Comme chacun le sait, le Japon est un pays assez réfractaire à l’immigration. Quand bien même son taux de natalité est en chute libre, les autorités restent frileuses à ouvrir les portes du pays. En conséquence de quoi les étrangers ne représentent que 2% de la population vivant au Japon (contre 11% en France). Dans ce chiffre, on compte environ 600 000 Coréens, dont 30 000 soutiennent ouvertement le régime nord-coréen ! Une situation curieuse liée, dit-on, aux discriminations qu’ils subissent au Pays du Soleil Levant, mais pas seulement… Qui sont ces Zainichi ?

Au Japon, ils sont dénommés les « Zainichi ». Ce sont les Coréens « qui ont choisi de rester au Japon » après la guerre. La communauté coréenne s’est formée au Japon via deux principales vagues. À leur origine, se trouve la politique du Japon impérialiste qui a fait de la Corée (toujours unifiée à l’époque) un protectorat en 1905, avant de coloniser le pays de 1910 jusqu’en 1945.

Pendant cette période, le Japon a durement régné sur la péninsule qui lui fournissait des céréales et de la main d’œuvre bon marché. Les Coréens ont énormément souffert durant cette période, ce qui a notamment justifié un très fort sentiment de libération par les nord-coréens, facilitant l’instauration d’un pouvoir totalitaire perçu alors comme la seule échappatoire. Pour fuir les difficiles conditions de vie qui leur étaient imposées dans leur pays par l’Occupant japonais, des Coréens ont migré au Japon au début des années 20. Puis, pour servir dans l’industrie nippone en remplacement des Japonais mobilisés, un million de Coréens furent envoyés de force au Japon durant la Seconde Guerre Mondiale. Une part de l’essor fulgurant du Japon est lié à cette exploitation systématique des peuples asiatiques.

Après la défaite cuisante du Japon et la libération de la Corée, la plupart des 2,4 millions de Coréens alors présents au Japon retournèrent dans leur pays alors que 650 000 Coréens « Zainichi » décidèrent de rester y vivre pour toujours. En 1952, à la fin de l’Occupation américaine du Japon, les Zainichi furent soudainement déchus de la nationalité japonaise ce qui les prive du droit de vote. Dans les années 50, le gouvernement japonais encouragea le retour au pays des Coréens en qui il voyait une minorité ethnique potentiellement source de troubles. Une étrange « collaboration » mutuellement profitable va alors se dessiner entre le Corée du Nord et le Japon. La Corée du Nord participa à un programme de rapatriement nommé « Paradis sur Terre » soutenu par le Japon qui fit revenir 93 000 Zainichi au pays entre la fin des années 50 et le début des années 60.

La ville d’Osaka abrite la plus grande communauté coréenne du Japon. Source : flickr

Rejetés par les Japonais qui ne voient en eux que des sous-citoyens, les Coréens se sont instinctivement regroupés dans des quartiers spécifiques, tout en se scindant en deux groupes à l’image de leur pays d’origine déchiré par la guerre de Corée. Les Coréens proches politiquement de la Corée du Sud se sont regroupés autour du « Mindan », l’Union des résidents coréens du Japon créée en 1946. Ceux se sentant plus proches de la Corée du Nord ont fondé la Chongryon en 1955, l’Association générale des Coréens résidant au Japon.

Le Mindan rassemble 65% des Zainichi alors que la Chongryon fédère les 35% restant. Pourtant, c’est cette dernière qui exerce un véritable poids dans la communauté, la Chongryon étant à son origine plus puissante que son homologue pro-Corée du Sud. La Corée du Sud capitaliste voyait d’un œil méfiant les Coréens du Japon, les soupçonnant de « communisme » par défaut. Beaucoup de Coréens se sont alors tournés vers la Chongryon, qu’ils ont enrichie au moment du boom économique du Japon dans les années 70. D’autant plus que pendant une vingtaine d’années après la guerre, beaucoup l’ignorent, la Corée du Nord fut plus prospère que sa voisine du Sud. Situation qui ne durera pas…

L’affaire du « Paradis sur Terre » émoussa la confiance que les Coréens lui portait : les 93 000 Coréens envoyés en Corée du Nord n’ayant trouvé finalement sur place que misère et famine, loin des promesses d’abondance alimentaire, de logement et de travail à volonté. Pendant ce temps, le Japon continuait son développement fulgurant en dépit de la crise économique qui allait frapper lourdement.

