Les enfants japonais, comme ceux de nombreux pays, grandissent en découvrant les aventures extraordinaires des personnages des contes populaires, qui se transmettent de génération en génération. Parmi ces contes antiques qui inspirent l’imaginaire des jeunes japonais, on trouve celui d’Urashima Tarô, un simple pêcheur qui va avoir l’occasion de visiter le merveilleux palais sous-marin du dieu des mers… Si la version de ce conte la plus répandue de nos jours est assez moderne (remaniée à la fin de l’ère Meiji), les premières traces du conte sont très anciennes et remontent au VIIIe siècle !

Le conte moderne d’Urashima Tarô

Urashima Tarô (浦島太郎) est un jeune pêcheur qui surprit des enfants en train de maltraiter une pauvre tortue sur une plage. Il décida de lui venir en aide et de la sauver en faisant la leçon aux jeunes gens. Après cet instant, la créature observa longtemps Urashima dans les yeux. Il l’ignorait encore, mais la tortue maltraitée était en réalité la princesse Otohime, fille du dragon Ryûjin, le dieu des mers ! Le lendemain, le jeune homme alla pêcher comme à son habitude. La tortue vint à sa rencontre. Elle parlait ! Pour le récompenser de son geste de bonté, la torture invita Urashima Tarô à passer quelque temps dans le palais sous-marin de Ryûjin, appelé Ryûgû-jô 竜宮城.

Le palais sous-marin est un endroit extraordinaire, fait de coraux blancs et rouges et où chaque saison était représentée dans un espace différent du palais. Urashima Tarô passa de très bons moments au palais en compagnie de la princesse Otohime, mais un jour il ressentit le mal du pays et souhaita soudainement rentrer chez lui pour revoir ses parents.

Bien qu’attristée par son départ, Otohime décida de lui offrir un cadeau d’adieu très spécial : un très beau coffret appelé tamatebako 玉手箱, tout en lui ordonnant de ne surtout jamais l’ouvrir. Une fois chez lui, Urashima Tarô constata que tout avait changé. Il ne retrouva personne qu’il connaissait. Il réalisa que plus de trois cents années s’étaient en réalité écoulées depuis son départ et que ses parents étaient morts depuis bien longtemps.

Comme plus personne ne le connaissait dans son propre village, il erra de désespoir sur la plage. Déprimé, rongé par la curiosité, il décida d’ouvrir le coffret qu’Otohime lui avait offert malgré l’interdiction. Malheureusement le coffret contenait son âge réel, Urashima Tarô commença alors à vieillir rapidement.

Estampe par Tsukioka Yoshitoshi représentant Urashima Tarô quittant le palais sous-marin pour rentrer chez lui. Source : commons.wikimedia.org

L’origine du conte d’Urashima Tarô

Cette version du conte d’Urashima Tarô, connue de presque tous les Japonais, est plutôt récente. Elle fut remaniée par le Ministère de l’Éducation japonais et introduite officiellement dans les manuels scolaires de la fin de l’ère Meiji (1868-1912). Cette version met davantage l’accent sur l’aspect moralisateur du conte : Urashima Tarô est récompensé pour sa bienveillance à l’égard de la tortue. Ensuite, il est puni à cause de sa curiosité et de sa désobéissance. Chaque action entraîne des conséquences propres et une bonne action aujourd’hui ne vous protège pas demain d’un mauvais choix.

Avant cela, l’histoire du jeune pêcheur avait déjà été remaniée pendant l’époque Muromachi (1336-1573) où plusieurs contes, dont celui d’Urashima Tarô, étaient publiés sous l’appellation Otogizôshi. La principale différence de cette version avec celle moderne est qu’à la fin Urashima Tarô se transforme en grue ! On y trouve aussi davantage d’éléments inspirés par la pensée bouddhiste.

C’est à l’époque Muromachi qu’Urashima Tarô prit le diminutif de Tarô, prénom populaire à l’époque qui était donné aux garçons aînés. Son nom d’origine est Ura no Shimako et dans les premières versions il s’agissait principalement d’une histoire d’amour entre la princesse et le jeune pêcheur. Le personnage d’Ura no Shimako est mentionné dans plusieurs textes anciens comme le Fudoki de la province de Tango, qui correspond à la partie nord de l’actuelle préfecture de Kyôto, mais aussi dans le Nihonshoki (720) et le Man’yôshû (760).

Les Fudoki sont des rapports, qui ont quasiment tous disparus aujourd’hui, rédigés par chaque province du pays à la demande de l’impératrice Gemmei en 713. Chaque province devait y consigner des informations sur la géographie ou encore l’histoire de la province. On y trouvait également de nombreuses légendes, comme celle d’Urashima Tarô.

Urashima pêchant une tortue, par Matsuki Heikichi. Source : commons.wikimedia.org

Selon le Fudoki de Tango, alors qu’il était en train de pêcher, Ura no Shimako attrapa une magnifique tortue de cinq couleurs, qui se transforma tout à coup en une magnifique femme. Il s’agissait en réalité d’une princesse, appelée princesse Kame (kame = tortue). La princesse lui expliqua qu’elle l’observait depuis quelque temps et qu’elle était tombée amoureuse de lui. Elle l’emmena sur son île, un lieu où résident des immortels. Ura no Shimako et la princesse vont se marier et vivre heureux au pays des immortels, mais après quelques temps Ura no Shimako va commencer à avoir le mal du pays et vouloir revoir ses parents.

