Si vous avez déjà vu le film d’animation Pompoko des studios Ghibli, la scène de la parade des yôkai vous aura probablement marqué. Cette scène étrange, qui dure plusieurs minutes, nous permet d’admirer plusieurs créatures du folklore japonais alors qu’elles défilent dans les rues sous le regard médusé des japonais. La plupart de ces yôkai sont populaires au Japon, mais peut-être ne les avez-vous pas tous reconnus… alors (re)découvrons ensemble l’identité et l’histoire de ces yôkai !

Pompoko et la parade des yôkai

Les tanuki, personnages principaux de Pompoko

Commençons par une petite présentation du film d’animation Pompoko. Il s’agit d’un film des célèbres studios Ghibli, réalisé en 1994 par Isao Takahata (sorti en 2006 en France). Le film, qui se déroule dans les années 60, suit un groupe de tanuki qui voit son habitat naturel menacé par une urbanisation à outrance des humains. Ces tanuki vont alors tout faire pour sauver leur peau.

Ces tanuki en particulier font eux-mêmes partie des yôkai, ces créatures du folklore japonais très populaires. Il s’agit d’une sorte de chien-viverrin possédant la capacité de se transformer à volonté, ainsi que de très gros testicules… Dans le film, les tanuki vont se servir de cette capacité de transformation pour invoquer une véritable parade de yôkai. Le but de cette parade est d’effrayer les habitants de la ville, mais aussi de leur faire prendre conscience qu’ils ne sont pas seuls sur terre. En regardant la parade, les adultes semblent en effet partagés entre peur et intrigue. En revanche, les enfants eux s’en donnent à cœur joie.

Les parades de yôkai sont un thème récurrent de l’art japonais. Nous y avons consacré un article détaillé ici pour les curieux. D’ailleurs, la plupart des yôkai que l’on peut apercevoir dans Pompoko sont inspirés d’oeuvres d’art antiques. Certains proviennent des estampes des grands maîtres comme Hokusai ou Kuniyoshi et d’autres sont des hommages aux créations du mangaka Shigeru Mizuki, spécialisé dans les yôkai et l’horreur. Il est difficile de donner une estimation précise du nombre de yokaï dans le folklore japonais, car il n’existe pas de décompte officiel ou de recensement complet de ces créatures. Cependant, on estime qu’il existe plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de yokaï différents dans les légendes, les contes populaires, la littérature et les arts visuels japonais. À travers les contes japonais anciens, chaque objet, chaque fait social tragique, chaque animal, a pratiquement généré sont propre type de yokaï.

Kitsune, le renard malicieux

Parade de kitsune

Les kitsune 狐 font partie des yôkai les plus populaires du Japon. Ce sont des créatures à l’apparence de renards. Le mot kitsune désigne également cet animal réel. Il existe deux types de kitsune dans le folklore japonais : les zenko qui sont les messagers de la divinité des céréales Inari et les yako qui sont des yôkai.

Les yôkai kitsune ont pour particularité de pouvoir se transformer en humains, ce qui leur permet de pouvoir leur jouer des tours. On peut voir dans Pompoko les kitsune défiler pour ce qui semble être un mariage. C’est en référence au Kitsune no Yomeiri, le « mariage des renards », une représentation populaire des kitsune dans l’art japonais.

Les kitsune ont également la capacité de faire apparaître des feux follet, appelés kitsunebi, depuis leurs queues. Ainsi, lorsque les habitants voyaient au loin surgir ces petites boules de feu, ils avaient l’impression que les kitsune se réunissaient pour un mariage.

Des kitsune se réunissant sous un arbre à la veille du Nouvel An. Estampe « Les feux des renards à la veille du Nouvel An sous l’Arbre d’Ôji », par Utagawa Hiroshige, 1857. Format grand. Source : commons.wikimedia.org

La lanterne Oiwa-san

Le fantôme d’Oiwa-san

Cette lanterne à bouche ouverte est un yôkai à l’effigie du fantôme d’Oiwa, une histoire très populaire au Japon. Le fantôme d’Oiwa nous raconte l’histoire d’Oiwa, une femme qui eut le visage défiguré par jalousie et qui mourut pour satisfaire l’envie de son mari de se remarier avec une autre bien plus belle… Lors de la cérémonie de mariage, Oiwa se transforma en fantôme et revint hanter son ancien mari. Il essaya de s’enfuir, mais elle le suivit partout en prenant par exemple possession des lanternes le long du chemin.

La représentation du fantôme d’Oiwa dans Pompoko est directement inspirée d’une estampe réalisée par le grand maître Hokusai, sous sa forme de lanterne maléfique. Il existe d’ailleurs d’autres yôkai qui sont spécifiquement des lanternes. Ils sont connus sous le nom de Chôchin-obake.