Une manifestation anti-coréens à Tokyo. Une femme tend une pancarte « Les Coréens devraient être massacrés ! » Source : wikimedia

Aujourd’hui, quand bien même la Chongryon rassemble désormais moins de Zainichi que le Mindan, l’organisation reste soutenue économiquement par le régime nord-coréen. Elle tient lieu officieusement d’ambassade de la Corée du Nord au Japon, exerce un véritable lobby en faveur de la dictature nord-coréenne et des droits pour les Coréens du Japon.

À ce titre, des transferts d’argent douteux ont lieu vers la Corée du Nord, officiellement destinés aux familles, mais le doute persiste que cet argent en provenance du Japon bénéficie en réalité en fait au programme d’armement de la dictature… Grâce aux généreuses cotisations de ses adhérents, elle finance un système scolaire parallèle de la primaire à l’université au Japon calqué sur celui de la Corée du Nord (basé sur l’idéologie du Juche), elle dirige aussi de nombreuses associations professionnelles ainsi que des commerces (restaurants, BTP, pachinko, banques).

Dans un récent reportage d’Arte, on pouvait observer l’admiration voir la dévotion dont font toujours preuve certains Zainichi envers la Corée du Nord. Il s’agit pourtant d’un pays où ils n’ont jamais vécu et donc d’un système politique qu’ils ne connaissent pas. Tout juste s’y sont-ils rendus pour un bref séjour touristique soigneusement encadré. Des jeunes gens, souvent, revenant d’un voyage scolaire en Corée du Nord déclarent s’y être sentis plus proches des Coréens de leur âge rencontrés sur place que de leurs camarades Japonais. Entre eux, ils se retrouvaient soudainement des similitudes sur les plans culturel et ethnique, de quoi renforcer leur sentiment positif. Des adultes interrogés au Japon déclarent sans hésitation que la Corée (du Nord) est leur seule patrie. Des propos qui laissent songeur alors même que les Zainichi sont nés et ont toujours vécu au Japon. Il serait facile d’y voir « une trahison » envers leur pays d’adoption mais la réalité est plus complexe tant la communauté subit une exclusion systémique. Il n’est ainsi pas rare que des élèves cachent leur véritable origine pour ne pas subir de harcèlement scolaire.

De fait cette fracture entre Coréens du Japon et Japonais ne peut simplement s’envisager comme un repli des Coréens sur eux-mêmes refusant de s’intégrer à la population japonaise. Le Japon lui-même continue de leur signifier qu’ils ne sont pas les bienvenus, quand bien même ils vivent ici depuis plusieurs générations. La population japonaise a joué un rôle important dans l’ostracisation de cette minorité qu’elle n’a jamais voulu intégrer et qui, en réaction presque inévitable, dans un instinct de protection, s’est regroupée pour survivre quitte à aller jusqu’à idéaliser un pays totalitaire pour certains d’entre eux.

Le fait est qu’au Japon les descendants des Coréens de la première génération ne peuvent que difficilement obtenir la nationalité japonaise qui ne reconnaît pas le droit du sol. Cet état les prive du droit de vote, de l’accès au statut de fonctionnaire ainsi qu’à de nombreuses professions et espoirs de faire carrière. Ils ne peuvent aussi bénéficier de certaines prestations sociales au nom de leur origine. De facto, ils sont des citoyens de seconde zone.

Pour se fondre dans la masse, des Coréens japonisent alors leur nom. Chaque année, 10 000 d’entre eux posent une demande de naturalisation, sans certitude. Mais le contentieux est lourd entre le Japon et la Corée (dans son ensemble), le gouvernement nippon n’ayant jamais présenté d’excuses pour les lourdes exactions commises pendant la colonisation de la Corée (notamment sur la question des femmes de réconfort, un vaste système de prostitution forcée), les plaies restent donc ouvertes avec ce que cela peut amener de ressentiment.

