« Le Mal n’existe pas » : œuvre écologiste japonaise qui invite à la contemplation

Nouveau chouchou japonais du cinéma mondial, Ryusuke Hamaguchi revient sur les écrans français avec « Le Mal n’existe pas ». Tourné en pleine campagne japonaise, il nous montre que le bonheur se cache parfois dans l’évident, ce que l’on a sous les yeux mais qu’on ne voit plus… Une œuvre écologiste qui invite à la contemplation, non sans faire un portrait triste mais touchant de ceux qui s’en sont éloignés.

La Mal n’existe pas est le nouveau film de Ryusuke Hamaguchi, déjà aux manettes de Drive my Car et Contes du hasard et autres fantaisies que nous avions beaucoup aimés. La genèse du projet est en elle-même originale. Tout commence quand la compositrice Eiko Ishibashi – qui a signé la musique de Drive my Car – demande au réalisateur de filmer des images pour les diffuser pendant ses concerts. Hamaguchi s’exécute et, trouvant le résultat très à son goût, décide finalement d’écrire une histoire autour et d’en faire un long-métrage que nous découvrons quelques mois plus tard.

Nous y suivons Takumi et sa fille Hana qui vivent paisiblement dans le village enneigé de Mizubiki, non loin de Tokyo. Comme leurs aînés avant eux, ils mènent une vie modeste en harmonie avec leur environnement. Pourtant, un étrange projet de construction d’un glamping (contraction des mots « glamour » et « camping ») dans le parc naturel voisin, offrant aux citadins une échappatoire artificiel tout confort vers la nature, va mettre en danger l’équilibre écologique du site et affecter dangereusement le quotidien des villageois.

Le Mal n’existe pas : ode à la lenteur et au temps qui passe

Le début du film vise à décontenancer, encore plus quand le spectateur est, lui-même, bien loin de la réalité du village de Mizubiki. On découvre en effet une vie faite de gestes qui échappent à tout citadin. Alors nous voyons, pendant de longues minutes, des scènes répétitives. Des branches croisant le ciel, Takumi et un ami qui remplissent des bidons d’eau à la source de la rivière, le même Takumi qui coupe des bûches de bois pour se chauffer, la jeune Hana qui n’a pas attendu son père pour rentrer de l’école… Oui, le début de Le Mal n’existe pas prend son temps mais c’est exactement ce que veut le réalisateur.

La simplicité, c’est aussi l’art du temps long. Il souhaite ainsi, par la répétitivité, que ces images s’impriment dans nos têtes pour qu’on ne les oublie pas. Pourquoi ? Pour nous les resservir plus tard, en écho, au plan près, avec un intrus qui vient en pervertir l’équilibre premier.

Car c’est bien ce mot, « équilibre », qui est en jeu dans ce village. Celui entre l’homme et le temps, la nature et le calme. Et s’il est en danger, c’est par l’intrusion de personnes qui s’y retrouvent par hasard et qui le (re)découvrent, comme si elles en avaient quasiment oublié l’existence.

Le profit par nature

Le village est en effet le théâtre d’un drôle de projet de « glamping », soit un camping de luxe pour citadins qui veulent bien profiter de la beauté des paysages mais sans y sacrifier leur confort. L’histoire du film bascule lors d’une présentation aux villageois des infrastructures que cela va exiger. Les deux Tokyoïtes présents, loin de la réalité du terrain, sont plutôt fiers de leur Powerpoint et confiants de la force de leurs arguments. Mais ils déchantent très vite.

La construction du complexe va amener avec elle une pollution de l’eau de la rivière dans laquelle se servent les villageois et elle se trouvera sur un sentier que traversent les cerfs. Aucun argument n’y fera rien : la seule solution pour éviter le pire serait d’annuler le projet. Mais le capitalisme dévorant n’a que faire de transformer un paradis en cauchemar écologique tant que les poches se remplissent de yens bien frais.

Comme on nous le dévoile ici, les projets sont étudiés par des experts qui n’ont jamais mis les pieds dans le village et sont bien loin des préoccupations réelles du terrain. Les envoyés de la société annoncent par exemple que le projet aidera les commerces de la ville, mais se voient répondre que, des boutiques, il n’y en a quasiment pas ici, alors à qui profite le crime ? Pourtant, face à cet état de fait qui pourrait facilement déboucher en combat caricatural entre « gentils et méchants » , le réalisateur préfère nuancer le propos.

L’aphone ou la flore ?

Takahashi et Mayuzumi, les envoyés de la capitale finalement plus ignorants que malfaisants, bien que du mauvais côté au départ, se rendent vite compte que le projet sur lequel ils travaillent n’est pas vraiment positif. Ils décident donc de revenir dans la petite ville pour en goûter le quotidien, cette fois guidés par Takumi qui, à leurs yeux, fait figure de sage. Et si leurs voix ne comptent pas face aux exigences de leur patron, là, loin de se sentir fourmis asservies dans une cité tentaculaire, ils retrouvent le goût de l’effort et des petites attentions. Même si entendre Takahashi dire qu’il se sent heureux pour la première fois depuis longtemps après avoir coupé un rondin de bois fait sourire, on sent qu’il ne peut être plus sincère. Le film est plein de ces petits plaisirs simples qui donnent un sens de liberté à la vie.

Cela se ressent également dans la mise en scène de Hamaguchi. Certains plans sont très beaux, très léchés. D’autres se suivent dans un montage abrupt aux coupes sèches et sans transition musicale. On passe d’une partition de violons à un bruit de moteur sans nous prévenir, mettant de côté tous les artifices qui auraient rendu les choses plus fluides. La fin du film – dont nous ne vous dévoilerons rien – est la plus belle illustration de cette envie de casser les codes. Elle vous laisse sans voix, sans explication, comme une bombe à retardement cachée sous la neige depuis le début et dont le champ des oiseaux cachaient le tic-tac.

Le Mal n’existe pas est un film libre qui questionne sur la nature humaine, ce capitalisme qui ruine l’écologie, la définition du bien et du mal et bien d’autres sujets. C’est une œuvre qui surprend et fait réfléchir, ce qui en fait un long-métrage à ne pas rater pour celles et ceux qui aiment un cinéma différent qui prend des risques et les assume.

Il est à découvrir au cinéma en France depuis le 10 avril.

Stéphane Hubert