Le Tibet a son Yéti, les USA ont le Bigfoot et le Japon a l’Hibagon. Un épisode peu connu de l’Histoire du Japon quand bien même il prit à l’époque une ampleur médiatique nationale… Récit de ce mystère irrésolu.

En l’espace de quelques semaines durant l’année 1970, plusieurs personnes épouvantées rapportent avoir croisé une créature de type simiesque dans les forêts du mont Hiba. Les médias s’emballeront aussi que vite que cette étrange apparition tombera dans l’oubli.

Mais le hasard va mettre l’ethnologue Grégory Beaussart sur les traces de la créature auquel il consacre un ouvrage intitulé « L’Affaire Hibagon, sur la trace du yéti japonais«  aux Éditions du Trésor. L’occasion de revenir sur cette légende de l’Archipel…

Quand l’Hibagon apparut…

Une empreinte attribuée à l’Hibagon © Grégory Beaussart

Tout commence en 1970, dans l’ancienne commune de Saijô (maintenant intégrée à la municipalité de Shôbara), au sein de la préfecture d’Hiroshima. Des ouvriers travaillant sur le chantier d’un parc de loisirs dans les hauteurs du mont Hiba découvrent des empreintes de pas étranges : de forme incurvée, elles mesurent 23cm de long pour 9cm de marge et possèdent trois doigts. Leur forme et leur disposition évoquent celle d’un primate, comme un chimpanzé ou un gorille.

Dans cette localité rurale, les rumeurs vont bon train et le bruit qu’une bête inconnue rôde dans les environs se répand rapidement parmi les habitants. On découvre d’ailleurs de nouvelles empreintes les jours suivants, jusqu’à la première rencontre avec la créature.

Le 20 juillet 1970 un habitant rapporte en effet l’avoir aperçue près du barrage de Yuki alors qu’il conduisait. D’après lui, la bête avait la taille d’un veau et ressemblait à un gorille. Trois jours plus tard, un autre habitant déclare l’avoir vue, à environ 1 kilomètre de sa première apparition. La population commence à craindre une attaque, une cellule de crise est montée et des volontaires surveillent les trajets scolaires des écoles proches de la montagne ou de la forêt.

Mais c’est après la troisième observation, au 30 juillet de cette année, que l’affaire va prendre une ampleur nationale. N’ayant alors aucune actualité importante à se mettre sous la dent, les médias nationaux vont s’emparer de cette étrange histoire et relayer massivement.

« Jusqu’à la fin de l’année 1970, l’Hibagon sera aperçu 9 fois en tout »

La créature se voit alors attribuer son nom : « Hiba » (ヒバ) comme les monts Hiba où elle a été aperçue, auquel on ajoute le suffixe « gon » (ゴン) pour monstre. L’Hibagon (ヒバゴン), soit le monstre des monts Hiba.

Route des monts Hiba, lieu d’observation de l’Hibagon. Crédit photo ©Grégory Beaussart

Jusqu’à la fin de l’année 1970, l’Hibagon sera aperçu neuf fois en tout, entre le 20 juillet et le 13 décembre exactement. D’après les témoignages rapportés, l’Hibagon est de type simiesque, au corps poilu, d’une taille comprise entre 1m60 et 1m80 et alterne les postures bipède et quadrupède. Des incidents mineurs, principalement de nouvelles traces de pas, seront signalées en décembre et en mars 1971.

Or, de par l’importance de la couverture médiatique nationale, la petite ville de Saijô se retrouve submergée par des appels téléphoniques et la venue de curieux désirant traquer l’Hibagon.

En avril 1971, elle met en place un office temporaire pour gérer tous les événements en lien avec le monstre. Et c’est grâce au travail du fonctionnaire municipal qui y fut assigné, Toshihiro Mikoshi, que nous disposons des principales informations le concernant. Toshihiro Mikoshi fut chargé de répondre aux interrogations des journalistes, des passants, de consigner les témoignages voire les plaintes des habitants, d’assister les scientifiques se lançant dans de multiples expéditions infructueuses, de collecter les articles de presse, les éventuelles photos…

Plan des déplacements de l’Hibagon.

Entre 1971 et 1973, l’Hibagon fera quelques apparitions sporadiques supplémentaires, de plus en espacées. L’attention des médias s’en détournera, focalisée alors sur le choc pétrolier. Un bref sursaut de l’Hibagon surviendra en 1974, ravivé par l’apparition d’une autre créature reptilienne, le « Tsuchinoko » signalé dans plusieurs régions début 1973. Puis le flot de touristes et d’universitaires à Saijô se tarira définitivement.

