A Sendagaya station, là où se tiendront une partie des Jeux Olympiques et où le président Emmanuel Macron est attendu dans deux semaines, un Français, Vincent Fichot, mène actuellement une grève de la faim, entamée le 10 juillet. La raison ? Ses enfants étaient enlevés par son épouse japonaise quelques jours après lui avoir proposé un divorce. Il ne les reverra jamais. Par la médiatisation de son combat, d’autant plus à l’approche des JO, il espère enfin faire réagir les autorités japonaises de notoriété complaisantes avec ce type d’affaires.

C’est non loin du nouveau stade olympique que nous rencontrons Vincent. Il a accepté de nous raconter son histoire, un drame familial dont il n’est hélas pas la première victime. Comme lui, bien des pères sont privés de leurs enfants suite à un divorce ou une séparation conflictuelle, la loi japonaise donnant l’autorité parentale exclusive au parent japonais, soit la mère dans la majorité des cas.

Pourtant, la législation japonaise prévoie des négociations sur la garde des enfants, mais la procédure est si lente que dans les faits le second parent n’a d’autre recours qu’un accord à l’amiable avec son ex-conjoint(e). Dans de nombreux cas, un des parents va tout simplement choisir de fuir avec l’enfant. Il n’existe pas de chiffres officiels, mais des associations, comme l’ONG Kizuna Child-Parent Reunion, estiment que chaque année plus de 150 000 mineurs sont victimes d’enlèvement parental dans l’archipel.

Photographie : Mr Japanization

Français résident au Japon depuis 15 ans, travaillant dans la finance, Vincent s’est marié en 2009 avec une Japonaise. Le couple a eu deux enfants : un petit garçon qui va vers ses 6 ans et une petite fille de bientôt 4 ans. Malheureusement, le couple a commencé à battre de l’aile au point où Vincent a finalement proposé une demande de divorce à l’amiable que son épouse a refusé. C’est là qu’elle va commettre le pire. À l’époque, il ignorait tout de la problématique des enfants enlevés.

Il nous raconte : « J’ai tenté de l’inviter à voir un avocat pour trouver une solution, ce qu’elle refusera également. Deux semaines après, je rentrais du travail, mes enfants avaient été enlevés et la maison était vidée. C’était en août 2018. Dans les minutes après l’enlèvement, j’ai immédiatement appelé mon avocat. Il m’a dit clairement que mes enfants avaient été enlevé et que je ne les reverrai plus. J’ai dit qu’il fallait appeler la police, il m’a répondu que la police n’en aurait rien à faire ! Et effectivement. Je me suis rendu à la police qui a rejeté quatre fois mes dépôts de plainte. Le procureur a également rejeté deux fois mes plaintes. Par contre, en représailles, la police m’a menacé d’arrestation si je m’approchais de mes propres enfants alors qu’ils venaient d’être enlevés, alors que je ne suis sous le coup d’aucune restriction légale de quelques sorte ! »

Photographie : Mr Japanization

Dès lors, Vincent ne reverra jamais ses enfants. Cela fait maintenant trois ans. Il ne sait même pas où ceux-ci se trouvent physiquement : « J’ignore même s’ils sont encore en vie. »

« Voilà la méthode japonaise. C’est le premier parent qui enlève les enfants qui en possède la garde de facto. C’est contre les lois, mais en pratique, ça se fait habituellement. Les enfants sont enlevés et puis c’est terminé, il n’y a plus rien à faire. »

Ce type de kidnapping familial se produit également du côté des pères (japonais ou étrangers) mais bien plus rarement. « Dans la majorité des cas, ce sont les mères qui enlèvent les enfants. Entre 10 et 20% des cas concernent le père. »

Un ami japonais de Vincent est venu lui rendre visite. Lui même est inquiet pour ses propres enfants, tant ce type d’évènement peut arriver à n’importe qui. Dans les faits, la garde partagée n’existe pas légalement au Japon. Traditionnellement, c’est la mère qui gardait autrefois les enfants en cas de séparation. La société a évolué, mais pas les pratiques. C’est au premier parent à quitter le domicile conjugal avec les enfants que revient le « droit » de les garder. De fait, l’enlèvement parental est une pratique courante et tolérée par les autorités locales qui ferment les yeux sur ces affaires jugées privées.

