Vivre au Japon dans une vieille maison traditionnelle en bois, dans un cadre naturel digne d’un Ghibli, avec de jolies tuiles grises finement décorées et des tatamis, c’est un rêve pour beaucoup, c’est le nôtre également. Depuis des années, les médias nous racontent que le Japon distribuent gratuitement des maisons. 8 millions d’entre elles attendraient acquéreur, peut-on lire ici et là. Vraiment ? C’est un peu plus compliqué que ça… Déconstruction d’un mythe.

C’est un marronnier médiatique. Régulièrement, on voit passer des articles qui nous donnent l’eau à la bouche : le Japon distribuerait des magnifiques maisons gratuitement par millions ! Les fameuses Akiya. Ce sont des médias généralistes, pas forcément spécialisé sur le Japon, qui le disent. « Devenez gratuitement propriétaire d’une maison au Japon ! » titre latina.fr. « Qui veut ? Des maisons de campagne gratuites au Japon » propose ParisMatch. « Au Japon, on vous offre des maisons à retaper » rajoute Slate. Tous ces articles sont ponctués de splendides photographies de maisons en bois parfaitement habitables. Bref, partout, un même son de cloche qui enivre les fans du Japon et surtout, les mêmes fausses photographies. Ça vend du rêve.

Ce qu’ils te montrent…

Pour notre part, voilà 5 ans que nous cherchons activement une maison traditionnelle à restaurer au Japon. Pour ce faire, nous avons voyagé à travers tout l’archipel, visités des dizaines de maisons et comparé toutes les situations géographiques possibles. Curieusement, nous n’avons jamais vraiment croisé ces fameuses maisons gratuites qui font les gros titres des médias étrangers. Pourquoi ? Quel est le vrai du faux ? Offre-t-on vraiment des maisons japonaises sans condition ? C’est ce que nous allons voir à travers notre propre expérience dans l’acquisition d’une maison ancienne.

Akiya, ces « maisons » gratuites dont personne ne veut (même pas vous) …

Avant tout, le terme Akiya ne signifie pas qu’une maison est gratuite. On peut traduire le mot par « maison vide » ou abandonnée, sans plus. Et elles sont effectivement loin d’être rares. Comme chacun sait, le Japon souffre d’un exode rural très important depuis plusieurs décennies. Les populations se concentrent de plus en plus dans les métropoles et les zones rurales sont abandonnées, ce qui génère des déserts économiques habités principalement par des personnes âgées.

Quand celles-ci décèdent, leurs maisons sont très souvent laissées à l’abandon par la famille. Avec un faible taux de natalité, nombre de maisons ne trouvent pas d’héritier et restent là, à pourrir sur place, attaquées par les affres du temps. Quand bien même il y aurait un héritier, vendre une maison perdue loin de tout relève de l’impossible, surtout quand celle-ci est en piteux état. Ainsi parle-t-on d’Akiya pour décrire ces maisons « fantôme » qui pourrissent sur place. Et elles ne sont pas forcément gratuites.

Pour comprendre le phénomène des Akiya, il faut intégrer le fait que les maisons japonaises ne sont pas construites pour durer. Les japonais n’ont pas cette culture de « la brique dans la ventre » comme en occident, notamment en raison des spécificités météorologique et géologiques. Ici, on détruit et on reconstruit, sans cesse. Tremblements de terre incessants et typhons réguliers ont conduit à concevoir l’habitat de manière relativement temporaire, sur une génération. La véritable valeur pour un japonais, c’est surtout le terrain et sa localisation. La maison en elle-même – sauf cas spécifiques – a relativement peu de valeur à leurs yeux. Enfin, le consommateur japonais « moyen » ne partage pas forcément cet amour qu’ont les occidentaux pour les vieilles maisons en bois, fragiles, humides et difficiles à chauffer. Ceux-ci préfèrent la sécurité et le confort de la modernité. Une Akiya est ainsi surtout perçue un gouffre financier potentiel, dans une région sans travail, donc sans avenir économiquement stable. Bref, ça ne fait pas rêver les japonais.

Mais alors, elles existent vraiment ces maisons gratuites ?

Admettons que vous soyez rentier ou que jouissiez d’un télé-travail stable. Pourquoi ne pas aller vivre loin de tout et bénéficier d’une maison gratuite ? Existent-t-elles vraiment ? Pour le savoir, on peut se tourner vers Matt Ketchum, connu en ligne sous le nom de “The Akiya Hunter”. Expatrié au Japon depuis 2009, le jeune américain s’est spécialisé dans le commerce des vieilles maisons japonaises abandonnées. Interrogé par le Tokyoweekender, il expose les nombreuses intox qui entourent le mythe des maisons gratuites au Japon.

