Le folklore japonais possède un bestiaire impressionnant de créatures, plus ou moins agressives, réunies sous l’appellation yôkai. Parmi ces nombreux yôkai, l’un des plus populaires est une petite créature aquatique appelée kappa. De nos jours le kappa est souvent représenté sous les traits d’un petit être mignon et amical, mais ce ne fut pas toujours le cas. La créature aussi intelligente que dangereuse s’intéresse de près aux enfants comme au postérieur des japonais…

Un jour, alors que je passais la nuit dans un ryokan (旅館) de Kyoto, j’ai fait un étrange rêve… Une créature à la peau verte dotée d’une carapace et de mains palmées s’était introduite dans ma chambre, rampant jusque dans mon lit. Elle se glissa le long de mon visage et se mit à respirer lourdement près de mon oreille sans que je puisse me réveiller ! Je ne suis pas prêt d’oublier cette expérience. C’est la première fois que je rêvais du kappa…

Qu’est-ce qu’un kappa ?

Le kappa 河童, aussi appelé kawatarō 川太郎 le « garçon de la rivière » , est une créature qui vit dans les rivières, les étangs ou encore les lacs. Il est décrit comme une sorte de tortue humanoïde, faisant la taille d’un enfant humain. Il possède aussi un bec, mais ce qui le rend particulièrement reconnaissable c’est un petit plateau (ou assiette) rempli d’eau situé au sommet de son crâne.

C’est ce petit plateau rempli d’eau qui lui donne sa force, mais qui permet aussi de le neutraliser facilement. Comme le kappa est un être très poli, s’il essaye de vous attaquer, il suffit de s’incliner devant lui pour le saluer ! Il ne pourra s’empêcher de s’incliner en retour et perdra son eau magique, ce qui le rendra vulnérable.

Estampe d’un kappa, par Toriyama Sekien. Source : commons.wikimedia.org

On ne connaît pas réellement l’origine du kappa, mais certains spécialistes pensent qu’il serait en fait le kami (divinité shintô) des rivières, Kawa no kami, mentionné dans le Nihonshoki, un des textes mythologiques les plus importants du Japon.

Il existe aussi une théorie beaucoup plus sombre selon laquelle le kappa, avec son apparence d’enfant, serait né du fait que les parents étaient parfois trop pauvres pour nourrir leurs enfants et devaient donc les noyer à la rivière. Pour expliquer la présence des cadavres dans l’eau, mais aussi pour éviter aux autres enfants de les voir, le concept du kappa aurait ainsi été inventé, drainant son lot d’histoires terrifiantes puisant partiellement dans une réalité tragique.

Guide illustré des 12 types différents de kappa. Source : commons.wikimedia.org

On commence à trouver des illustrations du kappa dès l’époque Edo (1603-1868), mais c’est surtout l’ouvrage Tôno monogatari, Les contes de Tôno, publié en 1910 par Kunio Yanagita qui va populariser cette petite créature dans tout le pays. Kunio Yanagita, considéré comme le créateur des études folkloriques (minzokugaku 民俗学) au Japon, a compilé de nombreuses légendes issues de la région de Tôno (actuelle préfecture d’Iwate) dans cet ouvrage.

«Takagi Toranosuke  capture un kappa sous l’eau dans la rivière Tamura». Estampe d’Utagawa Kuniyoshi. Source : commons.wikimedia.org

Si de nos jours le kappa a une image plutôt positive, il s’agit pourtant d’un yôkai assez féroce et dangereux. Le kappa se cache dans l’eau et n’hésite pas à surgir pour attraper sa proie et la traîner dans l’eau pour la noyer et la dévorer. Il est très habile dans l’eau et surtout très fort, une fois dans son élément sa cible ne peut plus lui échapper.

