Vendredi 1er mars 2024. Une date qui restera à jamais gravée chez les fans de Dragon Ball du monde entier. Akira Toriyama, créateur de Dragon Ball parmi d’autres univers fantastiques du manga, est décédé des suites d’un hématome sous-dural, conséquence habituelle d’un traumatisme crânien. Parti trop tôt à l’âge de 68 ans, le maître nous laisse orphelins de son œuvre, lui qui aura fait rêver tant de générations par ses œuvres et son style reconnaissable entre tous.

La plus mythique d’entre elles, Dragon Ball, est une licence encore très active et surtout très lucrative. Non seulement au Japon, mais aussi et surtout à l’échelle mondiale. Notamment en France où la licence est particulièrement appréciée et jouit d’une popularité sans pareille. Des nostalgiques du Club Dorothée aux jeunes générations, la série se transmet et se savoure en famille, les parents heureux de voir leurs enfants s’émerveiller devant les héros de leur propre jeunesse. Mais il serait dommage de réduire l’artiste à une seule œuvre d’art. En effet, de Professeur Slump en passant par le jeu vidéo (Dragon Quest, Chrono Trigger), le vide laissé par ce grand créateur, mais aussi et surtout travailleur acharné, est immense.

Le site du magazine Shonen Jump a recueilli des hommages rendus par de grandes figures du monde de l’art et de la culture japonaise, en passant par des présentateurs télé et autres personnes d’influence. Tous témoignent de l’immense vide laissé par ce décès si soudain, mais aussi et surtout de l’impact de son œuvre sur leurs carrières, leur enfance. L’utilisateur X, Ludovic Gottigny (@arion80), a pris le temps de traduire et de faire une compilation d’un très grand nombre d’hommages.

Parmi une centaine d’hommages d’autres mangaka et figures artistiques japonaises, nous avons choisi de vous partager ceux qui nous semblent les plus beaux, les plus vibrants et touchants. Nous vous laissons le soin de faire un tour sur le fil de l’utilisateur afin de lire les autres à votre rythme. Ce livre d’or est un témoin de l’influence de ce grand auteur et dessinateur de génie. Merci Akira Toriyama.

« J’ai perdu mes forces, je n’ai plus aucune énergie… »

Nous commencerons par le plus poignant de tous les hommages : celui de Masakazu Katsura, ami intime de Toriyama, lui-même auteur de mangas tels que Wingman, Zetman,…

« J’ai perdu mes forces, je n’ai plus aucune énergie. Je n’ai en soi aucune envie de commenter cet événement… Mais je vais tenter d’écrire quelque chose. Si je commence à écrire, il y a tellement de choses que je veux exprimer que ce sera sans doute très long, mais j’essaierai d’être le plus concis possible tout de même. Cependant, je peine à rassembler mes sentiments, alors veuillez pardonner mes divagations. Retour en arrière. Quand j’allais chez toi, quand tu venais chez moi, quand nous sortions pour nous amuser, tout cela n’était que des moments heureux. Chaque fois que je t’appelais, on riait jusqu’à l’épuisement. Toriyama était drôle. Tout à la fois adorable, pince-sans-rire et humble. Dans mon travail de jour, les mangas, nous avons collaboré sur un certain nombre de choses, et ce fut amusant aussi. Mais 99% du temps, nous ne parlions jamais de bandes dessinées. Je n’ai pas toujours pris la mesure de l’immensité de son talent de dessinateur.

