L’histoire de la ville d’Ono dans la préfecture de Fukui est indissociable de l’eau. Une ressource qui y est abondante mais qui n’a pas empêché une surconsommation entraînant l’assèchement des réserves dans les années 70. Remise de cette crise, la ville lance le projet « Prenons soin de l’eau » pour valoriser cette ressource et s’attaquer au problème du manque d’eau dans le monde.
Ono n’est pas surnommée la ville de l’eau sans raison. La région où la ville fut bâtie était depuis longtemps connue pour ses nombreuses sources et sa nappe phréatique très importante approvisionnées par les montagnes et rivières environnantes. C’est Kanamori Nagachika, un vassal d’Oda Nobunaga, qui décida d’y construire une ville en 1576 pour des raisons stratégiques. La présence d’eau en quantité étant alors un facteur déterminant de la stabilité de la région. Il prit comme modèle la capitale Kyoto, d’où le découpage en quadrillage très structuré des rues encore visible de nos jours. Un système d’approvisionnement et d’évacuation de l’eau a été conçu dès la construction de la ville, pour exploiter au mieux cette ressource indispensable.
Des canaux et des sources pompant l’eau de la nappe phréatique permettent l’irrigation de toute la ville. Ce réseau largement à ciel ouvert qui date de l’origine de la ville est encore fonctionnel aujourd’hui si bien que la gratuité de l’eau est une évidence pour les habitants. Quand une nouvelle habitation est construite, il n’est pas rare de faire forer un puits au point qu’aujourd’hui Ono compte 8163 puits privatifs, soit 70% des ménages possédant leur propre puits. L’abondance de l’eau bénéficie aussi aux riziculteurs, aux maraîchers et aux commerçants, c’est pourquoi on trouve à Ono une longue tradition de brasseurs de saké, de produits fermentés, de sauce soja, de miso. En bref, l’eau, c’est la vie de la cité au sens économique mais également social !
Mais malgré les importantes réserves dont bénéficie la ville, dans les années 70, elle eût à faire face à l’assèchement des puits et une baisse dramatique du niveau de la nappe phréatique. En cause : une surexploitation de l’eau pour le déneigement et déglaçage en hiver. Ono s’est remise de cette crise grâce la mobilisation de ses citoyens et des mesures drastiques notamment : la création d’une assemblée délibérante des politiques de protection de la nappe phréatique d’Ono en 1973, une surveillance quotidienne de la nappe et le nettoyage des sources par les habitants en 1976, la prise d’un arrêté municipal sur la protection de la nappe d’Ono en 1977 (encadrement des usages commerciaux, interdiction d’utiliser l’eau de la nappe pour nettoyer la voirie), l’achat d’une zone humide de 196 hectares de forêts de hêtres en 1996 qui alimente la nappe. Aujourd’hui, l’eau n’est ici plus une simple ressource qu’on exploite, mais une chose à chérir et protéger.
Des efforts qui ont permis de revenir la situation d’avant-crise. Malgré tout, consciente de l’importance de son patrimoine naturel, la ville continue dans les années 2000 de mener une politique de protection de l’eau via la création d’un fond pour la protection de la nappe en 2000, l’élaboration de plans de gestion de la protection de la nappe en 2005 et de réhabilitation des ressources aquatiques d’Echizen Ono en 2011, la prise d’un arrêté municipal sur la protection de l’eau et du bois de la ville d’Ono en 2012 et une déclaration municipale sur la protection du cycle de l’eau en 2015. Les autorités entendent aussi responsabiliser les habitants en les incitant à moins gaspiller l’eau, qui, étant gratuite, a tendance à être consommée en trop grande quantité. Une politique d’envergure donc, indispensable pour léguer aux générations futures une eau abondante et de qualité.
L’importance de l’eau dans l’histoire et la vie quotidienne de la ville a conduit Ono à être inscrite sur la liste des « 100 villes d’eau » du ministère du Territoire, des Infrastructures, des Transports et du Tourisme en 1996. Deux sources célèbres, Hongan Shôzu et Ô Shôzu ont reçu le titre des « 100 eaux célèbres ». Et en 2013 Ono a reçu le prix de l’Eau du Japon par le ministère de l’Environnement. Forte de ces reconnaissances, la ville d’Ono a décidé de lancer en 2015 une fondation portant le projet « Prenons soin de l’eau », à destination locale, nationale et internationale. Grâce à la large visibilité que lui donne ce projet, Ono espère s’ériger en modèle de conservation et respect de l’eau au niveau national. Elle tient aussi à rendre ses habitants fiers de leur ville en s’appuyant sur son histoire, ses ressources aquatiques et en valorisant ses produits du terroir lors d’un évènement, « le restaurant de l’eau à Ono », dont le succès a conduit à deux reconductions. Surtout, Ono veut lutter contre son dépeuplement (Ono accuse une baisse de 34,6% d’habitants entre 1965 et 2015, les prévisions tablent sur moins 25% entre 2010-2040) en attirant les entreprises et de nouveaux habitants. Nombre de villes japonaises subissent toujours une fuite de leurs habitants vers les grandes villes comme Kyoto et Tokyo.