Il explique que, très régulièrement, la presse internationale lance des gros titres sur des maisons japonaises offertes pour « zéro euro » par certaines municipalités. Souvent, ces articles ne donnent pas de détails, aucun lien concret et vendent du rêve plus que des solutions, décrit-t-il. À titre d’exemple, en 2022, un article concernant des maisons gratuites données à Toyama a fait le buzz. En creusant un peu, on découvre sur le site de la municipalité, exclusivement en japonais, que la liste est maigre. On y trouve moins de 10 maisons, dont la majorité sont au bord de l’effondrement, petites et disgracieuses. On est bien loin du rêve vendu par les médias. Les rares Akiya « gratuites » sont des ruines dont personne ne veut pour des raisons très concrètes.

Une Akiya gratuite ressemble bien souvent plus à ça qu’à autre chose…

Pour cause, il faut avoir conscience que rien n’est gratuit, surtout au Japon où le capitalisme règne. Les Akiya, en plus d’être isolées géographiquement, sont généralement dans un état lamentable. Une maison abandonnée va vous demander un investissement important en terme de mise en conformité et de rénovations. Parfois même, vous serez obligé de détruire la structure devant un risque imprévu d’instabilité (il suffit parfois d’une simple poutre rongée par les vers dont certains peuvent atteindre plusieurs centimètres de large). Ne parlons pas du prix du chauffage dans ces vieilles maisons sans aucune isolation. Sans oublier les assurances dont les coûts s’envolent avec l’âge de la maison. Le coût total d’une Akiya « gratuite » peut s’avérer ainsi supérieur à ce que vous allez payer pour une maison plus classique et surtout plus sécurisée.

Enfin, la majorité de ces maisons gratuites n’ont rien d’un conte de Miyazaki. Beaucoup furent construites au cours du 20eme siècle, sans grande commodité et n’ont pas le charme que les étrangers s’imaginent. En occident, on parlerait volontiers de taudis… Les plus belles maisons traditionnelles, celles qui ont la chance de tenir encore debout, se comptent sur les doigts d’une main. Elle terminent vendues à prix d’or sur les sites de vente privée comme Suumo.

Résidence de samurai (Edo) en vente pour 500,000 euros sur un site spécialisé.

En termes simples, c’est un véritable enfer pour mettre la main sur une Akiya qui en vaudrait vraiment la peine. Tout ça avant même de considérer les conditions d’accès à la propriété, le coût important des rénovations, la possibilité que la structure soit rongée par les champignons, considérer de vivre loin de tout confort, soins et magasins, voire même que l’habitation ne se trouve dans une zone à fort risque de catastrophes naturelles. Ne parlons pas des agences immobilières, dont les agents sont payés à la commission, qui voient forcément plus d’intérêts à vendre des appartements en métropole ou à raser les vieilles maisons pour revendre les terrains à prix d’or.

Dès lors, le retour à la réalité est très rapide. Pour vivre dans une maison japonaise de rêve, il faut y mettre un minimum de moyens financiers. C’est ainsi que, face aux réalités structurelles du marché japonais de l’habitat, nous nous sommes tournés vers le marché des habitations classique. Matt Ketchum insiste sur le fait qu’il reste possible de trouver une Akiya, en oubliant l’idée qu’elle vous sera donnée gratuitement sans aucun effort… Il faut faire preuve d’une grande patience, multiplier les prises de contact sur le terrain, visiter des localités physiquement, et apprendre l’art subtil de la communication avec les japonais pour les encourager à vous aider dans votre démarche.

En effet, si votre ambition n’est pas fortement marquée, personne ne vous aidera. Les curieux peuvent débuter leurs recherches sur cette banque en ligne d’Akiya disponibles. Ceux qui maîtrisent le japonais peuvent également contacter des associations de relocalisation dans les campagnes comme Furusatokaiki. De toute évidence, ces services ne sont pas vraiment destinés aux étrangers.

Beaucoup de maisons japonaises avec du charme sont relativement abordables sans forcément être abandonnées. Celles-ci sont vendues sur des sites classiques d’immobilier. On peut recommander le site Cheap Houses Japan qui liste une dizaine de maisons « vraiment pas chères » chaque semaine à travers le Japon, ou encore KORYOYA, un site spécialisé dans les kominka et machiya.

