La reprise de l’activité nucléaire au Japon ne cesse de diviser les Japonais, toujours hantés par la catastrophe de Fukushima et la peur d’un nouvel accident nucléaire de grande ampleur. À Genkai, petite ville de 6 000 habitants sur l’île de Kyushu, la relance probable de la centrale nucléaire toute proche fait polémique, d’autant que la zone est particulièrement sensible aux tremblements de terre. Un groupe de mères rescapées de Fukushima s’était constitué contre la réouverture de cette centrale.

Après la catastrophe du 11 mars 2011, le gouvernement japonais avait donné un coup d’accélération au démantèlement de plusieurs centrales nucléaires vieillissantes et stoppé l’activité des 54 réacteurs du pays, assurant sa production d’énergie grâce aux centrales thermiques qui fonctionnent avec des énergies fossiles polluantes en attendant la transition aux énergies propres. Le gouvernement avait alors promis l’arrêt de la construction de nouvelles centrales et que le pays serait en mesure de se passer totalement de l’énergie nucléaire d’ici 2040. Mais quelques années après Fukushima, les bonnes résolutions sont oubliées, rattrapées par des réalités économiques. Le nucléaire représentait entre un quart et un tiers de la production d’électricité au Japon, une part non négligeable dont il est difficile de se passer soudainement dans un pays industrialisé d’autant plus que l’importation de gaz, de pétrole et de charbon coute très cher, et rend le pays dépendant de l’étranger. Face à un mode de vie dont personne ne souhaite se séparer, il reste le choix de l’impossible.

Source : Flickr

Contre-braquage du gouvernement

En conséquence de quoi, le 11 avril 2014 le gouvernement japonais a finalement décidé de remettre progressivement en marche les réacteurs jugés « sûrs » malgré l’opposition massive des japonais qui souhaitent plutôt se tourner vers les énergies renouvelables, secteur que le gouvernement assure vouloir développer en parallèle. À l’automne 2012, Shinzō Abe autorisera l’achèvement des travaux de construction de deux nouvelles centrales arrêtés après Fukushima. L’homme est également revenu sur sa promesse d’indépendance du pays à l’énergie nucléaire d’ici 2040. Les japonais, habituellement allergiques aux manifestations, s’étaient regroupés par centaines de milliers dans les rues pour signifier leur opposition.

Dans un souci de rassurer la population, le gouvernement a limité la durée de vie d’une centrale à quarante ans. Sur le papier seulement. Il reste possible pour les industries d’obtenir une dérogation pour vingt années supplémentaires de fonctionnement. La remise en route de celles arrêtées et la reprise des constructions se voient conditionnées par une mise aux normes de sécurité renforcées et doivent être approuvées par la nouvelle Autorité de régulation du nucléaire (ARN), qui remplace la défunte agence Nisa dont les négligences et la collusion avec Tepco avaient été révélées au lendemain de Fukushima. Et même si l’ARN donne son accord à un projet nucléaire, les autorités locales disposent toujours d’un droit de véto pour empêcher la reprise de l’activité.

Œuvres d’Anti_nuke, graphiste japonais.

Des autorités locales et de nombreux habitants n’ont pas hésité à montrer leur opposition à la reprise du nucléaire. Si à Kagoshima les autorités ont approuvé en novembre 2014 la réouverture de la centrale de Sendai (ce qui fut fait), à l’inverse début janvier 2015 le gouverneur de Niigata, Hirohiko Izumida, a fait connaître son opposition à la relance de celle de Kashiwazaki-Kariwa, jugeant les nouvelles mesures de sécurité insuffisantes. Il a finalement réussi à faire plier Tepco. En mars 2016, un tribunal saisi par des habitants proches de la centrale de Takahama a ordonné l’arrêt de ses deux réacteurs récemment relancés, peu convaincu des garanties de sécurité avancées par la compagnie exploitant le site malgré l’avis positif rendu par l’ARN. Le jugement avait provoqué la joie des plaignants et la colère du gouvernement qui estimait la sécurité assurée à Takahama. C’est dans un climat tendu, fait de méfiance à l’égard des opérateurs du nucléaire et même de l’ARN (dont la majorité des employés sont des anciens de la Nisa) que s’est posée plusieurs mois durant la question de la réouverture de la centrale de Genkai dans la préfecture de Saga sur l’ile de Kyûshû.

