Le Japon n’est probablement pas parfait, mais s’il y a bien un aspect qui marquera le touriste occidental durablement, c’est l’extrême propreté dont peut faire preuve ce peuple, du moins pour ce qui est visible. Alors pourquoi l’archipel nippon est si ぴかぴか ? Éléments de réponses…

Pika Pika (ぴかぴか), ce n’est pas juste le bruit que fait le fameux pokemon quand il est content, c’est surtout l’onomatopée japonaise utilisée pour décrire une chose immaculée (kirei) et clinquante. Si le Japon est tant Pika Pika à nos yeux, c’est principalement pour des raisons historiques désormais profondément ancrées dans la culture et qui font prévaloir l’idée que la propreté est une chose tout simplement « bien ».

Si cet hygiénisme rencontre ses limites, notamment en raison de problèmes environnementaux passés sous silence (nous y reviendrons), la population est globalement éduquée et consciente de la portée de ses actes visibles. Voir quelqu’un jeter un détritus à terre est extrême rare et le gouvernement n’a pas besoin de mettre en place des campagnes de communication coûteuses pour convaincre les japonais de trier leurs déchets. Par conséquent, villes, trains, services publics comme privés brillent généralement de mille éclats.

Naturellement, il existe de nombreuses raisons complexes à la concrétisation de cette propreté visible. Outre la conscience individuelle, ce sont des individus, parfois invisibles, qui travaillent chaque jour à maintenir cette perfection qui participe grandement au sentiment qu’il fait si bon vivre au Japon. Voici quelques causes et exemples concrets rendant possible ce culte de la propreté.

1. La culture de la propreté du corps et de l’esprit

Un esprit saint dans un corps propre, c’est en résumé ce qui ressort de la culture nippone profonde. Inévitablement influencés par le shintoïsme, plus proche de la philosophie de vie que de la religion, les japonais accordent une part toute particulière à la notion de purification. Pour cause, depuis la constitution de 1868 sous l’ère Meiji, le shinto est resté la « religion » d’État de l’Empire du Japon. Si la religiosité des Japonais diminua fortement après la guerre, on estime que 107 millions de japonaise « pratiquent » toujours le shintoïsme (84 % de la population) tout en ayant une approche neutre vis à vis de la croyance. Aucun japonais ne suit la religion de manière dogmatique, mais les rites restent présents naturellement dans le quotidien.

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Chōzuya, la purification par l’eau (ablutions) à l’entrée des temples. Image : Carey Ciuro

Le fait est que la purification est centrale dans les rites shinto. Les choses du monde physique possédant une âme, dans cette croyance, il est par exemple de coutume de se purifier soi-même (清む, kiyomu) ainsi que notre entourage (祓う, harau). Un rite symbolique qui sert notamment à éviter d’être frappé d’un tatari, la vengeance de l’esprit d’un objet ou d’un être. Si le fait de se nettoyer est symbolique (notamment à travers les ablutions à l’entrée de temples), les mêmes mots sont utilisés pour parler des activités quotidiennes (balayer, nettoyer,…). Le rituel de propreté est donc intimement ancré dans les habitus des japonais. L’omniprésence des onsen (温泉) et autres bains chauds, considérés depuis longtemps comme un moyen de purifier le corps et l’esprit, sont également les symboles forts d’un hygiénisme culturel.

2. Pas de poubelle ? Pas de problème !

Oubliez les poubelles tous les 50 mètres dans l’archipel. Elles sont relativement rares, ce qui a tendance à déstabiliser les touristes et à se questionner : comment ce pays peut-il être aussi propre sans ces poubelles ? Il existe plusieurs réponses. Tout d’abord, les japonais transportent généralement avec eux leurs déchets car ils considèrent qu’ils en sont responsables dés lors qu’ils consomment un produit. Il faut l’avouer, l’omniprésence des sacs plastiques aident à cette tâche. Il sera donc courant de voir un groupe de vacanciers japonais amener leurs poubelles à la décharge après un barbecue bien arrosé, laissant le sol immaculé derrière eux. Naturellement, la perfection n’existe pas. Il vous sera possible de croiser des déchets à terre, dans les parcs et le long du littoral nippon.