Kasa-obake, le yôkai cyclope-parapluie

Kasa-obake, le yôkai parapluie

Le kasa-obake 傘おばけ est un yôkai très facile à reconnaître, puisqu’il a la forme d’un parapluie. Il possède une seule jambe avec une geta (chaussure traditionnelle japonaise), un œil central et une langue pendante. Contrairement à la version que l’on trouve dans Pompoko, il est aussi parfois représenté avec deux bras ou de façon plus horrifique.

Le kasa-obake fait partie d’une catégorie de yôkai spécifique, appelée tsukumogami. Ce sont des objets du quotidien qui deviennent yôkai généralement après avoir été délaissé par leur propriétaire. Le kasa-obake est un yôkai inoffensif, qui aime jouer des tours aux humains pour s’amuser. Il aime par exemple les surprendre en se cachant dans leur dos, puis en leur léchant la joue avec sa grosse langue…

Les monstrueux oni

Oni, les démons japonais

Les oni 鬼 sont les démons du folklore japonais. Ils sont souvent représentés avec la peau rouge ou bleue et des cornes sur le front. Ils vivent dans les enfers du bouddhisme où ils ont pour mission de torturer les humains qui ont rejoint les enfers. La plupart des oni sont d’ailleurs d’anciens humains dont l’âme est torturée.

Les oni ne naissent donc pas sous cette forme. Les humains qui ont commis des actes tellement mauvais deviennent des démons une fois morts en guise de punition. Les enfers dont ils s’occupent sont peuplés aussi de mauvaises personnes, mais qui ne l’étaient pas assez pour devenir oni… Voilà donc un encouragement bien étrange à devenir assez mauvais pour éviter d’être torturé dans les enfers !

L’Awa Odori, la danse traditionnelle de Tokushima

L’Awa Odori, la danse des fous

L’Awa Odori 阿波踊り ne désigne pas vraiment un yôkai, puisqu’il s’agit d’une danse traditionnelle. Issue de la ville de Tokushima (Shikoku), cette danse est très populaire au Japon. Elle a surtout lieu lors d’un Matsuri (festival) qui se déroule chaque année du 12 au 15 août. La danse Awa Odori s’exécute pour l’Obon, la fête des morts japonaise. Pendant Obon, les morts reviennent parmi les vivants pendant quelques jours.

La danse Awa Odori est surnommée la « danse des fous » à cause de son refrain : « les fous qui dansent, les fous qui regardent. Tant qu’à être fous pourquoi ne pas danser ? ». Dans Pompoko, les danseuses d’Awa Odori ont pour particularité d’être toutes petites, ce qui laisse suggérer qu’elles puissent être exceptionnellement des esprits. Après tout, un yokaï est avant tout une apparition étrange…

Les dieux Raijin et Fujin

Raijin et Fujin

Raijin 雷神 est la divinité du tonnerre et Fujin 風神 celle du vent. Eux mêmes des oni de type singulier, ils sont souvent décrits comme des démons rivaux, qui s’affrontent à coup d’orages et de typhons pour le plus grand déplaisir des Japonais… Pourtant, ils sont inséparables. Raijin se sert des tambours qui l’entourent pour provoquer des orages et Fujin utilise quant à lui une sorte de sac qui contient le vent, pour invoquer des tempêtes violentes.

La représentation de Raijin et Fujin dans Pompoko est issue d’une œuvre très connue : le paravent à deux panneaux de Tawaraya Sôtatsu (17e siècle).

Les Yokaï de Daruma

Des daruma avec bras et jambes

Daruma だるま est un terme qui désigne ces petites figurines en papier mâché. Ces figurines ont pour particularité d’exaucer les aspirations de ceux qui les possèdent. Une fois que vous avez choisi votre vœu, il faut colorer l’œil gauche du daruma. Ce n’est qu’une fois le vœu exaucé qu’il faut colorer le second œil et éventuellement brûler le daruma pour finir le cycle.

Mais derrière la figure, il existe une véritable personne. La forme des daruma est inspirée de Bodhidharma, un moine originaire d’Inde qui serait resté dans la position de méditation zen pendant neuf ans ! À force de rester dans cette position, il aurait perdu ses jambes et ses bras. Il est devenu une figure emblématique du bouddhisme au Japon. Si bien que des artisans vont se mètre à la représenter d’une manière ultra-minimaliste, en forme de boule rouge que nous connaissons aujourd’hui. Les daruma de Pompoko sont inspirés des estampes réalisées par Utagawa Kuniyoshi et possèdent des bras et des jambes comme le moine à l’origine.