L’opposition de rescapées de Fukushima

L’ARN avait rendu en novembre dernier un avis favorable au redémarrage de deux réacteurs de la centrale sous couvert de travaux de mise aux normes. Même si son avis n’avait aucun poids, la décision appartenant à la commune où la centrale se situe, le maire de la commune voisine d’Inari avait fait savoir son opposition. Le 24 février dernier, le conseil municipal de Genkai puis l’assemblée préfectorale le 13 avril ont eux validé la reprise des activités de la centrale de Genkai. Ne manquait plus que l’autorisation du gouverneur de Saga, Yoshinori Yamaguchi, qui est finalement tombée le 24 avril.

D’autres voix allant dans le sens inverse s’étaient pourtant élevées. Les voix de rescapées de Fukushima, installées depuis à Itoshima dans la préfecture de Fukuoka voisine de Saga qui ne souhaitent pas que l’histoire se répète. En mars, une réunion s’était tenue pour convaincre les habitants que toutes les garanties de sécurité avaient été prises. Des paroles rassurantes qui n’avaient pas convaincu, d’autant que les paroles d’un officiel sur l’importance économique du nucléaire ont pu laisser penser que la production d’énergie a plus pesé dans la balance du redémarrage que la protection des habitants.

Début avril, des mères inquiètes pour la santé future de leurs enfants s’étaient rassemblées pour écrire une demande plaidant contre la remise en fonction de la centrale. Une lettre qui sera adressée directement aux autorités. Constitué au départ d’une poignée de mères, le groupe a gagné le soutien de dizaines de personnes sur les réseaux sociaux. Le collectif, qui s’est donné le nom de « Mères qui Veulent Sauver la Vie des Enfants« , avait aussi envoyé une pétition au gouverneur de Saga et au maire d’Itoshima, Yuji Tsukigata. Malheureusement, le 24 avril, le gouverneur s’est déclaré pour la réouverture des deux réacteurs de Genkai (qui ne devraient pas rentrer en fonction avant l’automne). Ces mères, qui espéraient que leurs craintes, fondées sur l’expérience traumatisante de Fukushima, soient prises en compte, n’ont pas été entendues.

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Un sol toujours instable

D’autant plus que la région, assise sur des zones de failles actives, est particulièrement sujette aux tremblements de terre et sa conséquence parfois tragique : le tsunami. La Nature l’a rappelé récemment : le 14 et le 15 avril 2016 la préfecture de Kumamoto (limitrophe de Fukuoka) a subi deux importants séismes respectivement de magnitude 6,5 et 7,3 ayant fait craindre un tsunami et qui ont été suivis de 600 répliques jusqu’au 20 avril coutant la vie à au moins 58 personnes, en blessant des milliers de personnes et engendrant d’importants dégâts matériels. Et de raviver les inquiétudes sur la présence de centrales nucléaire dans cette zone sensible, quand bien même le gouvernement japonais a assuré qu’aucun dommage n’avait été relevé dans les trois centrales à proximité (Sendai, Genkai, Itaka), Sendai étant la seule en activité à ce moment là.

Depuis Fukushima, la reprise de l’activité nucléaire au Japon est cantonnée à trois réacteurs (deux à Sendai, le troisième à Ikata). Mais la volonté du gouvernement d’en redémarrer un maximum risque de voir les bras de fer mêlant autorités, populations et exploitants se répéter encore et encore. Parallèlement, en dépit des discours, les efforts pour accélérer la transition vers les énergies propres se font toujours attendre. Pourtant, les solutions ne manquent pas et l’archipel bénéficie même d’un avantage géothermique important. L’avenir seul dira de quel côté se trouvait la raison.

S. Barret


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Sources :  lemonde.fr / liberation.fr / japantimes.co.jpfukushima.eu.org / japantimes.co.jp