Les faces cachées du business des « idols » au Japon

Les fans de pop-culture nippone connaissent forcément les « idols » : ces jeunes filles (ou garçons bien que le terme « Johnnys » leur soit plus spécifique) en groupe ou solo, ultra médiatisés, adorés par des millions de fans adolescents et d’âge mûr. Sévèrement encadrées par une agence et une figure masculine d’autorité, les jeunes stars inondent les médias via des chansons trustant les charts nippons, des apparitions dans le dernier drama à la mode, des émissions télé à succès, des publicités… Leur succès (souvent éphémère) vend du rêve à des milliers de jeunes qui souhaitent à leur tour faire carrière. Mais la réalité derrière ce monde de paillettes est rude. Décryptage des coulisses de ce star-system nippon.

Je ne compte plus le nombre de japonais, jeunes ou moins jeunes, qui étaient fiers de me montrer leur collection de photographies sexy d’idoles. « J’aime beaucoup Kyoko ! » m’expliquait Kenji, 38 ans, célibataire endurci. « Elle a de longue jambe et une grosse poitrine, en plus, elle chante bien ». À Tokyo, Akihabara regorge de magasins pour vendre ou s’échanger ces photographies de jeunes filles, fantasmes de toute une génération.

Morning Musume, AKB48, des noms connus et pour cause : ils désignent les deux plus grands groupes d’idols japonais. D’énormes machines à stars bien huilées qui font rêver plus d’une jeune japonaise dont le souhait le plus cher devient d’imiter ses stars préférées quel que soit le prix à payer. Sur le papier, devenir une idol c’est la promesse d’être enviée et aimée de tous, de devenir éventuellement riche, de rencontrer des personnes du show-biz, bref, de réussir sa vie selon le prisme égocentré actuel où la beauté et la jeunesse comptent plus que tout. Mais ce qu’on voit sur les écrans et la réalité diffèrent. Ma vie d’une idol cache de nombreuses contraintes et pièges derrière les sourires et la joie montrés sur scène.

https://www.instagram.com/p/BrIU_KCBi4m/

Photo de famille du groupe AKB48

Sous contrat avec des agences spécialisées dans ce business, les idols doivent suivre des règles strictes qui empiètent lourdement sur leur liberté. Ainsi elles n’ont quasi-systématiquement pas le droit d’avoir un petit-ami, se devant de rester « entièrement disponible » pour leurs fans. Ceux-ci risquent effectivement d’être jaloux, ce qui n’est pas bon pour les affaires… Celles qui dérogent à cette règle élémentaire se voient contraintes à des excuses publiques, et leur carrière s’arrête.

En témoigne l’humiliation publique à laquelle s’est livrée en 2013 Minami Minegishi, star du groupe AKB48, surprise en train de sortir de chez son petit-ami et rétrogradée après cet écart de conduite. Car plus que grâce à son talent artistique (qui n’est pas pour autant négligé), une idol est surtout aimée du public à cause de sa jeunesse, de l’innocence et la « pureté » qu’elle dégage. D’où le fait que la carrière d’une idol soit généralement courte une fois sa « fraîcheur » passée, le public lassé et que ce dernier ne soit parfois constitué que d’hommes d’âge mûr. Tout un symbole de la marchandisation de l’humain, ici aussi soumis à l’obsolescence. L’idole est ainsi considérée par l’entreprise comme un « asset », un investissement à faire fructifier.

Exemple de photo-carte à collectionner

Cette attirance d’hommes adultes pour de très jeunes filles toujours vêtues de tenues hyper-sexualisées interpelle et révèle un autre aspect malsain de cette industrie. Au Japon, il est culturellement admis que les hommes fantasment sur des filles très jeunes (pour ne pas dire mineures), d’où les difficultés rencontrées par les luttes contre la pédopornographie et la pédophilie sur l’Archipel malgré les pressions internationales. D’après des sociologues, ces fans qui pourraient être le père de leur idol favorite, comblent un manque, la monotonie de leur vie et/ou une frustration sexuelle. Bien plus jeunes qu’eux, ils ont aussi l’impression de les dominer plus facilement que des femmes de leur âge, ce qui rassure leur égo. Certains perdent le sens commun et pousse le fanatisme jusqu’au harcèlement en ligne voir l’agression physique de leur star vénérée. Déjà dans les années 90, le film d’animation Perfect Blue touchait ce phénomène naissant du bout des doigts.

Les idols, de leur coté, se montrent toujours bienveillantes envers leurs fans, même les plus « accros » qui les suivent à chacun de leurs concerts et dépensent des fortunes en produits dérivés. Elles se plient avec bonne grâce aux rencontres durant lesquelles – récompense ultime – les fans peuvent leur serrer la main (geste à connotation sexuelle dans la culture traditionnelle), prendre un selfie et échanger quelques mots avec elles.

Dans les coulisses du idol-system se dissimulent aussi des abus dont sont victimes des aspirantes-idols piégées par des agences – et leurs agents (sic.) – qui vont les exploiter sans vergogne. Leur faisant miroiter une célébrité égalant celles de leurs groupes préférés, des producteurs peu scrupuleux font signer à des jeunes filles manipulables des contrats d’exclusivité de longue durée, temps pendant lequel elles seront exploitées à peu de frais pour engranger un maximum de profits. Les membres de ces « groupes d’idols souterrains » sont astreintes à un emploi du temps ultra chargé qui, entre concerts, apparitions publiques, promotions de produits dérivés et présence sur les réseaux sociaux laisse peu de place à des jours de congé. Et même si un groupe atteint un certain succès, ses membres ne reçoivent qu’un salaire assez bas, qui plus est passe dans les cours de chant, de danse qu’elles doivent elles-mêmes financer ainsi que leurs tenues de scène et le transport sur les lieux des concerts…

Inexpérimentées, influençables, les aspirantes-idols ne perçoivent pas les clauses abusives qui les retiennent à la société de production les employant. Parfois même contrat et salaire sont inexistants. Et si les artistes tentent de se plaindre de leurs conditions de travail, elles sont menacées de voir leur avenir ruiné dans le milieu. Elles ne peuvent rompre leur contrat à moins de payer une lourde amende. Tomber malade est également hors de question. À ce rythme, la fatigue s’accumule immanquablement et des idols tombent en dépression voir vont jusqu’au suicide. Les agences exploitant ces jeunes filles s’arrangent aussi pour les couper de leur entourage et ainsi mieux les manipuler, éviter qu’elles ne reçoivent aides et conseils pour s’arracher à leur emprise malveillante. Le droit du travail assez flou concernant le secteur du divertissement facilite les abus même dans les groupes les plus connus et l’inspection du travail n’a pas les moyens d’intervenir. Quant aux abus sexuels par certains agents tout puissants, c’est l’omertà dans le milieu.

https://www.instagram.com/p/Brx3fA-g0QP/

NGT48, « groupe soeur » d’AKB48

Des avocats spécialisés dans les litiges entre les idols et leur producteur, des défenseurs du droit du travail et même des membres de la Commission japonaise du commerce équitable plaident pour une révision des lois, faciliter l’accès à des conseils juridiques pour que les jeunes artistes puissent mieux négocier leur contrat, défendre leurs droits et leur donner plus de libertés dans la gestion de leur carrière sur laquelle les sociétés de production ont pour l’instant la mainmise. Mais d’ici à ce que les pratiques changent, être idol demeurera un parcours semé d’embûches où bien peu réussiront à se faire une place (provisoire) au soleil médiatique.

S. Barret


Sources : japantimes.co.jp / lepoint.fr / lemonde.fr / TOKYO IDOLS