Le tengu, le yôkai ailé

Le tengu accompagne les daruma

Le tengu 天狗 est aussi un yôkai très connu du folklore japonais. Reconnaissable à son long nez (parfois il s’agit d’un bec) ses ailes et son éventail en feuille d’érable, il est considéré comme le protecteur des montagnes et des yamabushi (ascètes qui vivent isolés dans les montagnes).

Les tengu pouvaient se montrer impitoyables envers ceux qui s’aventuraient dans les montagnes sans autorisation. Ils sont également capables de déclencher des vents violents grâce à un éventail en plumes, ainsi que de très bons combattants. C’est d’ailleurs un tengu très puissant qui enseigna l’art du combat à Minamoto no Yoshitsune, l’un des plus grands samouraï de l’histoire du Japon.

Estampe de Kunitsuna Utagawa représentant Minamoto no Yoshitsune s’entraînant avec des tengu. Source : commons.wikimedia.org

Le bakeneko, le yôkai chat

Un fukusuke qui se transforme en bakeneko

Le bakeneko 化け猫 est un chat qui devient yôkai lorsqu’il est très âgé. Ce ne sont pas tous les chats qui deviennent bakeneko, seulement ceux qui possèdent une longue queue. Grâce à cette dernière, ils arrivent ainsi à se tenir sur deux pattes. Il existe un autre yôkai issu du chat appelé nekomata. Il ressemble au bakeneko, sauf qu’il possède une queue fendue en deux.

Dans Pompoko, on peut voir le bakeneko se transformer à partir d’un fukusuke, une petite figurine en porcelaine censée apporter chance aux commerçants. Soyez attentif quand vous visitez de vieilles auberges au Japon, il y en a souvent un caché en hauteur qui vous observe…

Les tsukumogami, ces objets du quotidien

Le bakezôri, un des tsukumogami

Un tsukumogami 付喪神 est un objet du quotidien qui a été soit mis de côté, soit vendu par son propriétaire, et qui devient un yôkai au bout de cent ans. Une fois devenu yôkai, le tsukumogami cherche en général à se venger de cet abandon. Certains tsukumogami deviennent également yôkai pour venger leur propriétaire à qui il est arrivé malheur.

On voit de nombreux tsukumogami parader dans Pompoko, comme par exemple le bakezôri. Il s’agit d’un yôkai en forme de sandale faite en paille de riz (zôri). Le bakezôri est le yôkai emblématique du mangaka Shigeru Mizuki, mais la représentation que l’on retrouve dans Pompoko est tirée du Hyakki Yakô Emaki, un rouleau illustré contenant différents tsukumogami qui paradent ensemble.

Bekatarô, le yôkai bébé

Bekatarô, le yôkai bébé

Ce gros bébé faisant une grimace est appelé bekatarô べか太郎. C’est un yôkai dont on trouvait de nombreuses représentations, mais qui n’avait pas vraiment d’histoire jusqu’à ce que Shigeru Mizuki lui en invente une.

Bekatarô était un petit garçon du nom de Tarô, qui avait un très gros appétit. Il mangeait tellement que ses parents finirent par ne plus avoir d’argent et durent l’abandonner. Il survécut pendant un temps en demandant à manger à des passants, mais il n’était jamais repu. Il voulut alors tester la viande humaine, ce qui le transforma en yôkai.

Si l’information n’a jamais été confirmée, le bekatarô pourrait bien avoir inspiré Miyazaki pour Le Voyage de Chihiro.

Hitotsume-kozô, le cyclope japonais

Deux versions du hitotsume-kozô dans Pompoko

Hitotsume-kozô 一つ目小僧 est un yôkai qui ne possède qu’un œil, tel un cyclope. Inoffensif, il est souvent représenté sous l’apparence d’un enfant moine, qui joue des tours aux humains pour leur faire peur.

On le trouve à deux reprises dans Pompoko, une fois sous une apparence enfantine et une autre sous une apparence plus adulte. Cette dernière est tirée d’une œuvre de Takayuki Sawaki.

Rokurokubi, le yôkai au long cou

Deux rokurokubi

Le rokurokubi ろくろ首 est un yôkai qui possède un cou qui peut s’allonger la nuit. Il s’agit souvent de femmes, qui sont tout à fait « normales » le reste du temps. Les rokurokubi aiment faire des farces et faire peur à leur entourage.

Il existe un autre yôkai lui ressemblant : le nukekubi, mais à la différence du rokurokubi sa tête se détache complètement du corps. Le nukekubi est beaucoup plus dangereux que le rokurokubi, car il peut mordre et même sucer le sang de ses victimes.

