Quand le cancer emporte soudainement un proche parent, nous avons tous des manières différentes de vivre notre deuil. Pour Yui Takahashi, jeune photographe japonaise, c’est à travers son art et métier qu’elle va affronter cette difficile réalité d’une manière aussi originale qu’interpellante. Pour cause, elle va se plonger dans la garde-robe de sa défunte mère pour s’imprégner des tissus d’une existence entière. Une rencontre touchante faite à Tokyo que nous partageons avec vous.

Touchés par la sensibilité de sa démarche, nous avons rencontré Yui Takahashi, une photographe tokyoïte de 28 ans lors de notre interview (32 aujourd’hui!). C’est son histoire très personnelle, l’ayant poussée à la photographie, qui nous invite à sa rencontre aujourd’hui. Il y a 10 ans de cela, Yui apprenait une terrible nouvelle : sa mère était atteinte d’un cancer. Fulgurant, celui-ci l’emporte quelques semaines plus tard, laissant un gouffre béant dans sa famille et son cœur. « Pendant 4 ans, j’ai refusé d’accepter la réalité, repoussant le deuil toujours à plus tard. J’ai tout fait pour ne pas y songer. » nous explique-t-elle. L’un des défis les plus douloureux que lui imposait cette disparition brutale était de se séparer des nombreux objets personnels et vêtements de sa mère.

Au Japon, il est de coutume de transmettre certains vêtements, dont les kimonos, aux futures générations. Ils sont d’ailleurs conçus dans cette intention, contenant le plus souvent du surplus de tissus en prévision d’une réparation. Un souvenir traverse alors l’esprit de Yui. Quand elle était enfant, elle avait l’habitude de jouer dans la garde-robe de sa maman. Nostalgique d’une époque insouciante, elle se souvient de l’odeur unique et du toucher particulier de ces vêtements qui portent toujours en eux l’histoire d’une vie. Alors qu’elle était étudiante en photographie au Tokyo College of Photography, il lui vient l’idée de réaliser une série d’auto-portraits au cœur de ce lieu riche en souvenirs, en portant ce trésor hérité si symbolique : les vêtements d’une vie. Elle prend alors le courage de rouvrir cette garde-robe oubliée durant 4 ans.

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Yui Takahashi

Les débuts du projet prennent cependant une tournure tristement inattendue. « Alors que je commençais cette série, c’était au tour de ma grand mère de quitter brutalement ce monde. » Le choc est double. Voilà l’artiste soudainement projetée dans l’univers d’un autre membre important de sa famille. En toutes conséquences logiques, Yui élargit spontanément son projet et ses clichés aux vêtements de sa mamy, explorant les différences de génération à travers ceux-ci jusque la sienne, tout en poursuivant un double processus de deuil.

Les photographies de Yui dégagent une atmosphère toute particulière, indescriptible. Alors qu’elle nous explique ses motivations, on ressent dans sa voix toute la profondeur de sa démarche. Non seulement ses clichés offrent un certains regard sur la mode vestimentaire nippone sur trois générations, mais elles questionnent à un niveau supérieur sur ce vide que nous laissons après la vie, le caractère éphémère de l’existence et comment les gens que nous aimons vivent ce départ parfois brutal.

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Yui Takahashi

Car ce que cherche à susciter Yui, c’est surtout l’échange. « À travers mes expositions, je découvre que nombre de personnes vivent des expériences similaires et nombre d’entre eux n’ont pas l’opportunité d’en parler autour d’eux par crainte de générer un sentiment jugé négatif au Japon. Ainsi, nombre de personnes viennent m’en parler spontanément. » Grâce à ses photographies et aux échanges qu’elles génèrent, l’artiste ouvre une porte communicationnelle trop souvent fermée au Japon. Alors, les langues se délient, et un échange exceptionnel se produit.

« L’art m’a permis d’organiser mes sentiments, d’outrepasser les regrets et d’accepter enfin son départ pour retrouver la sérénité. » nous confie-t-elle. Elle espère que cette expérience encouragera d’autres anonymes lisant ces lignes à explorer la vie des membres disparus de leur famille pour que revivent symboliquement leur image et souvenir. Aujourd’hui, pour Yui, le deuil et la peine se sont transformés en curiosité. Avec un regard optimiste, toujours souriante, Yui Takahashi part à la découverte des lieux foulés par sa maman à travers le Japon, recréant les portraits de l’album de famille en des lieux similaires.

On vous laisse à présent avec ces quelques clichés intimistes de sa première série Mom’s closet (la garde-robe de maman).

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Yui Takahashi

(Archive 2016). Toutes images @ www.yuitakahashi.net


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