Même chose en matière d’animaux de compagnie. Ceux-ci sont visibles partout à Tokyo et ailleurs. Il est pourtant pratiquement impossible de croiser une déjection sur un trottoir. Tous les japonais possédant un chien transportent un sac adapté à ce type de situation. Le propriétaire ramène le tout chez lui pour vider les excréments dans les toilettes. Il sera même courant que les pattes du chien en question soient vigoureusement nettoyées avant qu’il soit autorisé à rentrer dans la maison. Par ailleurs, les japonais ne consomment pratiquement pas de nourriture en pleine rue (Tokyo n’étant pas une référence en la matière) et jamais dans les transports en commun, chaque lieu ayant une utilité bien déterminée. Une poubelle adaptée sera donc trouvable dans les lieux où les japonais sont invités à consommer.

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Des japonais nettoient un stade après une rencontre internationale. Image : Chandy Teixeira

3. Les sociétés privées organisent le nettoyage

Les entreprises japonaises sont, pour la plupart, toujours influencées par la fameuse technique de management des 5 « S ». Aussi stricte que généraliste, celle-ci vise l’amélioration continue des tâches effectuées dans les bureaux. La troisième règle est le Seiso (清掃), entendez « faire scintiller » (nettoyage). Règle autant symbolique qu’effective, le travailleur japonais est tenu d’ordonner son travail et de l’assainir, notamment en prenant soins de son environnement de travail.

Pour cause, dans les usines lors du boom industriel d’après guerre, le manque de propreté pouvait entraîner le blocage de machines et une perte de rendement (croissance, croissance!). Le nettoyage systématique est devenu une norme inévitable et un gage de qualité qui se fera ressentir également en dehors de l’espace de travail. Il est par ailleurs courant que les grandes entreprises organisent des journées collectives de nettoyage. On peut ainsi observer des « salary-men » cravatés un sac et une perche à la main faire le tour du bâtiment où ils travaillent pour y récolter les déchets. Encore une fois, dans cette logique, l’espace sain permet la paix de l’esprit, donc un meilleur travail !

Ce principe s’intègre jusque dans les écoles primaires. Les étudiants eux-mêmes sont régulièrement invités, tel un jeu collectif, à ranger et nettoyer leur classe. Même à l’école maternelle, après la récréation, les plus jeunes vont spontanément se laver les mains collectivement. Dans certaines écoles seulement, la pratique est poussée au point même où les élèves vont faire leur propre vaisselle après le repas. Chacun se responsabilise dès le plus jeune âge.

4. Le cas du Shinkansen

On dit qu’il s’agit d’un miracle de 7 minutes. À chaque arrêt dans un terminal de gare, les trains japonais à grande vitesse sont intégralement nettoyés. Une équipe de fourmis nettoyeuses attendent leur arrivée et en interdisent l’entrée de pied ferme. Durant ces 7 minutes, chaque geste est mesuré, minuté et appliqué avec une rigueur à peine imaginable en occident. Résultat, les trains sont parfaitement propres.

Si cette pratique reflète une fois encore l’hygénisme à la japonaise, cherchant donc à respecter le confort des utilisateurs de trains, il s’agit également de respecter l’objet lui-même et sa valeur symbolique (sic, shintoïsme) en prolongeant un maximum sa durée de vie. De cette manière, les trains vieillissent peu, comme les métros, et peuvent avoir une longue vie en fonctionnement. Il en va de même pour les stations qui sont perpétuellement nettoyées, les employés allant même jusqu’à gratter les éventuels chewing-gums collés à terre… Cette propreté des services donne véritablement envie de participer à ce respect collectif pour les biens publics.

Paradoxe : cette règle ne semble pas fonctionner avec l’habitat ! Pour cause, les maisons ne sont pas construites pour durer. Après 30 ans, on considère déjà qu’une maison est vieille au Japon. Le plus souvent, les nouveaux propriétaires préfèrent détruire une maison pour construire du neuf, plus moderne et surtout plus sécurisant. Pour cause, le sol étant instable, les techniques de construction les plus modernes sont prisées. Et quand bien même, l’option de la destruction/reconstruction semble souvent préféré. Pas d’âme pour les maisons ? Une grande perte pour la culture du pays. Partout, les maisons traditionnelles s’effacent pour faire place à des blocs froids, occidentalisés et sans âme… Il est triste de constater que d’ici deux ou trois générations, il ne restera pratiquement rien, hormis les temples historiques, de ce passé architectural si riche.

