Le 20 mars 1995, à 8 heures du matin, une attaque terroriste au gaz sarin dans le métro de Tokyo fait un total de treize morts et plus de 6 300 blessés. C’est ce terrible événement qui a conduit à l’arrestation de Shōkō Asahara, l’emblématique leader du culte sectaire Aum Shinrikyō, dévoilant un immense complot qui aurait pu coûter la vie à des millions de Japonais. De sa naissance en 1955 à sa pendaison en 2018, retour sur le parcours d’un gourou ordinaire qui a gagné en puissance par la violence et la manipulation.

Photo des secours portant des masques à gaz lors de l’attentat.

Une enfance houleuse

Rien ne semblait prédestiner le jeune Shōkō Asahara, dernier-né d’une famille de six enfants en 1955, à devenir le leader d’un culte fanatique meurtrier. L’enfant originaire de Yatsushiro dans le Kyushu était atteint d’une cécité totale à un œil et partielle à l’autre. En cause, un glaucome rare, ce qui l’a conduit à intégrer une école pour enfants malvoyants. Il a vécu cette expérience comme un éloignement de la part de sa famille, alimentant en lui une rancœur envers eux. Les personnes l’ayant côtoyé à l’époque font état de comportements violents envers les autres enfants aveugles, de racket, mais aussi d’une terrible soif de contrôle et de domination. Pour lui, tout se réglait par la violence.

Il sortira toutefois de son cursus scolaire en 1974 avec un diplôme d’acupuncteur et de médecine chinoise en poche. Pendant ce temps, il s’intéressa de près au bouddhisme et voyagea pour pratiquer la méditation, de l’Inde en passant par l’Himalaya. Véritable foi ou apprentissage pour former une secte, nul ne le sait. Il attira à plusieurs reprises l’attention de la justice pour des pratiques douteuses, ce qui conduisit à la fermeture de la clinique d’acupuncture qu’il dirigeait alors. Un évènement qui alimentera son ambition revancharde envers la société.

C’est à cet instant que tout bascula pour Shōkō Asahara…

Les débuts de la secte

Le mouvement Aum Shinrikyo fut fondé en 1984. Au début, l’ensemble était alors bien inoffensif en apparence : un simple groupe de yoga et de méditation sur fond de pensée NewAge, officiellement basé sur la doctrine bouddhiste. Mais Asahara, habile manipulateur de son état, réussit à instiller l’idée dans la tête de ses disciples qu’il était d’essence divine. Tous furent rapidement convaincus par les talents d’orateur du gourou, qu’il était capable de lire l’esprit des gens, mais aussi que l’eau dans laquelle il se baignait devenait sacrée… Tour de force, il parvint même à convaincre qu’il était capable de léviter dans l’air sans jamais en faire la démonstration !

Shōkō Asahara au milieu de disciples

Mais comment s’assurer de la loyauté, ainsi que l’obéissance totale de ses disciples ? La réponse apportée par Asahara fut radicale et « géniale » dans ce qu’elle a de pragmatique, machiavélique et d’absurde : une phase d’entraînement de plusieurs semaines, que nous pouvons qualifier ici sans crainte de diffamation, de lavage de cerveau.

Asahara installa un camp au pied du mont Fuji. Lieu symbolique permettant aux adeptes d’acquérir « l’illumination » aux contacts de cet envoyé divin… L’entraînement avait tout de la torture : isolement dans des trous contigus et obscurs pendant des heures, privation de sommeil, rationnement extrême de la nourriture, immersion prolongée dans l’eau… Même la thérapie par électrochoc y était pratiquée ! Tout y passait, associé bien sûr aux prêches incessants du gourou lui-même. L’objectif implicite était l’endoctrinement et l’annihilation de la volonté individuelle de chaque membre.

Seulement, tout ne devait pas se passer comme prévu. Un jour, lors d’un « entraînement » un peu trop poussé, un adepte fit une crise de panique extrême. Asahara ordonna alors à ses disciples de l’immerger dans un bain de glaçons afin de le soulager, mais le pauvre homme mourut d’un arrêt cardiaque. À cet instant, tout aurait pu s’arrêter là pour le mouvement. C’est alors que le gourou ordonna à ses disciples de faire disparaître le corps en le brûlant, leur intimant l’ordre de garder le silence à vie.

