Les yôkai, ces apparitions étranges et esprits du folklore japonais, sont des créatures fascinantes. Bien qu’il en existe des milliers, les histoires de yôkai mentionnent la plupart du temps un seul type de monstres à la fois ! On peut alors se demander ce qui se passerait si une centaine d’entre eux venaient à se réunir pour parader pendant que les vivants dorment…

En réalité, les histoires mettant en scène la réunion de différents yôkai sont rares mais existent bel et bien et fascinent les Japonais depuis très longtemps.

Selon ces récits, des centaines de yôkai se réunissent à certaines périodes de l’année pour parader de nuit dans les villes japonaises. Mais gare aux humains qui se trouveraient sur leur chemin !

Un Hyakki Yakô Emaki exposé au musée national de Tokyo. Source : commons.wikimedia.org

À quoi ressemblent les Hyakki Yakô, les parades de yôkai ?

Hyakki Yakô 百鬼夜行 (ou Hyakki Yagyô) signifie littéralement « la parade nocturne des cent démons » et cette parade porte plutôt bien son nom. Elle réunit différents yôkai bien connu du folklore nippon qui sortent les nuits d’été, selon de vieux récits, pour parader dans les rues des villes du Japon.

Il est possible de voir une parade de yôkai assez impressionnante dans le film d’animation Pompoko, réalisé par le studio Ghibli. Si dans Pompoko les monstres de la parade semblent plutôt inoffensifs et amuser les habitants de la ville, les histoires de parades de yôkai plus « classiques » sont beaucoup moins sympathiques… Il faut savoir que toute personne qui s’aventure dehors pendant la parade et qui tombe nez à nez avec les yôkai en question prend en effet le risque de se faire dévorer tout cru par ces derniers.

Extrait du film Pompoko, Studio Ghibli.

Les récits consacrés aux parades Hyakki Yakô sont très populaires, les plus anciens datent même de l’époque de Heian (794-1185). Ces récits mettent souvent en scène des nobles qui tombent par hasard sur une parade de yôkai alors qu’ils se rendaient à Kyôto, l’ancienne capitale du Japon. On trouve par exemple l’histoire d’un cortège composé d’un noble et de ses serviteurs tombant nez à nez avec une parade fantomatique. Les Oni de la parade, ces démons japonais, s’en donnent alors à cœur joie et détruisent le cortège avec leur massue, pendant que d’autres yôkai y jettent des boules de feu… Les montres du cortège sont ainsi souvent représenté ayant des comportements erratiques ou violents.

Le noble réussit à s’enfuir et à se cacher dans un coin où il prie jusqu’à ce que le jour se lève et fasse disparaître la petite troupe de monstres qui s’est bien amusée toute la nuit. Il semble aujourd’hui assez évident que les yôkai de ces histoires s’inspirent des groupes de bandits qui s’attaquaient aux voyageurs de nuit. Pour cause, dans l’antiquité, parcourir les chemins à travers le Japon représentait le plus grand risque de perdre la vie pour les familles nobles et riches marchands, à l’exception des conflits entre les clans. Les histoires des survivants de ces attaques se sont amplifiées et transformées pour alimenter des légendes urbaines primitives, dont celle-ci.

Qui compose cette parade et quel est leur chef ?

La parade des Yôkai, par Kawanabe Kyôsai. C.C. Wikimedia

En fonction des récits rapportés, les yôkai qui composent ce genre de cortège ne sont pas les mêmes. Néanmoins le type de yôkai qui revient le plus souvent est le tsukumogami 付喪神. Les tsukumogami sont des yôkai un peu particuliers puisque ce sont des objets du quotidien, comme des tasses à thé, un parapluie ou un simple éventail qui deviennent des yôkai après avoir longtemps servi leur maître.

Le tsukumogami le plus connu est sans aucun doute le Kasa-obake, un yôkai à la forme de parapluie. Ces objets du quotidien prennent vie une fois qu’ils atteignent cent ans… Ils ne sont pas possédés ou enchantés, mais deviennent tout simplement des êtres animés avec une existence propre. Au moment où ces objets prennent vie, il leur pousse alors des bras, des jambes, des yeux… bref tout ce qui peut leur servir pour se mouvoir parmi les humains.

Pourquoi ces objets du quotidien deviennent-ils des yôkai ? Parce que pendant toutes ces années d’existence, ils ont souvent été délaissés par les humains. Ils profitent alors du fait de devenir vivants pour se venger gentiment de leur ancien maître. Si la plupart du temps leur vengeance est plutôt inoffensive et se limite à faire peur, certains tsukumogami belliqueux vont quand même jusqu’à tenter de tuer leur maître… De quoi y réfléchir à deux fois avant de ranger sa vieille théière au fond d’un placard et de l’oublier à vie !

