Au Japon le tourisme est devenu un enjeu gouvernemental. Les autorités comptent attirer dans l’Archipel pas moins de 40 millions de visiteurs étrangers d’ici 2020 pour les Jeux Olympiques de Tokyo. Pour l’année fiscale 2018, la barre des 30 millions avait déjà été franchie. De quoi réjouir autorités et commerçants mais à l’inverse exaspérer les populations locales qui voient leur quotidien chamboulé par l’afflux de touristes pas toujours respectueux. À Kyoto ce phénomène est à ce point palpable qu’une campagne pour rappeler les bonnes manières aux touristes a été menée dans le quartier de Gion…

La ville de Kyoto, ancienne capitale du Japon, est connue pour être la « gardienne des traditions ». Son charme ancien préservé, ses 2 000 temples et sanctuaires ainsi que ses célèbres geishas en font une destination prisée des touristes japonais comme étrangers. Mais les habitants de la cité étouffent désormais sous les foules de touristes toujours plus nombreux qui envahissent ses rues, les transports en commun, les restaurants. C’en est au point que pour certains locaux, Kyoto aurait perdu l’aura de raffinement et de sérénité qui la caractérisait.

Geiko - Gion, Kyoto 4
Crédit : David Mills / Flickr

Le nombre de touristes – étrangers et japonais confondus ! – qui se rend annuellement dans la ville de Kyoto a dépassé la barre des 50 millions objectif des autorités de la ville en l’an 2000 pour atteindre en 2015 le nombre record de 56,84 millions de visiteurs ! Soit, pour la seule ville de Kyoto, largement plus que le nombre d’étrangers total foulant l’entièreté du Japon en une année. Les offres d’hébergement se sont développées en conséquence et en 2017 Kyoto était en mesure d’accueillir 3,53 millions de personnes par nuit. Rappelons que la population de la ville s’élève quant à elle à 1,468 million d’habitants ! Soit trois fois moins. Le décalage entre locaux et touristes est tout simplement impressionnant. Mais au-delà du nombre important de touristes, ce qui pose particulièrement problème, c’est le manque de savoir-vivre de certains visiteurs étrangers. Au point où dans le quartier de Gion a été organisée le 14 mai dernier une campagne de prévention.

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Dès qu’elles sortent, maikos & geikos de Gion sont assaillies par les touristes qui espèrent décrocher le meilleur cliché.

Le quartier de Gion est connu pour ses maikos et geikos. Il attire en conséquence nombre de visiteurs désireux d’apercevoir l’une de ces jeunes femmes, incarnation de la beauté traditionnelle nippone. Malheureusement, depuis de nombreuses années déjà, des touristes font souvent preuve d’irrespect en approchant de trop près les maikos et geikos, les empêchant de circuler alors qu’elles doivent se rendre rapidement à leurs rendez-vous. Certains n’hésitent pas à mettre leur appareil photo quasiment sous leur nez ! Paradoxe amusant, ces touristes sont tellement à l’affût que les fausses maikos sont tout autant mitraillées, alimentant abondamment les comptes Instagrams de multiples « fakes ».

« Les vrais maikos et geikos sont plutôt difficiles à approcher » nous explique Junko, photographe japonaise passionnée par cet univers depuis des années. « Les fakes sont nombreuses mais rares sont les touristes à le réaliser. Pourtant, pour les initiés, la différence saute aux yeux. » Quant aux photographies originales qu’il est possible d’observer sur Internet, notamment sur Mr Japanization, où de véritables geikos posent volontairement face à l’objectif, elles nécessitent le plus souvent un certain investissement financier et des démarches pour rencontrer ces professionnelles dans un cadre sécurisé, avec leur pleine collaboration.

Crédit : Mainichi/Ai Kawahira
Crédit : Mainichi/Ai Kawahira

Dans les règles de l’art, il faut idéalement demander l’autorisation avant de prendre un cliché ainsi que le nom de la geiko/maiko. Mais l’effet du nombre élimine toutes formes de politesse élémentaire. Il y eut même des cas – heureusement rares – où des maikos furent tirées par les cheveux ou retenues par leur kimono pour les forcer à s’arrêter ! On imagine sans peine le déplaisir et le stress permanent que cela occasionne chez ces femmes, traquées comme des bêtes de foire. Mais leur éducation oblige, elles ne peuvent se permettre de rappeler à l’ordre les malpolis et doivent se contenter de subir ces assauts sans faire de commentaire.

Des touristes se font aussi remarquer par les détritus (mégots, restes de nourriture) qu’ils abandonnent dans les lieux publics. Pour sensibiliser les touristes, le 14 mai dernier, un stand des bonnes manières a été installé à Gion. Un comité de résidents accompagnés d’une maiko et deux futures maikos ont distribué des petits présents et des prospectus en trois langues rappelant les bonnes manières. La ville a tenté de remédier à ces débordements en installant également des panneaux, des caméras de sécurité et des voitures de police patrouillent la zone en diffusant des rappels à l’ordre en plusieurs langues.

Panneau rappelant les comportements interdits. Source : flickr

Si l’affluence qui touche le quartier de Gion est symptomatique du problème causé parle tourisme de masse à Kyoto, ce n’est pas le seul quartier touristique victime de sa célébrité. Ainsi, dans la bambouseraie d’Arashiyama, on a retrouvé des bambous gravés par des touristes irrespectueux qui voulaient laisser une trace de leur passage.

Pour aider à désengorger les sites populaires, les autorités ont testé en novembre et décembre dernier un système en ligne renseignant en direct le nombre de personnes présentes sur un site. Le système ingénieux mesure le nombre de smartphones connectés au wi-fi local, ce qui permet aux autres touristes de reporter à une heure creuse leur visite. La ville prévoit également de promouvoir d’autres sites aux environs de Kyoto pour y rediriger les foules et ainsi mieux les « diluer » dans la cité.

La popularité de Kyoto ne se démentant pas, il faut aujourd’hui compter sur des initiatives de ce genre pour arriver à faire cohabiter le plus paisiblement possible habitants et touristes. Voilà qui n’est pas gagné d’avance…

Cérémonie du thé. Photographie par Mr Japanization. Tokyo. Mai 2019.

S. Barret


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