Mais comment justifier cet acte devant ses fidèles japonais, alors qu’un homme venait de mourir sous leurs yeux dans un rituel censé lui apporter l’illumination et le bonheur ? Dans un éclair de génie maléfique, Asahara expliqua calmement que celui-ci n’était alors pas prêt à recevoir la dite illumination, et qu’il était donc mort afin de réintégrer la boucle de la réincarnation et retenter sa chance dans la prochaine vie… Tout le monde y a cru ! Tuer venait de devenir une option acceptable voire même enviable.

Cependant, quelques temps plus tard, un adepte menaça le gourou de dénoncer ce crime à la police, ce qui lui vaudra un passage à tabac en règle. L’individu persistant dans sa volonté de quitter et de dénoncer le mouvement, se fera exécuter froidement par d’autres adeptes, selon la volonté suprême du gourou. Il justifiera ce nouveau crime contre ses propres membres par un motif fallacieux, basé sur sa doctrine. Et plus c’est gros, plus ça passe : il fallait exécuter ces personnes car si elles avaient dénoncé la secte, celle-ci n’aurait pas pu accomplir la volonté divine du salut de l’humanité… La balance aurait alors vu son karma en être affecté, ce qui est pire que la mort, selon le gourou.

En résumé, il normalisa l’idée de devoir tuer un individu afin de le protéger de lui-même…

Malgré cela, Aum Shinrikyo parvint à grandir sans attirer l’attention des autorités. Au bout de 10 ans d’existence, en 1994, le mouvement comptait déjà 10 000 adeptes au Japon et près de 40 000 dans le monde !

Inutile de préciser que la rigueur imposée à ses disciples n’était absolument pas observée par le gourou dans son intimité. Le fervent bouddhiste, messie, Jésus réincarné, n’était pas du genre à se complaire dans la pauvreté et le minimalisme terrestre. Au contraire, il possédait de nombreuses voitures et villas de luxe, voyageait toujours en première classe et s’assurait que ni lui ni sa famille ne vivaient dans les mêmes conditions que ses adeptes. Loin de se soucier du salut des âmes sous sa coupe, celui-ci était bien plus préoccupé par son confort personnel et sa soif de domination.

Et c’est précisément ce fait qui poussa Asahara à augmenter la portée et la crédibilité de son mouvement, afin de capitaliser toujours plus sur le dos de ses fanatiques. D’autant plus que des familles de jeunes endoctrinés commencèrent à attaquer frontalement la secte dans les médias, accusant le secte de séquestration et d’endoctrinement de leurs membres. Il fallait laver l’image du culte.

Pour asseoir son pouvoir et perdurer, Asahara devait alors acquérir une respectabilité médiatique. Et, pour un temps, les médias japonais, acquis à la cause capitaliste, adoraient ça.

L’entrée sur la scène médiatique

C’est ainsi que durant les années 90, le leader à l’allure de gros nounours sympathique et hirsute se lança dans une opération de séduction médiatique. Son aura inspirait la confiance au point d’être invité sur plusieurs plateaux d’émissions populaires à des heures de grande écoute. Le mouvement, non content de se présenter sous un jour positif, se lança aussi dans de la propagande à vaste échelle. Avec une arme redoutablement populaire : les mangas, les animés… mais aussi l’industrie musicale. Le tout était extrêmement niais et transpirait le culte de la personnalité.

Le but était d’occuper l’espace médiatique et de propulser la secte du rang d’un simple club de yoga de quelques illuminés à un véritable culte religieux. Après tout, la différence entre la secte et la région relève du nombre d’adeptes et de la capacité de contrôle sur une société. Un peu à la manière de la secte Moon dont nous vous avons parlé dans un article dédié en lien avec l’assassinat du ministre Shinzo Abe, et qui opère toujours au Japon. Nous vous invitons à relire ce dossier pour comprendre les mécanismes à l’œuvre dans l’endoctrinement sectaire, ainsi que leurs stratégies de communication. Cette fois encore, les autorités japonaises laissent couler… mais c’est l’argent, lui, qui coule à flot.

C’est alors qu’un avocat du nom de Sakamoto, spécialisé dans la lutte anti-secte, tenta de démontrer la supercherie et d’ouvrir les yeux à la population Japonaise sur ce mouvement pas si inoffensif qu’il en avait l’air. Asahara, se sentant menacé, ordonna à une poignée de ses fidèles d’aller assassiner l’avocat et sa famille. Le résultat fut terrifiant ; les adeptes injectèrent du chlorure de potassium aux victimes après avoir pénétré dans leur appartement par effraction, de nuit. Sakamoto, ainsi que sa femme et son fils en bas âge, furent assassinés froidement, et leurs corps enterrés à différents endroits du pays.