5. Les associations de nettoyage

Le Japon possède même des organisations de bénévoles dévoués au nettoyage. De Tokyo à Paris, l’association sans but lucratif Greenbird (oiseau vert), est désormais connue à l’échelle internationale pour organiser ses actions nettoyages dans les grandes villes du monde. On reconnaît ses membres par leurs tabliers verts et leurs gants jaunes. L’idée est simple : « A clean town also makes people’s hearts and minds cleaned. » (une ville propre fait des gens au cœur et à l’esprit sains.)

Ce type d’organisation invite les citoyens à s’activer dans le nettoyage des rues de leur ville. Mais que reste-t-il à nettoyer dans un Japon si propre ? C’est là tout l’enjeu de ce type d’organisme. Il ne s’agit pas que de ramasser les ordures très visibles comme des canettes ou des objets gros, mais bien de rechercher les petits éléments, gratter les sols et trouver ce déchet que le commun ne verra pas forcément. L’idée est d’assainir un lieu avant que la saleté ne puisse être détectée. De plus, d’un point de vue sanitaire, la saleté ne se limite pas qu’à l’aspect visible des choses.

Image : Rosa Duque

6. Routes et véhicules immaculés

Le monde de la route est également un exemple de propreté au Japon. De manière générale, l’air est très peu chargé en particules fines, et ce même à Tokyo qui est une des capitales d’Asie les plus épargnées par les problèmes de pollution. En avance sur le reste du monde, de nombreuses voitures sont hybrides, électriques ou possèdent de très petite cylindrée. Par ailleurs, le Japon a imposé des restrictions aux moteurs diesel dès les années 70. De plus, les vélos sont très nombreux sur les routes de la capitale et les réseaux des transports en commun sont particulièrement efficaces. Avoir une voiture à Tokyo est plus un fardeau que l’inverse.

Mais ce qui est remarquable sur les routes, c’est la propreté des véhicules eux-mêmes. En dehors des taxis immaculés dont le modèle de voiture semble avoir traversé le temps sans dommage, les camions de chantier et machines servant à la construction, nombreux à Tokyo, sont généralement très propres. Chaque jour, le conducteur prend soins de son matériel et va nettoyer méticuleusement son véhicule en fin de journée. Il est donc courant de croiser des camions aux parechocs chromés étincelants en plein transport de matériaux. Une véritable fierté pour son propriétaire, qui n’hésitera parfois pas à parer son véhicule de décorations divers ou de lumières.

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Image : Hans Johnson

7. Chaque chose à sa place !

Au Japon, on est rapidement frappé de voir comment chaque chose doit être à sa place. Si cette mentalité peut parfois ralentir certaines évolutions des structures sociales et profiter à des politiques plus conservatrices que progressistes, elle est centrale dans la vie des japonais. Tout simplement, il y a donc des choses qui ne se font pas aux endroits qui ne sont pas adaptés pour les réaliser ! Comme précisé plus haut, il est très rare de voir un japonais manger en marchant en rue. Plus commun, les chaussures se retirent à l’entrée du domicile. La démarcation entre le propre et la saleté est physique.

De cette manière, on peut considérer que, dans l’imaginaire collectif japonais, la saleté n’a pas sa place dans une société civilisée. Les déchets ont donc leur propre place et il convient à chacun de les y conduire. Cependant, le Japon reste un pays très industrialisé, avec les conséquences que connaissent tous les pays développés et le manque d’investissement de certains acteurs clés de la société dans les questions écologiques. Le cas de Teshima, située à l’Est de la Mer intérieure de Seto, nommée aussi l’île aux déchets, en est assez révélateur. Cette décharge industrielle illégale créée dans les années 80 a ravagé l’environnement local jusqu’à nos jours, faisant les affaires de nombreuses industries polluantes. Ce cas témoigne de l’histoire d’un Japon en plein boom économique totalement dépassé par la profusion de ses déchets industriels et urbains, préférant fermer les yeux sur les externalités du mode de vie moderne en les envoyant loin des yeux du consommateur.

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Image : Mr Japanization / Asakusa

Rien n’est donc tout blanc ou tout noir dans un Japon décidément bien contrasté. Le plastique est partout, la pollution est délocalisée dans les pays asiatiques limitrophes, le nucléaire a exposé froidement ses limites… Cependant, leur culture de la propreté possède largement les avantages que peut espérer un société apaisée où il fait bon vivre. Sans le même background culturel et spirituel, serait-il possible d’ensemencer cet esprit ailleurs ?

– Mr Japanization