Le Japon est face à un dilemme écologique intenable depuis la catastrophe de Fukushima : d’un coté le gouvernement désire réduire les émissions de gaz à effet de serre du pays d’un quart d’ici dix ans, de l’autre il peine à développer les énergies renouvelables. Pendant ce temps, la population questionne le nucléaire. Un paradoxe difficilement conciliable, en témoigne ce projet de parc à éoliennes qui fait polémique à Tsuruoka.

Grand importateur de pétrole non-raffiné, de charbon et de gaz naturel, le Japon a vu sa dépendance énergétique augmenter drastiquement suite au grand tremblement de terre de 2011 et à la fermeture des centrales nucléaires du pays qui s’en est suivie. Pour faire face à ces nouveaux défis énergétiques et à une montée des émissions de gaz à effet de serre, le pays a alors révisé sa politique énergétique afin de diversifier davantage la répartition de ses différentes sources d’énergies primaires.

En effet, le Japon a comme plan ambitieux de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 26% d’ici 2030 et pour y arriver, le gouvernement prévoit ralentir l’utilisation d’énergies fossiles, procéder à une réouverture des centrales nucléaires considérées comme sécuritaires et augmenter sa production d’énergies renouvelables. Selon un rapport de l’Agence pour les ressources naturelles et de l’énergie datant de 2016, le pourcentage de sources d’énergies renouvelables au Japon était de 14.5% (et 6.9% en excluant l’hydroélectricité), un pourcentage que le gouvernement considère faible et qu’il désire accroître.

Installation de panneaux solaires. Source : flickr

Les projets d’installation de panneaux solaires et d’éoliennes se multiplient ainsi petit à petit dans le pays, mais un projet d’éoliennes dans la préfecture de Yamagata suscite actuellement une grande polémique dans la région. Le 7 août dernier, l’entreprise tokyoïte Maeda Corporation dévoila son projet de construire 40 éoliennes avec une hauteur maximale de 180 mètres sur les montagnes de la ville de Tsuruoka près du sanctuaire shintoïste de « Dewa Sanzan » pour un rendement prévu de 128,000 kW/H ce qui dépasserait la production totale des 17 autres centrales éoliennes déjà présentes dans la préfecture.

L’entreprise expliqua que la présentation de son projet se basait sur un rapport publié par la préfecture de Yamagata il y a 8 ans de cela, et qui présentait la zone concernée comme un site approprié pour la production d’énergie éolienne. Reconnaissant néanmoins que le site en question est situé à seulement 2 kilomètres du sanctuaire « Dewa Sanzan » sur une terre considérée comme sacrée, le rapport stipulait qu’ « une attention particulière devra être accordée au paysage ». Malgré l’intention de débuter les travaux en juillet 2024, Maeda Corporation réitère que la compagnie en est seulement à la première étape de planification du projet, soit l’évaluation environnementale, et que le document soumis aux autorités et à la population locale sera en consultation jusqu’au 7 septembre. Cependant, la présentation du projet semble n’avoir laissé personne indifférent dans la région concernée et différents groupes s’unissent déjà pour s’y opposer. Lors d’une conférence de presse se tenant le 25 août dernier, la gouverneure actuelle de la préfecture, Mieko Yoshimura, qualifia le projet d’impossible en affirmant que « Dewa Sanzan est un trésor de la préfecture et un trésor du Japon ».

出羽三山

« Dewa Sanzan » (出羽三山, « trois montagnes de Dewa ») fait référence à trois montagnes dites sacrées de la préfecture de Yamagata, soit le mont Haguro, le mont Gassan et le mont Yudono. C’est un lieu spirituel qui a plus de 1400 ans d’histoire et qui représente la naissance (mont Haguro), la mort (mont Gassan) et la renaissance (mont Yudono), les montagnes sont donc habituellement visitées dans cet ordre précis. Durant la période Edo (1603-1867), les voyages au « Dewa Sanzan » furent popularisés auprès des visiteurs en quête de renaissance spirituelle. Désignées comme Héritage Japonais en 2016, ces montagnes sacrées font partie des trois piliers de la pratique du shugendo, une religion ancestrale basée sur le culte de la montagne, mélangeant traditions bouddhistes, shintoïstes et taoïstes. Les adeptes du shugendo, appelés Yamabushi, sont des ascètes alpins en quête d’éveil à travers une communion avec la nature et ses forces surnaturelles… « Dewa Sanzan » est ainsi resté un lieu important pour les « Yamabushi » depuis les débuts du « shugendo » au 8ième ou 9ième siècle, et encore aujourd’hui, chacun d’entre eux doit y faire un voyage spirituel lorsque son état de santé le lui permet.