Femmes de réconfort en 1946. Source : wikipédia

Aujourd’hui, les préjugés du siècle dernier perdurent toujours envers les Coréens, de manière insidieuse et invisible. Certains Japonais – en particulier les plus âgés – les voient toujours comme un peuple inférieur et fainéant ce qui renforce les discriminations quotidiennes, notamment dans le cadre de la recherche d’un travail ou d’un logement. Des conditions qui éclairent sur le choix d’une partie des Coréens à suivre leur scolarité dans l’un des 60 établissements scolaires qui furent à l’origine financés par Kim Il Sung en personne, le fondateur de la lignée dirigeante de Corée du Nord. Ce sont environ 8 000 élèves qui fréquentent ces écoles alternatives mettant en avant leur langue et leur histoire, contrairement aux écoles japonaises. À n’en pas douter, cette forme de racisme ne fait que renforcer les divisions et radicaliser le communautarisme. Pourtant, les Zainichi vivent globalement dans la paix et le respect de la culture japonaise.

Enfin, notons que les Coréens du Japon demeurent des victimes collatérales des relations géopolitiques toujours tendues entre le Japon et la Corée du Nord en particulier. Les « coréens japonais » sont des boucs-émissaires tout trouvés lorsque les tensions se cristallisent entre les deux pays, que ce soit à la fin des années 70 lorsque la Corée du Nord a enlevé des citoyens japonais ou plus récemment avec les tirs de missiles nord-coréen et son programme de recherche nucléaire. Dans ces moments de peur légitime, des Japonais se tournent vers les Coréens du Japon pour les rendre responsables de la situation, que ces derniers soutiennent ou non le régime nord-coréen. L’extrême-droite japonaise est particulièrement active depuis les années 2000 dans la diffusion d’idées violemment anti-coréennes, couvertes par une « liberté d’expression » permissive en matière de racisme.

Les commerce de rue sont souvent tenus par des Coréens tout comme les boucheries (jugées impropres). Source : flickr

Victimes de discriminations au quotidien, on comprend pourquoi les Coréens se sont regroupés pour faire front, se soutenir les uns les autres et créer leurs propres entreprises puisqu’ils ne trouvaient pas d’emploi dans la société. Pour supporter leur vie, ils devaient aussi se raccrocher à l’idée que la Corée du Nord représentait un paradis, sans forcément toujours y croire. Le Nord uniquement ! Pour cause, après la guerre, la Corée du Sud a tout bonnement abandonné ses citoyens expatriés à leur sort pendant que le Nord les reconnaissait comme « ses enfants » – dans un but politique – et envoyait des subsides pour construire des écoles. Encore aujourd’hui, les Coréens âgés du Japon se rappellent de l’aide que le Nord leur a apporté et lui demeurent fidèles alors même que 93% des Coréens originellement venus vivre au Japon venaient du sud de la Corée. L’opération de séduction Nord-Coréenne a donc porté ses fruits, le tout aidé par le rejet « naturel » et le racisme ordinaire des japonais.

Pour conclure, force est de constater que la situation des Coréens au Japon reste dans une impasse. Tant qu’ils subiront un rejet de la part de la société japonaise, les Zainichi n’ont pour d’autre alternative que de se fondre le mieux possible dans la masse ou de se communautariser. Une vie à part et entre-soi qui peut renforcer le sentiment anti-coréen des Japonais. La boucle de ce cercle vicieux est bouclée. Il semblerait enfin bien simpliste de rétorquer « qu’ils émigrent ! » à une communauté présente et intégrée au Japon depuis plusieurs générations. Non, l’amélioration de la condition des Coréens au Japon et leur bonne intégration est une question avant tout politique et sociale. Et il appartient aux dirigeants japonais de s’en saisir pour mettre fin à une discrimination qui n’a que trop duré.

S. Barret


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