La production de saké conserve une place privilégiée sur la liste des traditions japonaises. Il était donc logique qu’un manga se penche sur le sujet. « Natsuko no Sake » ne se contente pas de le traiter à la légère et nous propose une aventure enthousiasmante dans ce domaine si chère à l’archipel.

Natsuko no Sake est un manga d’Akira Oze publié au Japon entre 1988 et 1991. Il est disponible en 6 volumes doubles en France chez Dupuis.

On y suit l’histoire émouvante de Natsuko Saeki, une jeune femme tokyoïte qui quitte sa carrière de rédactrice publicitaire pour reprendre l’entreprise familiale de fabrication de saké dans la campagne japonaise, après la mort de son frère. Inspirée par le rêve inachevé de celui-ci, elle se lance dans la culture d’une variété de riz rare et difficile à cultiver, le Tatsunishiki, dans l’espoir de créer le meilleur saké du Japon. Mais le chemin n’est pas des plus simples alors que de nombreux obstacles lui font face. Des difficultés techniques de la production du saké aux relations familiales complexes, en passant par le défi social d’être une femme dirigeant une entreprise dans un domaine traditionnellement masculin, la jeune femme n’a pas trop le temps de souffler.

Entrez dans le monde du saké

Les mangas nous permettent souvent de nous familiariser avec bonheur avec des sujets typiquement japonais. Si Show-Ha Shoten nous fait découvrir le manzaï depuis quelques mois, dans Natsuko no Sake, nous plongeons profondément dans le monde fascinant de la production du saké. Cours magistral et documenté, nous découvrons à travers l’histoire de la Natsuko du titre et son engagement à cultiver une variété de riz spécifique comment est fabriqué le saké. Cette œuvre offre une exploration riche et détaillée de la tradition séculaire de fabrication du saké au Japon, mêlant habilement intrigue dramatique et leçons culturelles.

Grâce au manga d’Akira Oze, rien ne vous échappera en effet sur le processus de culture et de sélection du riz, soulignant l’importance du choix de sa variété. Natsuko choisit en effet de cultiver le Tatsunishiki, un type de riz rare et difficile à cultiver, mais qui est censé produire un saké de qualité supérieure. Cette quête reflète la détermination et les défis auxquels les producteurs de saké sont confrontés pour maintenir des normes élevées dans leur artisanat.

L’œuvre met également en lumière les étapes méticuleuses de la production du saké, depuis la préparation du riz jusqu’à la fermentation. Au programme : le lavage, le trempage, et la cuisson du riz, suivis par la complexité de la fermentation où des conditions spécifiques doivent être maintenues pour obtenir un saké de qualité. Cette attention aux détails souligne l’art et la science derrière la fabrication du breuvage japonais, ainsi que la passion et l’expertise nécessaires pour réussir dans ce domaine.

Savoir et être

Thème de prédilection et véritable pierre angulaire de la société japonaise, Natsuko no Sake aborde lui aussi l’importance de la transmission des connaissances et des traditions entre générations, ici liées au saké. Le manga explore les thèmes de l’héritage familial et de la modernisation, montrant comment Natsuko s’efforce de préserver les méthodes traditionnelles tout en innovant pour améliorer la qualité de son saké et en faire la publicité pour qu’il se retrouve dans le plus d’étals possible.

À travers son récit captivant, Natsuko no Sake éduque les lecteurs sur la place privilégiée et culturelle qu’occupe le saké au Japon, tout en fournissant un aperçu précieux des défis et des récompenses de sa production. Il célèbre la dévotion des producteurs de saké à leur art, et comment un profond respect pour la coutume peut coexister avec l’innovation pour créer quelque chose de véritablement exceptionnel. Le manga devient ainsi une ode à l’écologie, à la persévérance et à l’importance de poursuivre ses rêves, tout en offrant une fenêtre sur l’âme de la culture japonaise. Et si la production est importante, l’entente entre ceux qui le font l’est tout autant.

Natsuko no Sake : en verre et contre tous

Le manga tisse en effet une riche toile de relations humaines, au cœur desquelles se trouve le lien profond et complexe entre Natsuko Saeki, son frère Yasuo, et leur père. À travers ces interactions, le manga explore des thèmes universels tels que le deuil, l’héritage, la poursuite des rêves et la dynamique familiale, ici dans le contexte de la traditionnelle industrie du saké japonais.