« On se sent carrément impuissant ! J’ai rencontré le président Macron en 2019 pour lui expliquer cette situation. Il en a parlé en personne au premier ministre japonais de l’époque, Shinzo Abe ! Mais celui-ci lui a répondu qu’il ne pouvait rien faire sur le sujet. Imaginez : vous avez un chef d’Etat français qui parle à un chef d’Etat japonais, et celui-ci répond qu’il n’a pas de pouvoir, alors qu’il s’agit d’une violation flagrante des droits de l’enfance et des droits de l’Homme, c’est vraiment démoralisant. »

Mais lorsqu’on lui demande s’il a encore l’espoir de voir évoluer les choses, Vincent répond « Oui » sans hésitation. « Dans le cas contraire, si je n’y croyais plus, j’aurais pris une décision beaucoup plus forte et immédiate. Je fais une grève de la faim car ma détermination est la même : je ne repars pas d’ici sans mes enfants. »

Photographie : Mr Japanization

Et la version de la maman dans cette histoire ? Impossible de le savoir : celle-ci refuse catégoriquement tout dialogue, comme c’est généralement le cas dans ce type d’affaires. Les mères kidnappeuses disparaissent de la vie civile avec leurs enfants en une fraction de seconde et ne reviennent quasiment jamais.

Vincent, hélas, n’y échappe pas et fait face à un mur malgré sa bonne volonté : « Pourtant, c’est pas faute d’essayer de dialoguer ! Depuis des années je tente de négocier avec elle à travers les tribunaux, mais elle s’entête à affirmer que je ne dois jamais revoir mes propres enfants, mais elle réclame en même temps : la moitié de la maison, des comptes en banque et de ma retraite que je toucherai à 65 ans, etc. La question de l’argent n’est pas problématique. Ce sont des enfants qui se retrouvent au cœur de conflits d’adultes. Mais il ne faut pas l’appeler un simple conflit parental : c’est un enlèvement ! On vous enlève vos enfants du jour au lendemain et les autorités y contribuent directement en ne faisant rien, voire en vous menaçant de représailles. Ce que je veux, c’est que les enfants ne pâtissent pas de cette situation. Tout ce que je fais, c’est dans l’intérêt de mes enfants. »

Photographie : Mr Japanization

En trois ans, Vincent a tout tenté : « J’ai fais plusieurs tentatives de dépôts de plainte au Japon, j’ai dépose une plainte au pénal au tribunal de grande instance de Paris (l’instruction a été ouverte), j’ai déposé – avec d’autres parents et l’aide de mon avocat – une action collective auprès du conseil des droits de l’homme de l’ONU, j’ai présenté le cas avec d’autres parents devant le parlement Européen. Une résolution a été votée pour demander au Japon d’arrêter d’enlever des enfants européens au Japon, mais le ministre japonais des affaires étrangères a nié en bloc les accusations et la réalité du phénomène qu’il a estimé sans fondement. Voilà trois ans que je suis dans les tribunaux japonais et rien ne se passe. Cette action n’est pas un cri de désespoir, c’est une action logique et réfléchie qui donne suite à toutes les actions passées qui n’ont absolument rien donné. Je ne sais pas quoi faire de plus. Il n’y a plus rien à faire ! Sauf ça. J’irai jusqu’au bout. Ce sera probablement ma dernière action, mais il faut le faire. »

Vincent Fichot est bien décidé à ne pas abandonner sa grève de la faim jusqu’à revoir ses enfants, quitte à se laisser dépérir. Des sympathisants bienveillants lui apportent des bouteilles d’eau, rechargent ses appareils et veillent sur lui, même la nuit. Le Japon est à deux semaines de l’ouverture des Jeux Olympiques impliquant la visite d’Emmanuel Macron non loin du lieu où Vincent poursuit sa grève de la faim. Le moment est plus que jamais opportun pour attirer l’attention du monde entier sur cette problématique.

Photographie : Mr Japanization

Propos recueillis par Mr Japanization


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