C’est un temps fort de l’année pour les maikos et geikos de Kamishichiken. Chaque 25 février, elles célèbrent la Baikasai 梅花祭, soit le « festival des fleurs de prunier ». Un hommage à la beauté des pruniers mais aussi à la mémoire d’un important personnage historique devenue divinité. Immersion dans cette tradition locale.

Si, chaque février, la Baikasai honore les pruniers en fleurs, notamment à travers une cérémonie du thé tenue en public sous ces arbres aux fleurs tout juste écloses, il commémore également la mort de Sugawara no Michizane 菅原道真 (845-903).

La maiko Katsuru, préparant le thé selon le style ryûrei. Par @Onihide, flickr

Qui est Sugawara no Michizane ?

Sugawara no Michizane 菅原道真 est un célèbre lettré et ministre reconnu pour son talent de poète à l’époque Heian (794-1185). L’érudit fut chassé de la cour impériale suite à une accusation de complot contre l’Empereur fomentée par le puissant clan Fujiwara. Après sa mort solitaire, en exil à Kyûshû, une série de catastrophes touche alors la capitale.

La mort frappe prématurément plusieurs de ses ennemis, la foudre tombe plusieurs fois sur la « Salle des Grandes Audiences » du palais impérial et des semaines de pluies intenses provoquent des inondations. La légende veut que son esprit tourmenté (onryô 怨霊) soit revenu se venger sous l’aspect d’un dieu du tonnerre.

L’esprit de Sugawara no Michizane tenant des livres. Artiste : Suzuki Kason (1860-1919) ; Titre : Les diseurs de bonne aventure ; Source : ukiyo-e.org

C’est pour apaiser son esprit que la cour impériale ordonne donc l’édification du sanctuaire Kitano Tenman-gû 北野天満宮 en 947. La réputation salie de son vivant, l’honneur de Sugawara no Michizane est rétabli après sa mort. Ses rangs et titres lui sont rendus, et il est même élevé au rang de divinité en 986.

Il fut depuis lors assimilé à Tenjin 天神, dont la figure passe au fil du temps de dieu vengeur de la foudre à celle d’un protecteur des lettres et des études.

Son culte se répandra à travers plus de mille sanctuaires et le Kitano Tenman-gû deviendra l’un des vingt-trois kanpei-chûsha, soit un sanctuaire impérial de deuxième rang.

De nos jours, le Japon compte toujours un grand nombre de sanctuaires dédiés à Tenjin. Il faut dire que cette divinité est particulièrement appréciée des étudiants qui viennent le prier pour s’assurer le succès de leurs examens.

Plus de 1 500 pruniers de 50 variétés différentes s’épanouissent au sein du sanctuaire Kitano Tenman-gû, car il s’agissait de l’arbre préféré de Sugawara no Michizane. L’un de ses plus célèbres poèmes waka les mentionne en ces termes :

Kochi fukaba 東風吹かば
nioi okose yo にほひをこせよ
ume no hana 梅の花
aruji nashi tote 主なしとて
haru o wasuru na 春を忘るな

Lorsque souffle le vent de l’est,
répandez votre parfum,
oh, fleurs de prunier !
Même si votre maître est parti,
n’oubliez pas le printemps

Le poète, alors contraint de quitter Kyôto pour s’exiler à Dazaifu, y exprime sa tristesse à l’idée de quitter définitivement le prunier qui orne sa résidence. Selon la légende, ce même prunier s’envola pour rejoindre le sanctuaire Dazaifu Tenman-gû construit sur la tombe de son maître en 905. Le prunier volant, Tobi-ume 飛梅, ainsi qu’il fut nommé, se trouve toujours dans l’enceinte de ce sanctuaire.

Le Tobi-ume, au Dazaifu Tenman-gû. Source : Kazuhiro Okada, flickr

Depuis 900 ans, la mémoire de Sugawara no Michizane est honorée au Kitano Tenman-gû chaque 25 février, jour anniversaire de sa mort. Pour apaiser l’esprit de Tenjin, les prêtres effectuent des rituels à l’intérieur et à l’extérieur du sanctuaire. Cette commémoration attire la foule, désireuse d’admirer les fleurs de prunier et d’assister à la cérémonie du thé que tiennent les membres du hanamachi voisin (Hanamachi, 花街 quartiers dans lesquels vivent et exercent les geishas.).

Par @Onihide, flickr

Cérémonie du thé

Chaque fin février donc, les maikos et geikos de Kamishichiken président une cérémonie du thé en plein air (nodate 野点) entre 10h et 15h. Cet événement remonte à 1952, année qui marqua les 1050 ans de la mort de Sugawara no Michizane. Cette cérémonie s’inspire de la Kitano ochakai, une cérémonie du thé historique tenue en 1587 de par la volonté de Toyotomi Hideyoshi (), l’un des trois unificateurs du Japon.

Les opportunités d’approcher de près les célèbres maikos et geikos de Kyôto et d’échanger quelques mots avec elles étant rares, le monde afflue pour profiter de l’occasion.

En conséquence, le nombre de participants à la cérémonie du thé doit être limité à 3 000 personnes, le ticket d’entrée vendu au sanctuaire coûtant 1 500 yens. Les gens arrivent tôt pour se garantir une bonne place et peu d’attente.

Les participants prennent place sous une tente dressée dans l’enceinte du sanctuaire. Les plus chanceux seront assis au centre en seiza  (正座, « assise correcte »), au plus proche des maikos et geikos, les autres sont installés à l’une des tables délimitant le pourtour de l’espace.

Maiko Umeraku, portant un magnifique kimono rouge. Par @Onihide, flickr

Sous l’œil attentif de ce public, plusieurs maikos et geikos s’attellent à la préparation du thé matcha, soit en position seiza à même le sol selon le style Hakobi, soit à une table selon le style Ryûrei.

Un bol de thé sera servi par une maiko ou une geiko à chacun des convives, accompagné comme il se doit d’un wagashi. Il convient de déguster cette pâtisserie traditionnelle juste avant de boire le thé pour en atténuer l’amertume.

Devant le nombre important de personnes à servir, maikos et geikos sont aidées d’assistantes pour préparer tous les bols de thé nécessaires. Les groupes d’invités se succèdent aussi à un rythme bien plus soutenu que le strict respect du chanoyu ne le préconise !

La Baikasai demeure un des rares moments où n’importe qui peut admirer de près geikos et maikos dans leurs splendides atours, on ne saurait alors trop vous conseiller d’y assister si l’occasion se présente.

Maiko Ichimame. Par @Onihide, flickr

– S. Barret