Le Japon est un pays connu pour ses nombreux tremblements de terre. Bien que la plupart passent relativement inaperçus, le pays a connu au cours de son histoire des séismes très meurtriers, il n’est donc pas étonnant que des légendes expliquant leur cause soient nées bien avant les réponses scientifiques. Ces anciennes légendes évoquent la présence d’un dragon géant qui porterait le Japon sur son dos et qui provoquerait des tremblements de terre à chaque fois qu’il se réveille. Le dragon fut parfois remplacé par un poisson-chat géant nommé Namazu. C’est justement cette image qui va être popularisée par le biais d’estampes pendant l’époque d’Edo (1603-1868).

Le kami Takemikazuchi empêche Namazu de bouger. Source : commons.wikimedia.org

La légende de Namazu, le poisson-chat géant

Selon la légende popularisée à l’époque d’Edo, un poisson-chat géant appelé Namazu 鯰 porte les différentes îles du Japon sur son échine. Il passe la plupart de son temps à dormir dans les profondeurs de la terre. Mais dès qu’il se réveille, il s’ébroue, ce qui provoque des tremblements de terre.

Takemikazuchi bloque Namazu avec la pierre kaname-ishi. Source : commons.wikimedia.org

Un kami, divinité shintô, fut alors chargé de surveiller Namazu pour éviter qu’il ne cause des dégâts. Il s’agit de Takemikazuchi, parfois aussi appelé Kashima. Takemikazuchi parvient à immobiliser Namazu en lui bloquant la tête sous une pierre appelée kaname-ishi 要石.

S’il existe toujours des tremblements de terre, c’est simplement parce que, parfois, Takemikazuchi relâche sa vigilance et s’endort pendant quelques instants. Namazu en profite alors pour se réveiller et provoquer des tremblements de terre, ce qui ne manque pas d’attiser la colère des habitants.

Les femmes d’un quartier de plaisir s’en prennent au poisson-chat pour le tremblement de terre qu’il a causé. Source : commons.wikimedia.org

Les grands tremblements de terre de l’époque d’Edo (1603-1868)

Même si la légende de Namazu existait auparavant, elle est devenue extrêmement populaire pendant l’époque d’Edo pour une triste raison : trois grands tremblements de terre se sont produits entre 1854 et 1855. Ces tremblements de terre que l’on appelle les « grands séismes de l’ère Ansei » (安政の大地震) furent particulièrement meurtriers. Celui de la ville d’Edo (ancien nom de Tokyo), qui eut lieu le 11 novembre 1855, va provoquer de nombreux incendies, mais aussi un tsunami qui détruira de nombreux quartiers de la ville (causant environ 6 641 morts selon les estimations).

Au vu de la violence de ces tremblements de terre, on peut comprendre que les Japonais eurent besoin d’espoir. C’est donc dans cette optique que des images, appelées namazu-e 鯰絵 (images de namazu), montrant Takemikazuchi maîtrisant Namazu ont commencé à être distribuées en grand nombre par le biais de kawaraban, des prospectus sur feuille de papier. On trouve aussi souvent sur ces images le dieu Daikokuten, qui fait partie des sept divinités du bonheur, représenté distribuant de l’argent aux victimes des tremblements de terre. Ces images très largement diffusées étaient considérées comme des charmes de protection.

Une namazu-e : Takemikazuchi chevauche le poisson-chat géant et Daikokuten distribue de l’argent aux victimes. Source : commons.wikimedia.org

Pourquoi un poisson-chat ?

Si la légende de Namazu a été véritablement popularisée après les tremblements de terre de 1854-1855, on trouve des traces de Namazu bien avant. Déjà en 1678, un poème du célèbre Matsuo Bashô associe Namazu aux tremblements de terre. Il n’y a pas d’explication claire pour le choix du poisson-chat, mais beaucoup de gens dans le monde ont déjà remarqué que certains animaux avaient un comportement étrange avant qu’un tremblement de terre ne se produise.

Parmi ces animaux sensibles aux tremblements de terre, on trouverait justement les poissons et poissons-chats. Déjà, dans un rapport rédigé après le tremblement de terre de 1855, on trouve le récit d’un pêcheur japonais qui trouvait que les poissons-chats avaient un comportement bizarre avant le tremblement de terre, puisqu’ils étaient remontés à la surface. Même si le fait que les animaux puissent prévoir un tremblement de terre n’est pas avéré scientifiquement, on comprend que l’image du poisson-chat ait pu être associée aux tremblements de terre.

Takemikazuchi et le sanctuaire Kashima-jingû

Haiden (bâtiment réservé au culte) du sanctuaire Kashima-jingû. Source : commons.wikimedia.org

Le sanctuaire Kashima-jingû, situé dans la préfecture d’Ibaraki, est dédié à Takemikazuchi un kami important de la mythologie japonaise. Takemikazuchi apparaît notamment dans le mythe de la descente sur terre de Ninigi, le petit-fils de la déesse du soleil Amaterasu. Comme le Japon était gouverné à l’époque par Ôkuninushi, un descendant de son frère Susanoo, Amaterasu décida d’envoyer son propre descendant pour régner. Avant de faire descendre Ninigi, elle envoya d’abord Takemikazuchi et Futsunushi pour qu’ils s’assurent qu’Ôkuninushi abdique au profit de son petit-fils. Une fois la mission achevée, Ninigi put descendre sur terre où son arrière-petit-fils fondera la lignée impériale.

Dans les textes mythologiques, il n’est pas fait mention de Namazu ou de Takemikazuchi qui empêcherait les tremblements de terre, c’est une attribution qui lui a été donnée bien plus tard par les prêtres du sanctuaire Kashima-jingû. Comme les pèlerinages religieux au Japon étaient très populaires, il était monnaie courante que les prêtres shintô et les moines bouddhistes mettent en avant certaines fonctions de leur divinité pour attirer les pèlerins. Parfois les divinités recevaient même de nouvelles fonctions, ce qui semble être le cas de Takemikazuchi. Dans la mythologie japonaise, Takemikazuchi a affronté le fils d’Ôkuninushi dans un combat considéré comme les origines du sumo. Il est donc connu pour sa très grande force ce qui peut expliquer pourquoi il fut choisi pour contenir le poisson-chat géant.

Dans l’enceinte du sanctuaire Kashima-jingû, on trouve un bout de la pierre « kaname-ishi », utilisée pour maintenir le poisson-chat géant, qui sort du sol.

Namazu de nos jours ?

Si de nos jours on sait comment se produisent les tremblements de terre, ce n’est pas pour autant que notre poisson-chat géant a disparu des mémoires. Au contraire, il est même devenu en quelque sorte la mascotte des tremblements de terre.

Le logo de l’application Yurekuru Call qui avertit des tremblements de terre est un poisson-chat.

Lorsqu’un tremblement de terre se produit au Japon, le téléphone de toutes les personnes qui résident aux alentours se met à sonner pour prévenir du danger, peu importe l’heure ou l’intensité du tremblement. L’alerte est installée d’office sur la plupart des téléphones japonais, mais il est également possible de télécharger une application appelée Yurekuru Call ゆれくるコール dont le logo n’est autre qu’un poisson-chat.

Aussi, si vous prenez l’autoroute au Japon vous trouverez parfois un panneau à l’effigie de Namazu. Ce panneau est là pour prévenir les conducteurs qu’en cas de tremblement de terre, la voie sous le panneau sera fermée. Origine légendaire des séismes, Namazu est désormais aussi associé à la prévention des tremblements de terre.

Claire-Marie Grasteau


Pour un média libre et indépendant sur le Japon, soutenez Poulpy 🐙 sur Tipeee !