Photos par @cheaphousejapan
Photos par @cheaphousejapan

Nous avons utilisé ces services plusieurs années sans y trouver notre bonheur pour l’instant. La raison principale étant que les maisons de ce genre se situent généralement dans des zones mortes, loin des gares et des hôpitaux. Il faut donc être préparé à vivre n’importe où, ce qui fait parfois rêver, mais n’est pas toujours réalisable selon votre situation professionnelle. Travail, transports, écoles, cliniques ou simple magasin pour faire ses courses alimentaires, on réalise vite à quel point la localisation est importante pour vivre au Japon.

Quelques conseils pour réaliser son rêve de devenir propriétaire au Japon

D’expérience, pour devenir propriétaire d’une maison traditionnelle au Japon, il faut quatre conditions minimales :

Un pied bien enraciné au Japon et une certaine maîtrise de la langue et de la culture « locale ». Oubliez l’achat à distance depuis l’étranger. Personne ne vous aidera gratuitement. Les responsabilités sont trop lourdes. Dans la majorité des cas, les banques vous refuseront le prêt. Il faudra payer cash ou se tourner vers des banques étrangères.

– Prévoir un stricte minimum de 50.000 euros cash pour l’achat brut et 50.000 minimum de plus pour les rénovations. C’est un strict minimum pour avoir l’esprit vraiment serein, les coûts imprévus étant très nombreux pour ce type de maison ancienne. Comptez au moins 150.000 euros de budget pour un projet sérieux à la campagne avec une mise à niveau professionnelle. Garder en tête qu’un simple appartement sur Tokyo coûte plus de 200.000 euros.

À titre d’exemple, nous avions craqué sur une maison Machiya fabuleuse en 2022, construite comme un sanctuaire shinto. Son prix imbattable était de 150.000 euros pour 10 pièces ! La première visite s’est bien déroulée. Dans le doute, nous avons fait intervenir un architecte pour vérifier la structure de l’habitation. Et là, le drame ! Une importante fissure dans un simple muret de pierre encadrant la maison allait tout changer. Les estimations pour remplacer ce simple muret furent de 60.000 euros au minimum ! En cause, les normes sismiques.

Cette kominka est à vendre pour 45,000 euros dans la région de Hyogo. Mais les travaux vont en compter le double…

– Sauf miracle, personne ne vous engagera dans une localité perdue en pleine campagne, surtout si vous êtes étranger. L’instabilité économique est un risque réel. Il faut donc venir avec un projet professionnel solide en main (je pense à des amis qui ouvrent une boulangerie française dans un petit village!) ou jouir d’une activité en télé-travail stable.

– Prendre toutes ses précautions et s’entourer d’au moins un expert charpentier pour analyser la santé de votre maison de rêve. Foncer de manière précipitée peut avoir des conséquences lourdes sur votre vie. Paradoxalement, les plus belles demeures ne font forcément pas long feu sur le marché. Il faut donc être bien préparé pour sauter sur l’occasion sans rien négliger. Un juste milieu difficile à apprécier. La prise de risque est inévitable.

Se renseigner sur la « qualité » du voisinage. En effet, certaines régions sont connues pour ne pas apprécier l’installation d’étrangers. Les rumeurs et le rejet social risquent de vous rendre la vie rapidement impossible. Certaines localités, par contre, sont réputées pour être accueillantes envers les étrangers occidentaux.

Conclusions

Avoir sa propre maison japonaise traditionnelle à la campagne n’est pas un rêve à prendre à la légère. Oubliez ceux qui vous promettent des maisons distribuées gratuitement. C’est un mirage. Pour réaliser ce rêve, il faut y mettre le temps et les moyens. Pour notre part, voilà plus de cinq années que nous cherchons sans relâche notre maison traditionnelle à rénover. Nous avons réalisé plus de 30 visites à ce jour et c’est à chaque fois une aventure dont on ressort plus fort, avec de nouvelles connaissances. Nous ne comptons plus le nombre de déconvenues, aussi, de prêts tardifs ou carrément refusés (et donc une maison vendue entre-temps à quelqu’un d’autre), de propriétaires qui REFUSENT de vous vendre leur bien en raison de votre origine, de défauts cachés découverts lors d’une visite comme une poutre porteuse dangereusement fendue après un tremblement de terre. Mais comme veut le dicton, tout vient à point à qui sait attendre…