Le dossier « Hibagon » sera définitivement refermé par la mairie de Saijô en juin 1975. Toshihiro Mikoshi se servira de tous les éléments scrupuleusement répertoriés comme matériau de base d’un livre qu’il consacrera à l’Hibagon à la fin de sa vie.

Puis, l’Hibagon tombera dans l’oubli, même si des créatures similaires seront aperçues dans des montagnes reculées jusqu’au début des années 80 sans susciter d’attention médiatique. Jusqu’à ce qu’un Français s’intéresse à l’Hibagon et vienne raviver sa mémoire.

Un Français sur les traces de l’Hibagon

Dès l’enfance, Grégory Beaussart se découvre un intérêt pour les récits d’aventure et d’exploration, les créatures mystérieuses et surtout la fascination qu’elles suscitent chez les gens. A l’adolescence, s’y ajoute un intérêt pour la langue et la culture nippone qui le pousse vers des études dans cette voie. C’est en 2008, alors qu’il poursuit son cursus en échange linguistique à l’université de Niigata, que le Français va par hasard croiser la route de l’Hibagon.

L’Affaire Hibagon, disponible sur le site des Éditions du Trésor

En France comme au Japon, il a des contacts avec des cryptozoologues et des amateurs d’UMA (Unidentified Mysterious Animals), l’équivalent japonais du terme occidental cryptide qui regroupe des créatures mythiques du monde entier comme le monstre du Loch Ness, le Yéti, le Bigfoot, le Kraken, le Chupacabra, le Dahu… et l’Hibagon.

Grégory s’intéresse alors au Tsuchinoko, une créature serpentiforme de 30 à 80cm de long aperçue dans différentes régions du Japon au printemps 1973 et qui avait remis quelques temps l’Hibagon sous le feu des projecteurs. Il prend dès lors connaissance du travail et du livre de Toshihiro Mikoshi qui lui seront d’une aide précieuse quand il se consacrera pleinement à l’étude de ce mystère quelques années plus tard.

Son enquête aboutira à la publication récente de son propre livre « L’Affaire Hibagon » qu’en tant qu’anthropologue, il aborde de manière scientifique et rigoureuse. Son ouvrage ne se contente pas de détailler les apparitions de l’Hibagon et les hypothèses sur l’identité de la créature (qu’on vous laisse découvrir). C’est un récit qui s’inscrit dans un cadre bien plus large.

L’auteur y détaille la fascination ancienne des Japonais envers les monstres ; l’histoire et le folklore japonais étant rempli de créatures légendaires extrêmement diverses. On citera ainsi les yôkai, les divinités animales, les esprits, les monstres et les démons (oni, kappa, tengu) empreintes ou pas de spiritualité bouddhiste ou shintoïste.

Ainsi, au milieu du XXe siècle, durant les années 1960-70, à l’époque de l’Hibagon, la télévision japonaise se montrait friande de monstres que l’on retrouvait dans des émissions jeunesse et de type ‘sentai’ (Bioman, Power Rangers). Le cinéma de ‘Kaijû’ (Godzilla, Gamera, Mothra, Miyazaki) né dans les années 50 est aussi particulièrement populaire durant la décennie suivante.

Plus récemment, toujours dans le domaine culturel, on pense aux franchises de jeux vidéo Pokémon, Monster Hunter, Yo-kai Watch et les innombrables mangas/anime. Le phénomène des mascottes associées à une région, une localité, un site, une équipe sportive ou une institution montre également l’attachement des Japonais aux monstres, même s’ils prennent alors une apparence plus lisse, plus kawaï, exploitation marketing oblige.

L’Hibagon n’échappa pas à la règle, en témoignent les événements culturels ou télévisés qui perpétuent sa mémoire localement (et y favorisent le tourisme).

Un stand de photo souvenir avec des Hibagon bien peu effrayants à Saijô. Crédit photo ©Grégory Beaussart

Élargissant le sujet des UMA et à travers sa propre expérience du Japon, Grégory Beaussart porte également une longue réflexion sur différents clichés entourant le Japon. Il critique ainsi la vision du Japon comme « pays des traditions », la prétendue homogénéité de son peuple et les discours orientalistes qui s’avèrent tous être des constructions plus ou moins artificielles et vides de sens quand on s’y penche en détail.

Car ainsi que l’auteur le souligne, l’environnement naturel de l’Archipel, la société japonaise et son imaginaire des monstres sont inextricablement liés. Nous avons d’ailleurs pu échanger avec Grégory Beaussart sur le sujet des cryptides au Japon lors d’un entretien que nous publierons sous peu. D’ici là, nous vous recommandons bien sûr la lecture de L’Affaire Hibagon…

– S. Barret