J’en prends conscience, à présent. Mais je ne ressentais pas d’écrasement en sa présence, pas le moins du monde. Et c’est dû à sa personnalité. C’est pourquoi je ne peux encore penser à lui que comme à un ami, plutôt que comme à un grand dessinateur. L’été dernier, avant mon opération, il a entendu parler de moi quelque part et m’a envoyé un courriel. Il envoyait peu d’emails, ce qui montrait qu’il était inquiet et préoccupé par ma santé. Nous nous connaissions depuis 40 ans, mais je ne pense pas avoir jamais reçu un message aussi gentil de sa part. J’ai cru qu’il allait neiger, ce jour-là, c’est vous dire ! D’habitude, il ne faisait que des blagues ou disait des bêtises pour détendre l’atmosphère. Quand je l’ai appelé, je crois que c’était un peu avant, j’ai dit : « Je vais probablement mourir avant toi, alors organise une fête d’adieu ou quelque chose comme ça, avec toi à la baguette ! Et si tu pouvais faire un discours histoire que cela me donne une bonne réputation, ce serait sympa ! » Mais il n’aura pas tenu sa promesse. Je ne sais pas pourquoi je ne l’ai pas appelé après qu’il m’ait envoyé son dernier e-mail, et c’est ce que je regrette amèrement aujourd’hui. Je regrette surtout que nous ne puissions plus avoir de longs appels téléphoniques pour parler de choses stupides tous les deux. J’ai beaucoup de choses à dire. Tellement de choses… J’aimerais te parler à nouveau, même si tu pour ça tu dois m’écouter parler de choses qui ne t’intéressent pas, comme d’habitude. Ce « OK » inconséquent que je t’ai écrit en réponse à ton mail me demandant de te recontacter est profondément douloureux aujourd’hui. Masakazu Katsura. »

Dessin d’hommage de JIM LEE, auteur de All star Batman et Robin. L’influence du maitre transcende les frontières.

L’équipe de la revue Shonen Jump s’est elle aussi fendue d’un message :

« Akira Toriyama, qui a publié de nombreuses œuvres dans le magazine Shonen Jump, est décédé. Chez Shueisha et au sein du département éditorial, nous sommes profondément attristés par la nouvelle soudaine de sa disparition. Les mangas qu’il a dessinés, comme Dr. Slump, Dragon Ball ou Sand Land ont été lus et aimés dans le monde entier, au-delà de nos frontières nationales. Les personnages fascinants qu’il a créés et son sens inné du design ont eu une grande influence sur de nombreux artistes et créateurs de mangas. Nous tenons à rendre hommage à ses grandes réalisations, à lui exprimer notre gratitude et à lui présenter nos sincères condoléances. Signé : Département éditorial du Weekly Shonen Jump, Département éditorial du V Jump, Département éditorial de JUMP SQ., Département éditorial de Saikyô Jump, Département éditorial de Shônen Jump + »

Le message suivant nous vient de Yuji Horii, concepteur du jeu Dragon Quest, dont les designs furent réalisés par Akira Toriyama :

« Je suis encore dans un état d’incrédulité à l’annonce très soudaine de la mort de Toriyama-san. Je connaissais Toriyama-san depuis que j’ai commencé à écrire dans Shônen Jump, et sur la recommandation de mon rédacteur en chef, Torishima-san, j’avais décidé de lui demander de dessiner des illustrations pour le jeu lorsque nous avons lancé Dragon Quest. Au cours des 37 années qui se sont écoulées depuis, il aura dessiné personnages, monstres et tant de personnages fascinants que je ne peux même pas commencer à les compter. L’histoire de Dragon Quest a été marquée à jamais par les fantastiques character designs de Toriyama-san. M. Toriyama, à l’image de feu M. Sugiyama (compositeur des musiques, NDR), était un ami qui aura travaillé sur Dragon Quest pendant longtemps à mes côtés. Je n’arrive pas à croire qu’il soit parti… Je n’ai pas d’autres mots… Je suis vraiment, vraiment triste de sa disparition. Yuji Horii, concepteur du jeu Dragon Quest. »

Des grands noms du manga ont aussi témoigné de leur admiration pour le maître. Ces témoignages démontrent l’influence d’Akira Toriyama sur toutes les générations de mangakas.

« un arbre immense aux ramifications innombrables »

Nous commencerons par le témoignage de Eiichiro Oda, auteur de One Piece. Celui-ci est d’autant plus intéressant que les deux hommes ont déjà collaboré par le passé. Ils ont fait un crossover en 2006 nommé « Cross Epoch », et publié dans le magazine « Weekly Shonen Jump », dans le cadre du 10e anniversaire de la licence One Piece.

« C’est trop tôt. Le vide qu’il laisse derrière lui est bien trop grand. La tristesse m’envahit quand je pense que je ne le reverrai plus jamais. Je l’admire depuis l’enfance. Je me souviens du jour où il m’a appelé par mon nom pour la première fois. Sur le chemin du retour, vous aviez utilisé le mot « ami » pour parler de nous. Je pense aussi avec émotion au jour où j’avais organisé cette grande fête avec M. Kishimoto. Je me souviens également de la dernière conversation que nous avons eue. Vous m’avez transmis le bâton, émergeant d’une époque où lire des mangas vous faisait passer pour un imbécile aux yeux de votre entourage. Il aura largement contribué à établir une ère dans laquelle les adultes et les enfants peuvent prendre plaisir à lire des mangas. Il a implanté en moi ce rêve selon lequel les bandes dessinées peuvent accomplir de telles choses. Lire ses œuvres, c’était comme regarder un héros aller de l’avant.