Afin de déployer son projet d’éoliennes, la compagnie Maeda Corporation a choisi un site où se déroulent plusieurs pratiques religieuses millénaires, soit l’adoration de la montagne (山岳信仰, « Sangaku shinko »), le shintoïsme, le bouddhisme et le « shugendo », et les différents groupes de citoyens (« Yamabushi », résidents, environnementalistes, etc.) s’organisent pour éviter à tout prix que le projet puisse aller de l’avant. Dans le cas des « Yamabushi », la contemplation des montagnes étant partie intégrante de leurs rituels de méditation, la vue des éoliennes en pleine montagne représenterait un désastre spirituel pour eux. Les groupes d’opposition sont également convaincus que le projet causera des impacts négatifs sur la flore et la faune des montagnes, une situation d’autant plus intolérable que les sites sont sacrés. Le 31 août dernier, un groupe composé de représentants du secteur touristique, des « Yamabushi » ainsi que d’environnementalistes, a tenu une conférence de presse afin de demander le retrait complet du projet affirmant :

« Qu’il va venir fragmenter l’histoire, la nature et le paysage du Dewa-Sanzan vieux de 1400 ans. »

Fumihiro Hoshino, porte-parole des Yamabushi, partagea sa détermination de protéger les paysages de ce lieu de culte. Shunichi Kikuchi, professeur associé de la faculté d’agriculture de l’Université de Yamagata et spécialisé en sciences forestières partagea, quant à lui, ses craintes face aux impacts en aval causés par l’altération de l’environnement d’une montagne et ajouta que l’évaluation environnementale soumise par la compagnie n’en tient pas compte.

À ce sujet, une pétition en ligne circule en ce moment et a récolté à ce jour, près de 3000 signatures contre le projet d’éoliennes de « Dewa Sanzan ». Les groupes d’opposition qui craignent également un impact négatif sur l’industrie touristique de la région espèrent obtenir un plus grand appui de la population locale, mais également des populations à l’extérieur de la préfecture et du Japon. De son côté, suite à la vague d’opposition engendrée par son projet, Maeda Corporation commenta que la compagnie aimerait échanger avec les politiciens et les résidents du secteur afin de trouver différentes façons de procéder concernant ce dossier. C’est donc un dossier à suivre durant les prochaines semaines…

Éoliennes à Wakkanai. Source : Flickr

D’un côté, le Japon a un besoin criant d’investir dans les énergies renouvelables afin de réduire considérablement ses émissions de gaz à effet de serre et de la même façon, de diminuer sa dépendance énergétique en termes d’importation de combustibles fossiles tout en évitant les risques du nucléaire en zone sismique. D’un autre côté, le pays doit également réussir à faire sa transition énergétique en minimisant les impacts négatifs sur l’environnement et sur la société japonaise, en prenant bien évidemment soin de respecter ses traditions millénaires. Dans le cas du projet éolien controversé de Dewa Sanzan, les groupes d’opposition déplorent notamment qu’ils existent d’autres sites plus propices à la production d’énergie éolienne dans la préfecture de Yamagata tels les côtes de Shonai-hama ou les plaines de Shōnai. Néanmoins, dans un pays où les montagnes représentent 75 à 80% du territoire, l’industrie des énergies renouvelables japonaises fait face à de grands défis, et devra faire preuve d’ingéniosité et d’intégrité afin de profiter des ressources renouvelables du pays tout en respectant le territoire ainsi que ses habitants.

Karina

Retrouvez la pétition de Takefumi Yoshikawa pour collecter les signatures des personnes opposées au projet d’éoliennes dans la région de « Dewa Sanzan ».

Photo d’en-tête : éolienne à Izu


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