Contrairement aux fois précédentes, Asahara venait de commettre un impair majeur. En effet, très vite, la police suspecta la secte d’avoir commandité l’assassinat. Mais sans cadavre, pas d’assassinat… Asahara s’en sortira une fois de plus sans problème ! Un laxisme qui coûtera très cher aux Japonais.

Le mouvement continuant de gagner en popularité, Asahara apparut même aux côtés du Dalaï Lama en personne, en train de recevoir sa bénédiction. S’afficher avec des personnes de pouvoir permit à Asahara de légitimer son mouvement dans l’opinion publique, en le hissant au rang de culte respectable et d’ampleur. Statut qu’il obtiendra en 1989.

Shōkō Asahara en compagnie du Dalaï Lama

C’est alors que le gourou hirsute, n’étant pas encore rassasié de ce pouvoir qui pouvait encore grandir, décida d’entrer en politique.

La descente aux enfers

Asahara tenta sa chance en 1989 aux élections parlementaires. Le but : encore plus de visibilité, encore plus de médias et un contrôle politique. Il fonda le parti de la Vérité Shinri-tō (真理党), tentant de faire parler de lui en multipliant les manifestations publiques, parfois aux limites de l’absurde. Mais surtout en mettant au centre de sa doctrine, le yoga et la méditation (que du bon, pas vrai?). Bien entendu, le tout était accompagné de prophéties sur la fin du monde et d’autres délires religieux au cas où le mouvement perdrait les élections ! Que serait une secte sans un versant apocalyptique pour maintenir ses fidèles sous un état de peur permanente ?

Sans surprise, Asahara perdit les élections avec un score ridiculement bas. Premier gros impair médiatique, qui transformera le mouvement en risée dans les médias nippons. Cette déroute marquera un tournant dans l’enseignement d’Asahara, et certains observateurs s’accordent à dire que cet épisode fut probablement le point déclencheur de la folie meurtrière du mouvement.

Il commença alors à mettre la faute de sa débâcle politique sur le dos d’un complot international, impliquant les protagonistes classiques de toute bonne théorie du complot qui se respecte : les francs-maçons, les sionistes, les socialistes, les États-Unis… Vous connaissez la musique. L’originalité ici n’était pas de mise tant il est de coutume chez les mouvements politiques douteux comme les sectes d’accuser toujours les mêmes groupes/nations les plus exposés à la critique. Le gourou se greffe alors aux théories du complot déjà existantes pour rameuter de nouveaux esprits facilement manipulables sur fond de « vérité vraie ».

Aum reprenait alors le rôle de dernier rempart de l’humanité, mais surtout du Japon, contre les forces du mal invisibles qui gouvernement en secret le monde… Qui souhaitaient détruire les forces du bien ? La suite coulerait de source : il fallait entrer en guerre pour protéger l’humanité de la damnation. On n’exagère même pas. C’était l’essentiel de son discours avant les attaques terroristes.

Le terrorisme comme solution finale

Le groupe commença alors, à l’aide de ses disciples les plus brillants (sic.), à travailler sur le développement d’armes létales bactériologiques. Ils tentèrent même d’acheter de l’armement à la Russie afin de monter une armée, sans succès.

Coutumier du passage à tabac et de l’élimination discrète de ses opposants, le mouvement tenta une multitude d’actions criminelles. En avril 1990, la secte tenta sans succès une première attaque de bioterrorisme, en libérant depuis trois camions de la toxine botulinique. Aucune victime ne fut à déplorer dans les trois lieux visés : le parlement japonais, la base américaine de Yokosuka et l’aéroport international de Narita. Ils réitérèrent l’opération une deuxième fois en 1993 à l’occasion du mariage du prince Naruhito, là aussi, heureusement sans succès !

Avec la honte, le gourou va encore gagner en radicalité. Entre autres, des membres de la secte tentèrent de se procurer des souches du virus Ebola au Zaïre en 1993, là aussi heureusement sans succès. Mais au final, le seul plan qui fut couronné de succès, fut la fabrication du gaz sarin. Au terme d’essais concluants sur des animaux (à ce stade d’endoctrinement, il n’y a plus aucune éthique qui tienne), le leader ordonna alors une série d’attentats sur la population civile.