La plupart des histoires de kappa mettent l’accent sur le fait que ses victimes préférées sont les enfants. Il semble évident que cette histoire a servi, et sert encore, de prétexte aux parents pour empêcher les enfants d’approcher trop près de l’eau au risque de tomber et de se noyer. C’est d’autant plus utile que les enfants japonais sont souvent laissés seuls pour effectuer des tâches dès un très jeune âge. Il n’est ainsi pas rare de voir des enfants de moins de 10 ans se rendre à l’école seul, prenant parfois le train sans aucun adulte.

Les autres caractéristiques du kappa

Le kappa n’est pas seulement une bête aquatique qui rôde dans l’eau à l’affût d’enfants à manger, c’est une créature très complexe avec différentes facettes. Le kappa peut très bien vivre en dehors de l’eau ! D’ailleurs il se rend souvent dans les villages situés près des cours d’eau pour embêter leurs habitants… Parmi ses méfaits, le kappa aime entrer dans les habitations pour voler de la nourriture. Il aime aussi polluer l’air du village en pétant très fort… et vu qu’il possède trois anus on ne doute pas du fait que l’air devienne vite irrespirable.

Kusazōshi (littérature illustrée sur gravure sur bois) représentant un kappa récupérant un shirikodama. Estampe de Katsushika Hokusai, «le fumeur et le kappa».

L’anus est aussi associé au kappa d’une autre manière, puisque les victimes du kappa sont retrouvées avec le rectum distendu. Il semblerait en effet que le kappa tue ses victimes en enlevant leur shirikodama 尻子玉, une boule qui serait présente dans le rectum des japonais ! On ne sait pas vraiment ce qu’est le shirikodama, certains associent cette boule au bijou Nyoi Hôju (ou pierre de Chintamani), qui a pour particularité d’exaucer les vœux, alors que d’autres pensent qu’il s’agirait en réalité d’une représentation l’âme humaine. Une croyance représentée dans les estampes anciennes jusqu’à nos jours notamment par Shigeru Mizuki et son personnage bien connu Kitaro.

Voilà qui laisse songeur… illustration : Shigeru Mizuki

Capturer un kappa

La ville de Tôno, située dans la préfecture d’Iwate, est étroitement liée au kappa. Chaque préfecture du Japon vend des cartes postales à l’effigie des spécialités de la préfecture en question. Ces cartes postales sont appelées gotochi cards et l’une des cartes de la préfecture d’Iwate est justement à l’effigie d’un kappa mignon qui mange un concombre.

Gotochi card, carte postale de la préfecture d’Iwate, à l’effigie d’un kappa mignon qui mange un concombre. Source : postacollect.com

On ne sait pas vraiment si le kappa est originaire de Tôno puisqu’on trouve des récits dans plusieurs endroits du pays, mais comme l’ouvrage de Kunio Yanagita en fait la ville des kappa, Tôno est dans l’imaginaire des gens fortement lié à ce yôkai.

On trouve dans la ville de Tôno des lieux touristiques liés au kappa, comme par exemple un point d’eau où vivent justement les kappa, appelé kappabuchi カッパ淵. Si vous avez toujours rêvé de voir un kappa et d’en capturer un, c’est ici qu’il faut se rendre ! L’office du tourisme de la ville délivre même des permis pour aller pêcher un kappa. Pour en attraper un à coup sûr, il est recommandé d’utiliser comme hameçon son plat préféré, le concombre. D’ailleurs sachez que les maki au concombre sont souvent appelés kappa maki en référence à notre yokai préféré…

Il paraît que lorsqu’on capture un kappa, on peut lui faire promettre de bien se tenir et même de nous aider. Comme le kappa est particulièrement intelligent il aime transmettre son savoir, notamment en matière de médecine, il est aussi réputé être un très bon joueur de shôgi (sorte de jeu d’échecs japonais) donc si vous en capturez un, pourquoi ne pas en profiter pour apprendre à ses côtés… Si pas, bonne chance dans la rivière !

Claire-Marie Grasteau

Image d’en-tête : Dessin d’un kappa qui fut capturé sur une plage du domaine de Mito (actuelle préfecture d’Ibaraki), 1836


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