Il n’y a pas que des mangakas qu’il aura marqués à jamais, des créateurs actifs dans tous les secteurs d’activité ont entrevu leur destinée au cours de leur enfance, en ressentant une excitation et une émotion indescriptible à la lecture de Dragon Ball. Akira Toriyama, c’est un arbre immense aux ramifications innombrables. Pour les mangakas de notre génération, ses œuvres sont devenues une source d’inspiration incontournable. Elles devenaient de plus en plus significatives au fur et à mesure que je m’en approchais. C’en devenait effrayant. Mais c’était encore mieux de faire la connaissance de l’homme effacé qui se cachait derrière elles. Nous aimons Toriyama-sensei car nous sommes du même sang. Avec respect et gratitude pour l’univers créatif qu’il nous a laissé, toutes nos prières accompagnent Toriyama-san. Que le paradis soit ce monde joyeux qu’il a imaginé. Eiichiro Oda. »

« Même lorsque je passais une mauvaise journée, la lecture hebdomadaire de Dragon Ball me permettait d’oublier tous mes soucis. »

Message de Masashi Kishimoto, auteur de Naruto :

« Pour être honnête, je ne sais pas quoi écrire à la suite de cette nouvelle soudaine. Mais pour l’instant, j’aimerais vous dire ce que je souhaitais que Toriyama-sensei entende un jour, et ce que je pense de lui. J’ai grandi avec ses mangas. Dr. Slump, dans mes premières années d’école primaire, et Dragon Ball dans mes dernières années de primaire. Le plus naturellement du monde, ses mangas ont fait partie de ma vie. Même lorsque je passais une mauvaise journée, la lecture hebdomadaire de Dragon Ball me permettait d’oublier tous mes soucis. En tant qu’enfant désœuvré de la campagne, ce fut une bouffée d’air frais capitale pour moi. J’ai tellement aimé Dragon Ball ! J’étais étudiant à l’université quand, soudain, Dragon Ball, qui avait fait partie intégrante de ma vie pendant tant d’années, a pris fin. J’ai ressenti un énorme sentiment de perte et je n’en avais pas mesuré l’importance pour moi jusqu’à ce jour-là. Mais en même temps, ce fut l’occasion pour moi de comprendre la grandeur de l’artiste qui l’avait créé. Je voulais créer des œuvres comme lui ! Et lorsque j’ai suivi ses traces pour devenir mangaka, ce sentiment de perte a disparu. C’est parce que j’aimais faire des mangas. En suivant les pas de mon mentor, j’ai pu trouver un nouveau plaisir dans la vie.

Toriyama-sensei a toujours été mon guide. Je l’admirais tant et lui suis tellement reconnaissant. Pour moi, il fut le Dieu de mon propre salut et le Dieu du manga. Lorsque je l’ai rencontré pour la première fois, j’étais trop nerveux pour dire un seul mot. Mais après l’avoir croisé à plusieurs reprises lors des séances d’évaluation du prix Tezuka, je suis devenu capable de lui parler. Je n’oublierai jamais la façon dont il semblait indifférent et souriait timidement lorsque Oda et moi-même, enfants de Dragon Ball, rivalisions de témoignages avec un enthousiasme tout enfantin sur l’importance que Dragon Ball revêtait pour nous.

