Sorti miraculeusement des entrailles d’un passé que l’on ne pensait pas un jour croiser, « Le Voyage de Shuna » est une œuvre essentielle pour comprendre la carrière d’Hayao Miyazaki. 40 ans après sa parution au Japon, ce récit fantastique aux dessins sublimes trouve enfin la route de la France et on ne peut qu’être sous le charme. À ne surtout pas manquer !

Le Voyage de Shuna est un livre illustré et écrit par Hayao Miyazaki, réalisateur que l’on ne présente plus et dont le dernier film (Le Garçon et le héron) est sorti en 2023.

Quatre décennies plus tôt, il narrait l’histoire de Shuna, prince d’une contrée pauvre, qui regarde, impuissant, ses sujets souffrir de la faim et se tuer à la tâche. Il faut dire que leurs terres stériles ne sont pas le terreau le plus à même de faire pousser des céréales. Alors, quand un beau jour, un voyageur évoque une graine dorée miraculeuse qui fait onduler les plaines en longues vagues fertiles, l’âme aventurière du jeune garçon se réveille. Ce miracle salutaire proviendrait d’un pays lointain, à l’Ouest, peuplé d’esprits hostiles à l’homme – et dont nul n’est jamais revenu. En dépit des soupirs des anciens et des larmes de son père, Shuna se lance vers cet Eldorado sur son fidèle yakkuru, dans l’espoir d’y trouver de quoi sauver son peuple.

Le Voyage de Shuna : les graines d’une carrière qui deviendra culte

Beaucoup seraient tentés de parler de Le Voyage de Shuna comme une œuvre de jeunesse d’Hayao Miyazaki. Il n’en est pourtant rien pour deux raisons. Déjà parce que le Japonais a déjà 42 ans quand le livre sort au Japon en 1983. Malgré toute notre bienveillance, voilà en effet un âge qu’il est difficile de qualifier de « jeune ». Ensuite parce qu’à cet âge-là, même s’il n’a pas encore créé le désormais fameux studio Ghibli avec Isao Takahata, il a quand même déjà réalisé Le Château de Cagliostro, et la série Conan, le fils du futur.

Pourtant, en découvrant ce récit initiatique, impossible de ne pas y déceler tout ce qui fera la force de ses histoires futures. Le héros qui veut sauver son village pauvre comme Nausicaä, les montures Yakkuru qui font penser à celle que chevauche Mononoke en sont quelques exemples. Dans les thèmes également, plus adultes que l’on pourrait croire, alors que la guerre fait rage autour de cette contrée ensevelie sous le sable. On y parle donc conflits armés, esclavage, commerce à outrance et, bien sûr et comme souvent chez le maître, écologie.

Tout ce qui brille…

Dans le monde ravagé de Shuna, l’être humain ne peut en effet récupérer des graines qu’en sacrifiant ses semblables. Certains en profitent largement pour s’enrichir, échangeant des âmes sans défense contre des diamants ostentatoires et sans intérêt autre que de montrer que l’on possède des richesses. La fortune de certains vaut bien la mort de centaines d’autres. Miyazaki nous montre ici que le partage des richesses n’est qu’une utopie, comme il l’est dans notre monde actuel. Une partie de l’univers danse alors que l’autre meurt de faim.

Heureusement, il existe des rebelles comme notre héros qui n’écoute que son courage pour tenter de changer une réalité qui le dérange. C’est ainsi qu’il libère une jeune esclave, Thea, et sa petite sœur, retenues prisonnières par des trafiquants d’hommes. Leur épopée est absolument fantastique, inspirée d’une fable venue du Tibet.

Quand Miyazaki adapte et enrichit

Le Voyage de Shuna s’inspire en effet d’un conte du folklore tibétain appelé Le Prince qui fut changé en chien. Dans ce dernier aussi, le prince d’une contrée pauvre part en quête d’une semence magique qu’il doit dérober au Roi Serpent. Mais ceci fait, il se voit transformé en chien. Seul l’amour sincère d’une jeune femme lui permettra alors de retrouver sa forme humaine. Le réalisateur de Mon Voisin Totoro se sert donc de cette base pour nous offrir une relecture bien à lui.

Exit la transformation en chien et le Roi Serpent, mais bonjour de nombreux autres rebondissements que nous nous ferons un malin plaisir de ne pas vous divulguer. Le Japonais, fort d’une imagination foisonnante (pas toujours évidente à suivre, il faut le reconnaître), nous entraîne en effet dans une aventure enchanteresse qui nous amène de lieux anxiogènes à d’autres plus paisibles, en passant également par des moments de grande féérie au sein d’une forêt dense et verdoyante.

Une fois commencé, il est d’ailleurs très compliqué de ne pas aller d’une traite au bout des quelques 150 pages que compte l’ouvrage. Le lecteur est ainsi porté par le grand suspense de l’épopée de Shuna, mais également par la beauté de ce qu’il a la chance de découvrir sur les pages.

Plus qu’un réalisateur : un artiste !

Avec le succès de ses films, on en oublierait en effet presque qu’Hayao Miyazaki est un dessinateur d’exception. Ceux qui ont lu son manga Nausicaa de la vallée du vent en ont eu une belle preuve noire et blanche mais Le Voyage de Shuna nous subjugue par la beauté de ses planches cette fois-ci en couleurs. Chaque page peinte à l’aquarelle est un enchantement pour les yeux et, une fois le livre fini, vous n’aurez qu’une envie : vous replonger dedans pour donner au dessin encore plus d’attention et pour profiter de la beauté des traits précis et délicats du Japonais.

La composition des planches est souvent très travaillée de façon à ce qu’elles pourraient très bien être exposées telles quelles dans un cadre. Un régal pour les yeux qui nous fait regretter que l’artiste ait délaissé depuis si longtemps cet art de l’œuvre papier. Ceci encore plus quand la dernière page du livre nous annonce que l’aventure de Shuna continue, « Mais cette histoire sera pour une prochaine fois. ». À quand une exposition des planches originales ? Ici, on en rêve !

Le Voyage de Shuna

Le Voyage de Shuna est un conte illustré (sur l’archipel, on les appelle monogatari) qui subjugue et enchante à chaque page. Il conviendra à tout le monde, grands et petits. Même si certains thèmes (guerre, esclavage…) ne seront pas simples à appréhender pour les plus jeunes, sa lecture conviendra aux enfants à partir de 8 ans. Le travail de l’éditeur Sarbacane est en tous points sublime, avec du papier épais et un format (16×22,7) qui rendent grâce aux dessins de l’auteur.

Vendu au prix de 25€, aucun fan de l’œuvre d’Hayao Miyazaki n’a le droit de passer à côté de cet objet d’exception. C’est un régal et on vous aura prévenus.

Stéphane Hubert