Le premier attentat au gaz sarin eut lieu dans la nuit du 27 au 28 juin 1994 dans la ville de Matsumoto. Cette attaque marqua le premier réel « succès » d’attaque terroriste à grande échelle de la secte. Le bilan fut de 8 morts et 200 blessés. L’attaque devait cibler trois juges qui planchaient sur un litige immobilier impliquant le mouvement sectaire. L’Apocalypse attendra, il faut surtout défendre les intérêts financiers du gourou en roue libre. Coup double, Asahara avait une rancœur personnelle contre les habitants de la ville qui lui avaient tenu tête en s’opposant à près de 70 % à l’implantation d’Aum Shinrokyo dans la ville. Malgré cela, l’implication de la secte dans cette première attaque ne fut avérée par les enquêteurs qu’en 1995, après l’attaque du métro de Tokyo. Le mode opératoire était diaboliquement ingénieux : un camion frigorifique était utilisé pour épandre le gaz discrètement en sillonnant les rues de la ville.

La plus emblématique fut l’attaque du métro de Tokyo au gaz sarin (地下鉄サリン事件, Chikatetsu sarin jiken) le 20 mars 1995. 

Le bilan fut catastrophique : 13 morts, 6300 personnes blessées, certaines à vie avec des tétraplégies, cécités, troubles divers et variés qui affectent encore aujourd’hui la vie des survivants de l’attaque.

La police lança une perquisition au quartier général de la secte, mais Asahara s’était déjà enfui. Cependant, la culpabilité d’Aum Shirikyo ne faisait plus aucun doute : un arsenal composé d’armes à feu fut trouvé, mais aussi des produits chimiques avec une capacité suffisante pour tuer plus de 4,5 millions de personnes ! Parmi ces produits, il y avait des stocks de bacilles du charbon, de fièvre Q, mais aussi de toxine botulinique, de Zyklon B, ainsi que le tristement célèbre gaz sarin. Le gourou préparait un véritable massacre de grande ampleur.

Malgré ce coup de filet spectaculaire, peu de temps après, la secte tenta une attaque similaire utilisant du Zyklon B cette fois, mais heureusement sans succès. Le 16 mai 1995, Asahara fut enfin arrêté. Le gourou ainsi que 12 de ses disciples les plus proches furent reconnus coupables de conspiration et d’homicide, et furent condamnés à mort. À noter que la perspective d’une condamnation à mort n’a pas inquiété le moins du monde les meurtriers…

Asahara a été exécuté par pendaison en juillet 2018, 23 ans plus tard !

Le culte Aum de nos jours

Quelques membres officiellement non impliqués dans les attaques rebaptisèrent le mouvement Aleph, en référence à la première lettre de l’alphabet hébreu. Fait surprenant, les autorités autorisèrent la création de ce nouveau mouvement sur les cendres d’Aum Shinrikyo, en échange d’une promesse d’abandon de la doctrine originale. Le fait ne surprendra pas réellement l’initié au rapport qu’entretient l’archipel avec les cultes religieux et plus particulièrement les sectes, qui au nom de la liberté de culte, jouissent d’un terreau fertile pour s’étendre à travers le pays, même de nos jours.

Cependant, le mouvement est sous étroite surveillance depuis son renouveau. Les services secrets japonais ont découvert que malgré les promesses de ses membres, le culte reste encore à ce jour centré autour de la personne de Shōkō Asahara. En somme, rien n’a réellement changé, si ce n’est la portée du groupe et sa dangerosité désormais plus ou moins sous contrôle. Aleph à l’heure actuelle est un culte de moins de 2 000 disciples, ce qui reste tout de même un chiffre assez élevé pour une secte au passif si lourd.

Le problème reste entier. Les plus fanatiques d’entre eux pourraient commettre des crimes au nom d’Asahara, si d’aventure l’un des nouveaux leaders venait à présenter la nécessité de les commettre au nom du défunt gourou. Avec la popularisation d’Internet, les théories du complot importées d’occident vont bon train au Japon, visant une fois encore les franc-maçons (extrêmement minoritaires au Japon), les gauchistes, les juifs,… Visiblement, Asahara a réussi dans son échec : loin de mourir avec lui au bout d’une corde, son aura maléfique lui survivra encore probablement de nombreuses années grâce à la bêtise humaine ordinaire.

Gilles Chemin