Nurarihyon, le chef des yôkai. Source : commons.wikimedia.org

Si la liste des yôkai qui composent la parade dépend des récits, la plupart des histoires s’accordent pour mentionner un seul et même chef… eh oui, même chez les yôkai, il faut bien un chef pour contrôler les autres et maintenir une certaine cohésion. On pourrait croire que leur chef soit un yôkai impressionnant comme le Oni, un démon immense et puissant, ou alors un monstre sanguinaire, mais pas du tout ! Il s’agit d’un vieux bonhomme « sage » …

Le chef des yôkai n’est en réalité pas très connu ni très imposant physiquement. Il s’agit de Nurarihyon ぬらりひょん, un vieil homme reconnaissable grâce à la forme de son crâne déformé. Nurarihyon fait partie de ces yôkai inoffensifs qui s’amusent du malheur des humains. Lorsque vous êtes chez vous, en train de faire à manger, Nurarihyon entre et s’assoit à votre table comme s’il faisait partie de votre famille, attendant lui aussi d’être servi, sans dire un mot. L’aplomb avec lequel il s’installe chez les gens est tel qu’ils n’osent pas le virer de chez eux… Nurarihyon joue avec nos peurs les plus primitives mais sans vouloir nous enlever la vie. Ce serait trop facile… Attention tout de même à ne pas lui manquer de respect !

Comment se protéger de la parade ?

Le meilleur moyen de ne pas se faire tuer par les yôkai le soir des parades est assez simple : ne pas sortir et rester cloîtré chez soi ! Mais voilà, il n’est pas toujours possible de suivre ce conseil, alors heureusement il existe une astuce pour ne pas mourir dans d’atroces souffrances…

Il suffit tout simplement de réciter des sutra spéciaux, comme celui-ci : « Ka-ta-shi-ha-ta, e-ka-se-ni-ku-ri-ni, ta-me-ru-sa-ke, te-e-hi, a-shi-e-hi, wa-re-shi-ko-ni-ke-ri ». Il s’agit en réalité de phrases qui contiennent l’expression « Je suis un ivrogne » ! un aveu semblant protéger de la mort… les yokaï n’aimant pas le goût de la viande alcoolisée. Peut-être aussi prennent-il pitié pour ces êtres en souffrance finalement pas si éloignés d’eux.

Extrait du Hyakki Yagyô-zu, réalisé par Tosa Mitsunobu. Source : commons.wikimedia.org

Il existe également un moyen de savoir quand la parade de yôkai a généralement lieu, ce qui permet aux habitants de faire plus attention qu’à l’accoutumée. Les nuits pendant lesquelles les yôkai sortent dans les villes ont un rapport étroit avec les signes du zodiaque chinois qui ont largement influencé le Japon.

Ainsi, pour les mois de janvier/février, il s’agit du jour du rat; pour mars/avril du jour du cheval; pour mai/juin du jour du serpent; pour juillet/août du jour du chien; pour septembre/octobre du jour du mouton et pour novembre/décembre du jour du dragon. Des dates nécessairement calquées sur le calendrier lunaire et donc la présence plus ou moins visible de la lune dans le ciel. Voilà qui fait sens, pour des apparitions étranges nocturnes…

Les emaki sur le thème de la parade

Les emaki sont des rouleaux illustrés narratifs, appelés enluminures en français. Ces rouleaux peint à la main sur plusieurs mètres étaient très populaires dans l’antiquité et permettaient de raconter des histoires longues et détaillées avant l’apparition des livres. Ils diffèrent aussi des Ukiyo-e qui viendront plus tard dans l’histoire. Parmi les thèmes les plus souvent illustrés, on retrouve celui de la parade des yôkai. Ces rouleaux étaient alors connus sous le nom de Hyakki Yakô Emaki 百鬼夜行絵巻. Pièces de musée, ils sont aujourd’hui excessivement rares et précieux.

Pas moins de 60 rouleaux nous sont parvenus sur ce thème, dont le plus connu est sans doute le Hyakki Yagyô-zu, conservé dans le Shinju-an du temple Daitoku-ji 大徳寺 à Kyôto. Cet emaki, datant du XVIe siècle, fut réalisé par Tosa Mitsunobu. Il est si réputé qu’il fut classé « Bien culturel important du Japon ».

  

Si comme nous, vous vous demandiez ce qu’il se passait quand les yôkai se réunissent la nuit en secret, vous avez maintenant la réponse. Même si l’expérience doit être impressionnante, évitez de tomber sur cette parade de yôkai et retenez bien les conseils de Poulpy !

Claire-Marie Grasteau

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