La ville, en partenariat avec l’Unicef, intervient aussi à l’étranger, notamment au Timor-Leste (pays d’Asie du Sud-Est) pour sensibiliser les habitants sur la protection d’eau et y financer la construction d’infrastructures de distribution d’eau dans six villages. Infrastructures dont le pays manque cruellement : le Timor-Leste se trouvant dans la région la plus dépourvue en eau d’Asie. Le financement, dont le montant est de 100 000 dollars par an pour un partenariat de trois ans, se fait par financement participatif et des initiatives locales : dons, ventes de charités, marathon de l’eau d’Ono où 10 yen sont versés par kilomètre parcouru. Des actions qui dans le même temps font prendre conscience aux habitants d’Ono leur chance de vivre dans une région où l’eau est abondante. En mars 2018, des jeunes Timorais se sont rendus à Ono pour étudier les sciences de l’eau et la gestion innovante des ressources aquatiques. À l’avenir la ville d’Ono prévoit de garder des liens d’amitié avec les localités où elle est intervenue, des échanges économiques et culturels entre les deux pays sont envisagés pour un enrichissement réciproque.
Autre ambition du projet « Prenons soin de l’eau » au niveau national et international : la création d’une « école de l’eau ». Alors que 11% de la population mondiale n’a pas accès à de l’eau potable selon les estimations de l’Unicef, la ville d’Ono, consciente de sa situation exceptionnelle, s’engage dans des actions à portée mondiale pour partager son savoir sur l’eau, sensibiliser les populations sur la valeur de ce bien vital. Pour commencer au Japon même, la ville en partenariat avec l’Unicef Japan et le soutien d’entreprises partenaires a crée en 2017 un « livre de l’eau » poussant la réflexion sur la valeur de l’eau, son manque dans certaines parties du monde qui engendre des guerres et présentant des solutions en prenant exemple sur ce qui s’est fait à Ono et au Timor. Le livre a été diffusé à hauteur de 40 000 exemplaires dans des écoles, collèges, lycées japonais (et même des entreprises) . À la demande de certains établissements, cette démarche a été complétée par des cours et l’envoi de livres supplémentaires. Au sein de la ville même, « Prenons soin de l’eau » agit pour que les générations suivantes puissent continuer à bénéficier de cette ressource et la gérer correctement. Elle intervient dans les écoles et développe des activités qui engagent les habitants aux côtés de la collectivité pour améliorer la protection de son environnement aquatique (via l’arrosage des rizières, la reforestation), sensibiliser la population à la chance de disposer aisément d’eau et développer la solidarité envers les régions qui en sont dépourvues.
La ville met aujourd’hui en ligne et à disposition de tous son savoir sur l’eau (notamment sur la préservation des nappes phréatiques depuis 1969), les études et les recherches qu’elle continue de mener sur le terrain avec le soutien d’universités (de Tsukuba, de Kagawa, de Dôshisha, de Waseda, du Kansai) et de centres de recherches (Research Institute for Humanity and Nature, le département d’information du territoire du Ministère du Territoire, des Infrastructures, des Transports et du Tourisme, le National Institute for Land and Infrastructure Management). Le projet est toujours à la recherche de nouveaux partenaires pour développer son réseau et porter son message le plus loin possible via des conférences. Dernièrement, une délégation s’est rendue en France pour envisager la possibilité de développer des échanges multiples sur la culture, la gestion de l’eau, la solidarité et l’éducation. À terme l’établissement d’un jumelage entre des collectivités locales et Ono est espéré.
Au Japon des citoyens bénévoles ayant à cœur le développement de leur région ont donné une série de séminaires intitulée « Découvrir la ville d’Ono à travers son eau » à Tokyo et Ono entre décembre 2017 et mars 2018. Un moyen pour Ono de promouvoir son identité, de favoriser les échanges et d’étoffer son réseau d’acteurs. Le 1er août 2017, le projet a publié un manifeste dans le journal Nikkei exposant ses actions, son désir de devenir le leader d’un univers plus reconnaissant envers l’eau (en coopération avec le monde) et de transmettre au plus grand nombre la valeur de l’eau et un sentiment d’entraide. Des engagements qui ont valu à « Prenons soin de l’eau » de recevoir le Prix du ministère de l’environnement et le prix environnement lors de la 66ème édition du concours de Publicité du journal Nikkei.
Les efforts de la fondation « Prenons soin de l’eau » s’inscrivent dans une politique de développement durable qu’il est devenu crucial de poursuivre pour la survie de l’humanité confrontée au changement climatique et pour créer un monde moins inégalitaire. Et pour cause, l’eau pourrait devenir une denrée bien plus rapidement que nous le pensons. L’ONU rappelle que, sans actions fortes protéger cette ressource, le monde devra faire face à un déficit hydrique de 40 % dès 2030.
S. Barret
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Sources : communiqué de la fondation « Prenons soin de l’eau » / carrying-water-project.jp