pleinement acceptée par chacune des communautés.

Nombre d’individus dans sa situation se voient ainsi isolés entre deux cultures que tout semble opposer. Pourtant, elle va découvrir qu’il n’y a aucune fatalité aux pressions sociales qu’une telle situation impose. Ce n’est que depuis quelques années seulement qu’elle a réussi à accepter cette double origine. Elle en est aujourd’hui convaincue : « La possibilité de célébrer mon héritage écossais et japonais est un droit fondamental« . Et quel meilleur hommage à sa double culture que ce kimono « écossais » unique en son genre ?

Photo utilisée avec l’autorisation de Maya Caulfield.

Avant de concevoir son kimono, Maya possédait déjà des références vestimentaires inhérentes à ses deux cultures. De sa famille, Maya a hérité de kimonos et elle en a également achetés. Elle possèdait également le tartan écossais de son clan familial (le Clan Donnachaidh) et deux sporrans (la sacoche traditionnelle remplaçant les poches absentes du kilt) provenant d’Edimbourg.

C’est après avoir visité une exposition au musée d’art de Denver consacrée à la mode d’avant-garde japonaise dans les années 90 que l’idée de créer un kimono biculturel unique lui vient. Cette exposition présentait des œuvres de Yohji Yamamoto et de Junya Watanabe, qui faisaient montre d’un mélange fascinant de tradition et de modernité. Ce fut la révélation : « C’est ce qui m’a inspiré pour créer ma propre fusion, en s’inspirant de mon expérience plus personnelle » confie-t-elle.

De son propre aveu, elle est allée chercher les tissus dont elle avait besoin dans des endroits « peu orthodoxes », chinant dans des dizaines de friperie pour dénicher des sous-vêtements masculins et des chemises avec des motifs rappelant le tartan écossais. Coudre le kimono lui a demandé pratiquement un mois de travail à la main, sans utiliser de machine à coudre. Un travail empreint d’une forte abnégation. Elle se rappelle à ce sujet : « Je m’endormais souvent avec le kimono sur moi, cousant de minuscules rangées jusqu’à épuisement« .

Photo utilisée avec l’autorisation de Maya Caulfield.

Ce kimono, Maya le voit plus comme une œuvre d’art qu’un simple vêtement. Mais elle envisage de le porter à l’occasion d’évènements artistiques et si elle se rend au Japon où – paradoxe – elle n’a pas encore pu se rendre. Elle souhaite avant tout montrer qu’à travers lui les deux cultures dont elle est originaire peuvent coexister et n’ont pas à s’opposer l’une à l’autre. Quand elle a posté en ligne des photos de son kimono, Maya a reçu des réactions opposées. Si son travail a été salué par la majorité des internautes, ce dont elle s’est sentie honorée et reconnaissante, certains lui ont – sans surprise – reproché de faire de l’appropriation culturelle. Alors qu’elle est à moitié Japonaise et que son projet est strictement culturel et artistique !

Des réactions malveillantes qui font écho aux moqueries de son « sang-mêlé » que Maya a pu entendre aussi bien de la part de Japonais que d’Écossais et même de membres de sa propre famille. Ainsi : « Aux yeux de tout Blanc, je suis entièrement japonaise, mais certains Japonais voient mes taches de rousseur, mon nez et mon incapacité à parler japonais et cela leur suffit pour me rejeter« . Des réactions de rejet allant jusqu’au refus total de lui parler et que tous ses amis à moitié asiatique ont également subies. Au Japon, les « hâfu », ces personnes à moitié japonaises issues de mariages mixtes sont régulièrement la cible de discriminations. Un film japonais a d’ailleurs abordé ces problématiques.

Avec lucidité, Maya analyse les conséquences que ce rejet peut avoir sur les personnes biculturelles : « Ce type d’ethnocentrisme ne fait que nous pousser à nous renfermer, et dès le début il peut causer beaucoup de tort aux personnes métisses en termes de racisme intériorisé et de haine de soi car il leur donne le sentiment que quelque chose ne va pas chez eux. Ces derniers temps, j’essaie de parler le plus possible de mon identité à moitié asiatique parce que je pense qu’il faut davantage discuter de la façon dont on peut se retrouver mis à l’écart ».

Photo utilisée avec l’autorisation de Maya Caulfield.

Quand on lui demande si elle compte créer d’autre kimonos, Maya répond : « J’explorerai probablement toute ma vie le thème du métissage dans mon art, mais je ne veux pas non plus risquer d’être répétitif dans mon travail. Je pense que je vais développer d’autres médiums avant de revenir aux kimonos. Ma dernière pièce est une sculpture comprenant une assiette en porcelaine de saule bleu cassée pour symboliser la reconquête de la culture asiatique« .

Et à tous les amoureux du Japon elle conseille : « Essayez de ne pas vous sentir obligé par d’autres de demeurer dans une seule case culturelle. Il y a une grande différence entre l’appropriation et l’appréciation et pourtant ces notions sont souvent regroupées. La culture japonaise est très spéciale et elle est plus belle lorsqu’elle est partagée« . Nous ne pouvons qu’approuver ce message bienveillant !

Propos recueillis par S. Barret / Mr Japanization


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