Il existe des films qui vous hantent longtemps après que le mot « Fin » ne se soit imprimé sur son générique. « Kuroneko », film d’horreur fantastique japonais culte, est de ceux-là, même s’il envoûte autant qu’il effraie par la beauté de sa mise en scène et le charme de ses fantomatiques héroïnes. Pour mieux nous attraper dans leur filet ? C’est fort probable, et la pêche risque d’être encore plus riche cette année puisque le film ressort au cinéma en France.

Kuroneko est un long-métrage réalisé en 1968 par Kaneto Shindō. Son histoire se déroule dans le Japon médiéval, en pleine période de guerre civile, durant la période Sengoku (entre la fin du 15ème siècle et le début du 17ème). On y suit le destin tragique et surnaturel de deux femmes, une mère et sa belle-fille, qui sont sauvagement violées et assassinées par des samouraïs. Après leur mort, elles reviennent à la vie sous la forme de fantômes, déterminées à se venger de leurs meurtriers. Elles attirent alors les guerriers dans une maison étrange, les séduisent puis les tuent de manière brutale. Leur quête de vengeance semble sans fin, jusqu’à-ce qu’un invité aux traits familiers trouble leur soif sanguinaire.

Kuroneko : l’autre chat noir, chat blanc

Si Kuroneko a réussi à traverser les décennies sans perdre de son intérêt, c’est grâce à la réalisation absolument grandiose de Kaneto Shindō. Le Japonais prend déjà le parti pris de tourner en noir et blanc alors que la couleur existe belle et bien en 1968. Il maîtrise sa direction artistique de manière magistrale, non seulement par ses choix esthétiques, mais aussi par sa manière de créer une atmosphère surnaturelle et mystérieuse. Les contrastes forts et les jeux d’ombre et de lumière contribuent ainsi à créer une ambiance envoûtante.

La mise en scène est à la fois délicate et puissante, avec une attention particulière portée aux détails visuels et à la composition des plans. Il y a en effet une poésie qui se dégage de ce jeu de massacre. Les combats sont complètement fous et chorégraphiés avec un étrange mélange de grâce et de légèreté. Les séquences de danse et de cérémonie, inspirées du théâtre Noh, ajoutent une nouvelle couche de beauté au film.

De longs travelings horizontaux à travers la forêt de bambous qui guident les samouraïs vers une mort certaine nous placent également en position de voyeur. Nous sommes là, tapis dans l’ombre, nous savons ce qui va se passer, mais nous ne faisons rien. Comme si nous nous placions du côté des deux femmes, soutenant en silence leur appétit de vengeance.

Silence et ronronnement funeste

La bande-son, quant à elle, sait se faire aussi discrète qu’angoissante. Le simple bruit du vent autour de la demeure des deux esprits nous glace le sang. Tambours et gouttes d’eau viennent accentuer l’effroi, tout comme les miaulements et bruits de bête qui nous rappellent que les deux infortunés sont bien l’incarnation d’un fantôme félin. Ce film d’anthologie se déguste donc avec concentration pour faciliter l’absorption.

Les moments de silence sont eux utilisés de manière judicieuse, permettant aux spectateurs de ressentir pleinement le poids des scènes dramatiques. On sent alors que la pression monte et que l’inévitable est sur le point d’arriver. Les moments de tension et de terreur s’enchaînent ainsi au gré des apparitions fantomatiques et des scènes de violence qui glacent le sang. Une peur universelle qui se teinte d’éléments très japonais.

Le folklore japonais lève le voile

La direction artistique du film est sur ce point en effet remarquable, avec une attention particulière portée aux décors et aux costumes qui reflètent fidèlement cette période historique, tout en y ajoutant une touche de fantastique. Les demeures traditionnelles japonaises, les kimonos élaborés et les éléments de la nature – comme la forêt de bambous citée plus haut – sont tous utilisés de manière à renforcer l’immersion du spectateur dans le Japon féodal de l’époque.

Kuroneko est ainsi un film profondément ancré dans le folklore japonais. Il s’inspire en effet de la légende des yūrei, ces esprits vengeurs présents dans la culture du pays depuis au moins le 17ème siècle. Ils sont incarnés ici par les deux protagonistes féminins qui reviennent d’entre les morts pour venger leur propre assassinat. Comme dans les récits traditionnels, elles cachent leurs cheveux sous un capuchon blanc et sont poussées à tuer à cause de la rancune qu’elles gardent en elles. Elles ne veulent pourtant qu’une chose : reposer en paix !

Kuroneko est considéré comme un classique du cinéma japonais, et son ambiance, toujours aussi incroyable, fonctionne encore presque 60 ans plus tard, jouant avec nos nerfs et nos émotions. Il fascine tout simplement par sa beauté artistique et visuelle.

Grâce au distributeur Potemkine, il est à découvrir en version restaurée au cinéma en France depuis le 25 octobre. Il est accompagné le même jour par Onibaba, autre classique de Kaneto Shindō. Et si, comme nous, votre soif de cinéma japonais n’est jamais assouvie, ne manquez surtout pas Déménagement, lui aussi sorti le même jour.

Stéphane Hubert