Si la vision d’une geisha fait toujours autant rêver les touristes étrangers comme les japonais, la profession n’a jamais été plus menacée. À travers le pays les différentes communautés qui symbolisent une certaine culture du Japon innovent pour pouvoir survivre au cœur d’une mondialisation triomphante et faire perdurer leur art alors qu’il est de plus en plus difficile pour ses membres d’en vivre.

Devenir geisha exige un entrainement intensif très strict dans un milieu resté, par définition, très traditionnel. Peu de jeunes filles et de jeunes femmes ont l’abnégation de se soumettre à ce long apprentissage et encore moins décident d’y consacrer leur vie. D’autant plus que de moins en moins de japonais peuvent s’offrir leurs onéreux services, ou devenir leur sponsor alors même que la vie d’une geisha est rythmée par des dépenses élevées (cours, récitals, achats de kimonos & obi etc.). Depuis quelques années néanmoins, les initiatives se multiplient pour faire perdurer cet univers fascinant en voie d’extinction.

Les geishas les plus célèbres du Japon sont sans conteste celles de Kyoto : les maikos et geikos (ainsi qu’y sont nommées les apprenties et les geishas) y sont réputées pour l’excellence de leur formation, restée au plus proche de la tradition. Mais si chaque année, grâce à sa renommée, Kyoto attire toujours de nouvelles novices au sein des cinq quartiers de la ville, ses membres n’en reçoivent pas moins une subvention annuelle versée par l’Ookinii Zaiden, une fondation née en 1996 pour la promotion des arts traditionnels de la scène. Car quand bien même elle désire continuer sa carrière, une apprentie ne peut pas se permettre de supporter seule les coûts engendrés par le fait de devenir geiko indépendante et un certain nombre renoncent à la fin de leur apprentissage de maiko en dépit parfois de leur grande popularité. C’est dire les difficultés auxquelles doivent faire face les autres communautés du pays, moins exposées médiatiquement et donc moins attirantes pour les aspirantes-geishas.

En 2014 à Kanazawa, les geishas du quartier d’Higashiyama se sont associées avec la municipalité et la préfecture pour obtenir une subvention annuelle. En plus de procurer un certain sentiment de sécurité financière aux geishas, cette double subvention permet de couvrir en partie leurs frais. Et enfin, de susciter ou confirmer des vocations d’une vie entière. En échange de quoi les geishas acceptèrent de participer à des représentations pour promouvoir le tourisme local. Un procédé où tout le monde est gagnant. La même année les villes de Yamagata et de Niigata ont mis en place un dispositif similaire pour soutenir leurs communautés de geishas. Autre exemple à Morioka où depuis 2010 les entreprises privées sont incitées à recruter et former des apprenties en échange de subventions de la ville, dispositif qui s’est révélé payant. Il y a donc à la fois une volonté privée et collective de faire perdurer la tradition.

A présent c’est la communauté de geishas de Sapporo qui se bat pour son existence. Dans les années 50 le quartier de Susukino comptait 300 geishas, ce qui en faisait l’un des plus importants du pays. Mais comme tant d’autres, il fut victime de l’explosion de la bulle économique des années 90 et depuis sa communauté n’a cessé de décroître pour atteindre actuellement le chiffre effrayant de 10 geishas, toutes âgées d’au moins quarante ans et plus ! Pour que leur savoir continue de se perpétuer d’une génération à la suivante, il est devenu urgent de trouver des solutions pour attirer des jeunes apprenties.

C’est dans cette optique que la professeur de danse, Hiroko Sawada, âgée de 73 ans qui a été geisha pendant plus de quarante ans, a mobilisé la communauté pour constituer fin février dernier l’Association de Développement et de Promotion des Geishas de Sapporo, la Sapporo Geigi Ikusei Shinkokai, avec le soutien de particuliers, d’entreprises et même de la Chambre de Commerce et d’Industrie. Elle est destinée, tout comme à Kanazawa, à promouvoir leur profession et prendre en charge une partie des dépenses des nouvelles recrues pour leur habillement, leurs cours de chant, de danse, de musique. L’association a d’ores et déjà récolté 8 millions de yen (67 500€) de la part des 183 entreprises et 69 particuliers membres pour aider les futures geishas.

« Le nombre d’ozashiki (banquets durant lesquelles les geishas distraient leurs clients) n’a cessé de baissé avec les bouleversements sociaux, et il est de plus en plus difficile pour une geisha d’en vivre » analyse Yoshihiro Sekihashi, le président de l’association mais aussi président de la Banque d’Hokkaido et de l’Organisation du Tourisme à Hokkaido.

Pour assurer davantage leur publicité et des rentrées d’argent fixes, la communauté a également crée la Sapporo Meigiren (l’union des geishas expérimentées de Sapporo) qui fixe à 16 200 yen (136€) par geisha le prix d’un spectacle de base d’une durée d’une heure.

« J’espère que les citoyens et les touristes du monde entier apprécieront notre culture traditionnelle du divertissement » ajoute enfin M. Sekihashi, avec espoir. De son coté Mme Sawada affirme avec conviction : « Je veux maintenir le flambeau du monde des geishas à Sapporo« .

On ne peut qu’approuver et soutenir leurs vœux.

S. Barret

S. Barret


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Sources : japantimes.coasahi.com / nipponconnection.fr /