La relation de Natsuko avec son frère décédé est un moteur central de l’intrigue. Yasuo, passionné par la fabrication du saké, avait rêvé de créer le meilleur saké du Japon en utilisant le riz Tatsunishiki, une quête qui devient le flambeau que Natsuko choisit de porter après sa mort. Ce faisant, elle ne cherche pas seulement à honorer la mémoire de son frère mais aussi à réaliser son rêve inachevé, une démarche qui souligne les liens indéfectibles qui unissent les membres d’une famille même après la mort. Cette quête personnelle de Natsuko, marquée par les défis et les succès, révèle la profondeur de son amour et de son respect pour Yasuo, renforçant ainsi le thème de l’héritage familial comme source d’inspiration et de motivation.

Un père et passe

La dynamique entre Natsuko et son père incarne également des aspects significatifs de la culture et des traditions japonaises, en particulier en ce qui concerne les entreprises familiales. Le père de Natsuko, gardien des méthodes traditionnelles de brassage du saké, représente la génération précédente, avec ses propres attentes et réticences face aux changements et aux défis contemporains. La détermination de Natsuko à innover tout en respectant les traditions familiales crée ainsi des tensions mais aussi des moments de compréhension mutuelle et de réconciliation, illustrant la complexité des relations parent-enfant et la possibilité de croissance et d’évolution au sein de la famille.

Au-delà de ces relations familiales, le manga dépeint également les interactions de Natsuko avec les autres personnages, notamment ses collègues, les habitants du village et les rivaux dans l’industrie du saké. Ces relations mettent en lumière différents aspects de la société japonaise, des défis de la vie rurale aux impacts de la modernisation et de la globalisation. Les amitiés et les rivalités qui se développent tout au long de l’histoire enrichissent le récit, ajoutant des couches de réalisme et d’émotion qui rendent les personnages et leurs expériences d’autant plus attachants.

La décision de l’auteur de centrer l’histoire autour d’une femme reprenant une entreprise dans un secteur traditionnellement dominé par les hommes met également en lumière les dynamiques de genre et le potentiel de changement dans la société japonaise. On sait pourtant que le chemin est encore long sur ce sujet sur l’archipel, et Natsuko nous amène avec elle dans ce combat de chaque seconde. Elle tente de faire oublier qu’elle est une femme pour rappeler que sa passion grandissante n’a rien à envier à qui que ce soit, quel que soit la disposition de ses chromosomes X et Y. Elle n’a qu’un objectif : faire le meilleur saké du monde.

Et si l’histoire est captivante, que dire des dessins.

Un manga poétique et d’une grande beauté

La qualité du dessin dans Natsuko no Sake est remarquable, témoignant de l’habileté et de la finesse de l’auteur Akira Oze. Le style artistique du manga est à la fois délicat et expressif, capturant avec brio les nuances de la vie rurale japonaise ainsi que la complexité et la beauté du processus de fabrication du saké. Les illustrations détaillées des paysages et des scènes de la vie quotidienne nous plongent ainsi dans un monde à la fois réaliste et poétique.

Nous subissons les éléments, du vent à la pluie, ressentant les dangers qu’ils représentent pour le précieux trésor de Natsuko. Mais il suffit d’un rayon de soleil sur la rizière et c’est bien un sourire qui s’affiche sur son visage et sur le nôtre, heureux de voir que la quête d’excellence de la jeune femme peut continuer.

L’attention portée aux détails dans le dessin des équipements de brassage du saké et des techniques agricoles ajoute une couche d’authenticité et d’éducation au manga, permettant aux lecteurs de non seulement suivre l’histoire mais aussi d’apprendre sur cet aspect important de la culture japonaise. Cette précision dans le savoir contribue à l’immersion et donne encore plus de force et d’originalité à la lecture.

Natsuko no Sake célèbre ainsi le dévouement, la persévérance et l’art de vivre, tout en offrant un regard respectueux et détaillé sur une tradition nippone ancestrale. Le manga nous offre une exploration nuancée et émouvante des relations humaines, centrée sur les liens familiaux, la communauté et la connexion à la terre et aux coutumes.

Une œuvre essentielle qui mérite une plus grande mise en lumière afin d’être découverte par le grand public amateur de manga et amoureux du Japon. Si vous vous reconnaissez, foncez !

Stéphane Hubert