Je viens d’apprendre sa mort. Je ressens un énorme sentiment de perte, encore plus que lorsque Dragon Ball s’est terminé… Je ne sais toujours pas comment faire face à ce vide dans mon cœur. Je ne me sens même plus capable de lire mon Dragon Ball préféré. Je ne me sens même pas capable d’écrire ce texte, que je souhaitais lui adresser. Tout le monde attendait vos prochains travaux avec impatience. Si seulement je pouvais réaliser un vœu avec les Dragon Ball… Je suis si triste… C’est peut-être égoïste de ma part, mais je suis triste, Sensei. Akira Toriyama-sensei, merci pour ces 45 années de travail incomparable. Merci pour votre travail acharné. Je ne doute pas que les autres membres de votre famille soient encore profondément attristés par votre disparition que je ne le suis. Reposez en paix, Toriyama-sensei. Masashi Kishimoto. »

Beaucoup plus sobre mais tout aussi poignant, le message de Yusuke Murata, auteur de One Punch Man et Eyeshield 21 :

« Il y a tant de choses que nous ne pouvions apprendre que de Toriyama-sensei. Nous prions pour qu’il repose en paix. Étrangement, je n’ai pas du tout l’impression qu’il soit décédé. C’est peut-être parce qu’il était comme une étoile dans le ciel pour moi, bien avant sa mort. »

Tout aussi court mais très informatif sur la contribution au Manga du maître. Voici le message de Tweet de Eldo Yoshimizu, auteur de Ryûko, Gamma Draconis, Henkaipan :

« Akira Toriyama est considéré comme un pionnier de la réforme du style des mangas japonais publiés à l’étranger. Il aurait été l’un de ceux grâce auxquels s’est imposé le rejet de la pratique américaine et celle de la BD consistant à inverser les pages pour commencer la lecture par la gauche. Son œuvre aura contribué à réformer ces habitudes occidentales en faveur du style japonais de lecture, qui consiste donc à lire en commençant par la page de droite et par la case de droite. C’est quelque part à Akira Toriyama que revient le mérite d’avoir habitué les lecteurs étrangers à la méthode de lecture japonaise. »

Nous prions pour le repos de l’âme d’Akira Toriyama-sensei.

Le monde de la télévision et du spectacle n’est pas en reste. Pour preuve, ce message de d’Akira Kawashima, humoriste, acteur et présentateur japonais :

« Cette nouvelle est si soudaine que mon cerveau refuse de l’intégrer. J’ai été si heureux de découvrir votre travail. Les personnages que vous avez créés continueront à vivre en nous. Et nous continuerons à transmettre vos chefs-d’œuvre aux générations futures. Je vous remercie pour tout. Nous prions pour le repos de l’âme d’Akira Toriyama-sensei.« 

 

L’héritage du maître

Il convient de citer le côté hors norme du personnage. Par exemple, cet infatigable travailleur a utilisé le même porte-plume pendant 51 ans de carrière. Ce fut le premier qu’il acheta à l’âge de 14 ans, et avec lequel il fit durant toute sa carrière absolument tous ses dessins. L’un de ses plus grands faits fut d’être capable de réaliser près de 14 pages par jour, celui-ci ayant même confié avoir comme record d’avoir travaillé pendant six jours avec seulement 20 minutes de sommeil. Bien au-delà de ce qu’un être humain normal pourrait endurer sans mourir littéralement de fatigue. Rien de bien surprenant dans le milieu (bien que particulièrement extrême dans ce cas). Pour ceux qui connaissent un peu l’industrie du manga, les cadences imposées aux auteurs par leurs éditeurs sont particulièrement rudes et très peu arrivent à supporter la passion. Nous vous invitons à lire cet article édifiant que nous avions écrit il y a quelques temps.

Le record le plus impressionnant pour Toriyama est la quantité de mangas vendus dans le monde avec sa série culte Dragon Ball : 260 millions d’exemplaires à ce jour à travers le monde. Un chiffre qui le place à la première place des mangas les plus vendus sur la planète. Nous attendons de voir les derniers chiffres tomber car depuis l’annonce de son décès, il a été constaté à travers le monde une augmentation manifeste des ventes de tout ce qui touche de près ou de loin à sa franchise phare. Sans surprise, la valeur des produits dérivés « rares » explose depuis quelques jours. Si l’on s’en tient au témoignage de ses proches, Akira Toriyama aurait été l’un des piliers d’influence dans l’acceptation du sens de lecture de droite à gauche des mangas dans les pays occidentaux, en opposition aux normes américaines.

Avec le départ prématuré d’Akira Toriyama, nous perdons bien plus qu’un créateur de génie ; nous perdons une légende. Et alors que nous lui disons adieu, il ne tient qu’à nous, fans, de continuer de faire vivre éternellement son œuvre, de la chérir comme un trésor précieux.

Reposez en paix, cher maître. Et merci de nous avoir fait rêver.

– Gilles CHEMIN / Mr Japanizationan