Triste de voir son mari partir, la princesse lui donna une boîte en lui disant que s’il voulait un jour revenir vers elle, il ne devait alors jamais l’ouvrir. Une fois rentré chez lui, le jeune pêcheur constata que trois cents années s’étaient écoulées et que ses parents étaient morts. De désespoir, il oublia sa promesse et ouvrit la boîte interdite, qui contenait son immortalité. Il se mit à vieillir et comprit qu’il ne pourrait jamais plus retourner chez les immortels et revoir sa promise…

Cette version de l’histoire est fortement influencée par le taoïsme. D’ailleurs, la fameuse terre des immortels où la princesse Kame amène notre héros serait en réalité le mont Hôrai, un lieu où résideraient les immortels selon le taoïsme. Les immortels, au nombre de huit, sont des divinités qui étaient autrefois des mortels issus de différentes couches de la population (noble, militaire, lettré, femme, mendiant…). Ces huit humains ont pu devenir immortels grâce à leur grande sagesse. Le mont Hôrai, ou mont Penglai selon la tradition chinoise, serait une terre mystique située sur une île de la mer de Bohai. L’endroit est décrit dans les légendes comme un véritable paradis où on y trouverait notamment des fruits donnant l’élixir de longue vie.

Le sanctuaire Urashima-jinja, situé dans le village d’Ine, photo d’Asturio Cantabrio . Source : commons.wikimedia.org

Les autres versions anciennes du conte se ressemblent plus ou moins, à part que dans le Man’yôshû, un célèbre recueil de poèmes, la terre des immortels est déjà remplacée par le palais sous-marin Ryûgû-jô.

De nombreux endroits au Japon sont censés être liés à la légende d’Urashima Tarô, comme par exemple le sanctuaire Urashima-jinja 浦嶋神社, situé dans le petit village de pêcheurs d’Ine (préfecture de Kyôto). Il est possible d’observer dans le sanctuaire la fameuse boîte Tamatebako donnée par la princesse à Urashima Tarô. Parmi les autres endroits, le sanctuaire Ryûgû-jinja 龍宮神社 situé dans la ville d’Ibusuki (préfecture de Kagoshima) est dédié au dragon Ryûjin. Selon la légende du sanctuaire, Urashima Tarô serait né ici. L’architecture du sanctuaire est assez originale et rappelle la façon dont est décrit le palais de Ryûjin dans le conte.

Estampe représentant Toyotama qui donne naissance à Ugayafukiaezu, par Kobayashi Tetsujirô. Source : commons.wikimedia.org

Les princesses Otohime et Toyotama

La princesse Otohime du conte d’Urashima Tarô est souvent assimilée à la princesse Toyotama, la grand-mère du premier empereur japonais Jimmu. Selon la mythologie japonaise, Toyotama est la fille de Watatsumi, le kami (divinité shintô) des mers, lui-même assimilé au dragon Ryûjin sous sa véritable forme. Il est donc logique de penser que Toyotama et Otohime sont en réalité la même personne, d’autant plus que la façon dont Toyotoma rencontre son époux ressemble beaucoup à la façon dont Otohime rencontre Urashima Tarô.

Selon la mythologie japonaise, la déesse du soleil Amaterasu envoya son petit-fils Ninigi sur terre pour y régner. Le fils de Ninigi, Hoori, se rendit un jour au palais sous-marin Ryûgû-jô pour y chercher l’hameçon de son frère qu’il avait perdu. Au palais, il rencontra Toyotama, la fille du kami des mers. Les deux tombèrent immédiatement amoureux et se marièrent. Ils vécurent très heureux jusqu’à ce qu’Hoori se souvienne qu’il était censé retrouver l’hameçon de son frère. Avec l’aide de Watatsumi il va le retrouver et décider de remonter à la surface. Toyotama, qui est enceinte, va l’accompagner car elle voulait donner naissance à son enfant de sang divin sur terre. Étant une créature marine, Toyotama doit accoucher sous sa vraie forme, elle demanda donc à son époux de ne pas la regarder.

Le sanctuaire Udo-jinja construit à l’endroit où Toyotama a accouché d’Ugayafukiaezu, photo par そらみみ. Source : commons.wikimedia.org

Malheureusement, Hoori va rompre sa promesse et regarder sa femme sous sa vraie forme de dragon/requin. Très vexée qu’il l’ait vue ainsi, Toyotama va laisser Hoori et son fils Ugayafukiaezu sur terre pour retourner au palais sous-marin. Ugayafukiaezu sera élevé par sa tante Tamayori, envoyée par Toyotama pour veiller sur lui et Hoori.

On retrouve beaucoup d’éléments en commun entre les deux histoires, comme par exemple le fait qu’Hoori et Urashima Tarô décident soudainement de rentrer chez eux et qu’ils n’obéissent pas à l’interdiction de regarder…

Il est courant que les contes et légendes évoluent pour correspondre à la société du moment. Le Japon n’y fait pas exception. Cette évolution est souvent aussi passionnante que le récit en lui-même et nous en apprend beaucoup sur l’histoire d’un pays. Nous espérons que vous avez apprécié ce conte antique dont les innombrables représentations graphiques sont inévitables au Japon.

Claire-Marie Grasteau

Illustration : Sija Hong : https://www.behance.net/gallery/50580927/II/modules/444461577

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