C’est un épisode peu connu de la Seconde Guerre Mondiale. Les États-Unis rentrent en guerre contre l’Allemagne et ses alliés après l’attaque japonaise contre la base militaire de Pearl Harbor le 7 décembre 1941. Mais voilà, le pays de l’Oncle Sam compte des centaines de milliers de descendants d’émigrés japonais sur son territoire. Par peur de représailles internes (mais aussi une grosse dose de xénophobie), le gouvernement américains décide radicalement de les enfermer dans des camps. Longtemps censurées, ces images de cette sombre période sont maintenant accessibles au public.

La décision a été prise par le président Franklin Roosevelt le 19 février 1942, deux mois après l’attaque de Pearl Harbor sur fond d’émotion collective. En signant le « décret présidentiel 9066 », Roosevelt va provoquer les internements « préventifs » de Japonais naturalisés et d’Américano-japonais de la seconde génération. Car depuis l’attaque de la base navale, un fort sentiment anti-japonais déjà présent a atteint des sommets, nourri par la peur et des relents de racisme propre à l’époque. Les autorités craignent que ces populations ne soient en réalité fidèles à leur pays d’origine et puissent mener des opérations de sabotage ou d’espionnage sur le sol américain. Avant cette mesure extrême, les citoyens d’origine japonaise étaient déjà soumis à un couvre-feu, une mesure de non-éloignement de leur domicile et au blocage de leur compte bancaire.

Moment de détente dans un ruisseau en attendant des lendemains meilleurs.

Pour « assurer la sécurité de l’État » officiellement, Roosevelt donne le pouvoir aux militaires de délimiter dix zones d’exclusion nommées « Relocation Centers » (« centres de relogement »). On notera à quel point le lexique utilisé est doux pour nommer des camps de concentration sur seule base d’une origine ethnique. On estime que 120 000 personnes – dont 30 000 enfants – y seront déportées, le plus souvent arrêtées à leur domicile par le FBI et l’armée, devant abandonner du jour au lendemain la plupart de leurs biens derrière eux. La mesure est appliquée diversement selon les états et la politique locale. Les déportations seront principalement concentrées sur la côte Pacifique « exposée » au Japon et où s’installaient la plupart des migrants asiatiques. Ainsi, tous les « Japonais » de la côte ouest ont été déplacés. Au final 62% des internements concerneront des Américains d’origine japonaise de la seconde génération et 38% des Japonais de première génération. Des célébrités furent également déportées, comme l’acteur Pat Morita, l’inoubliable Miyagi maître de karaté dans Karaté Kid.

Les autorités vont charger la célèbre photographe Dorothea Lange de documenter l’évacuation des personnes raflées et leur vie dans les camps pour les archives du pays. Difficile donc de dire si ces images officielles reflètent parfaitement la réalité et la douleur des déportations. On peut cependant en doute tant il semble en effet évident que le gouvernement américain de l’époque aura pris soins de trier les clichés. Pour cause, la plupart des clichés montrent les meilleurs aspects de la vie dans les camps. Cependant, c’est bien grâce à Dorothea Lange que l’on doit ces clichés poignants, exposant des familles privées arbitrairement de leur liberté, à qui une autorité leur a tout enlevé, mais qui tentent tant bien que mal de s’adapter aux conditions de leur détention.

Une famille sur le point d’être évacuée. Leurs meubles seront stockés.

Une jeune femme charge des bagages en vue de l’évacuation.

Petit garçon attendant le bus d’évacuation. Il porte une étiquette mentionnant son identité pour ne pas être séparé de sa famille.

Vue du centre de Manzanar en Californie.

Internées, ces femmes fabriquent un filet de camouflage pour l’armée américaine.

Scène d’intérieur d’un baraquement. Des draps délimitent un peu d’intimité.

Des équipes de base-ball se forment dans les camps et se confrontent lors de matchs.

Un réfectoire où les repas sont pris en commun.

Les études continuent dans les camps, des instituteurs bénévoles dispensant des cours.

Dernière photographie de famille avant déportation

Les prisonniers ne seront libérés qu’à la fin de la guerre, sur ordre du président Truman. Bien des années plus tard, une loi sera votée en 1988 et 80 000 anciens déportés recevront des excuses officielles du président Reagan ainsi qu’un dédommagement de 20 000$ pour leur détention abusive basée sur des préjugés racistes. Une page peu glorieuse de leur histoire dont les Américains n’aiment pas vraiment se souvenir.

S. Barret