Akaname, le yôkai « nettoyeur »

Akaname, le yôkai « nettoyeur »

Ce yôkai, que l’on ne voit pas entièrement dans Pompoko, semble être un Akaname 垢嘗. C’est un yôkai très intéressant puisqu’il fait partie de ces yôkai qui mettent mal à l’aise. Ce qui saute immédiatement aux yeux lorsqu’on se retrouve nez à nez avec un akaname, c’est sa longue langue pendante.

Cette dernière lui sert à « nettoyer » la saleté dans les salles de bains, les toilettes ou encore les bains publics. Cheveux, ongles, excréments, rien ne résiste à sa langue… Il est totalement inoffensif, mais c’est un yôkai que l’on n’aime pas croiser, surtout quand on sait où sa langue a traîné.

Shirime, le yôkai en forme de « fesses »

Shirime, le yôkai qui montre ses fesses…

Le shirime 尻目 est un yôkai qui apparaît de façon assez furtive dans Pompoko, mais si vous faites bien attention vous verrez qu’il s’agit de fesses, avec un œil à la place de l’anus

Le shirime n’a pas pour but de s’en prendre aux humains, il aime juste les effrayer en leur montrant son œil. Il semble que sa toute première victime fut un samouraï qui se promenait la nuit. On imagine facilement l’étonnement de ce guerrier.

Les sept divinités du bonheur

Les sept divinités du bonheur

Ces divinités ne sont pas des yôkai en soi, puisqu’il s’agit des sept divinités du bonheur 七福神. Chaque début d’année elles arrivent sur leur navire, appelé Takarabune, pour distribuer des richesses à ceux qui le méritent. Les sept divinités se nomment Ebisu, Daikokuten, Bishamonten, Benzaiten, Fukurokuji, Jurôjin et Hotei. Elles ont chacune leur particularité et sont originaires de Chine, d’Inde et du Japon.

Pour augmenter ses chances de recevoir des richesses de leur part, il est possible de faire en janvier un pèlerinage dédié aux divinités du bonheur. Il suffit de visiter sept temples, un par divinité, et de récolter sept goshuin (calligraphies) différents.

Gashadokuro, le yôkai squelette

Gashadokuro, inspiré d’Utagawa Kuniyoshi

Le gashadokuro がしゃどくろ est un immense yôkai qui ressemble à un squelette. Sa taille est due au fait qu’il est composé d’ossements de plusieurs humains. Il s’agit souvent de personnes qui n’ont pas pu être enterrées convenablement, comme des victimes de la famine ou de la guerre. Les gashadokuro sont des esprits vengeurs, mécontents de ne pas avoir été enterrés comme il faut. Heureusement, les victimes peuvent les entendre arriver grâce au bruit que font leurs ossements.

Lorsque l’on veut représenter un gashadokuro, on utilise souvent l’estampe très connue d’Utagawa Kuniyoshi intitulée « Takiyasha la sorcière et le fantôme du squelette« . D’ailleurs le gashadokuro dans Pompoko est totalement inspiré de cette œuvre, même si elle représente un simple squelette géant et non ce yôkai en particulier.

Umibôzu, le yôkai marin

Les effrayants umibôzu

Les umibôzu 海坊主 sont des yôkai assez peu connus et particulièrement effrayants. Ce sont des yôkai que l’on trouve en pleine mer où ils s’attaquent aux navires en les coulant. Ils surgissent souvent lorsque la mer est calme. Les umibôzu ressemblent beaucoup à d’autres yôkai appelés Funa yûrei, qui sont les fantômes de gens morts en mer.

Comme les Funa yûrei, les umibôzu demandent aux membres de l’équipage des navires qu’ils rencontrent de leur fournir un baril. Ils utilisent ensuite ce baril pour le remplir d’eau et faire couler le navire. Pour éviter cela, il faut donc leur donner un baril sans fond…

Raigô, la descente du bouddha Amida

Le Bouddha Amida vient chercher les morts

Cette représentation du bouddha Amida est connue sous le nom de raigô 来迎. Elle montre Amida qui descend sur terre, accompagné de ses bodhisattva et de son nuage, pour récupérer l’âme d’un défunt.

Le bouddha Amida règne sur la « Terre de la Parfaite Béatitude », un paradis très connu du bouddhisme. C’est ici que se rendent les âmes qu’Amida récupère lorsqu’il descend sur terre. Les œuvres d’art représentant cette descente, appelées raigô-zu, sont très populaires.

Quelques yôkai de Pompoko

Voilà, vous en savez maintenant davantage sur les yôkai qui défilent dans Pompoko. On ne sait pas pour vous, mais nous ça nous a donné envie d’aller vite revoir cette incroyable scène !

Claire-Marie Grasteau