C’est un objet du quotidien auquel on ne prête guère d’attention : le mouchoir. Largement consommé en papier de nos jours, il était à l’origine confectionné en tissu. Un artisanat que les japonais n’ont jamais vraiment abandonné. C’est en rencontrant M. Hajime Nakanishi – président d’une entreprise centenaire qui fabrique des mouchoirs en tissu à la main depuis cinq générations – que Poulpy a pris conscience que cette tradition était toujours vivante au Japon et plus « profonde » qu’on l’imagine… M. Nakanishi nous a ainsi livré plus de détails sur cet art délicat et pratiquement oublié en Occident.

Que ce soit au Japon ou en Occident, au quotidien les gens utilisent majoritairement les mouchoirs en papier jetable. C’est la normalité dans notre monde « moderne » au tout jetable. Et pourtant, ce même monde est plus que jamais sensibilisé aux questions de pollution, de recyclage, d’écologie et de déforestation, avec le risque d’un effondrement systémique de plus en plus palpable. Un étrange paradoxe que voici. Alors l’heure n’est-il pas venu de renouer avec le mouchoir en tissu ? C’est en tout cas le souhait que semble partager M. Hajime Nakanishi à la tête de Blooming, une entreprise japonaise spécialisée notamment dans la confection de ces mouchoirs.

Car, au Japon, les Japonais n’ont jamais totalement délaissé le mouchoir en tissu même si on peut facilement croiser son homologue papier dans la rue (des paquets sont distribués gratuitement pour faire de la publicité). Le mouchoir japonais en tissu nommé « hankachi » (ハンカチ/handkerchief) est un dérivé du « tenugui » adapté du mouchoir occidental, cette large serviette à usage multiple de 35 par 90cm que quasi tous les Japonais possèdent également. Cet hankachi, on le trouve en coton, en soie ou en lin pour les plus précieux, des matériaux qui absorbent bien l’eau. Il s’est rapidement répandu au Japon après l’ouverture de l’archipel à l’Occident au début de l’ère Meiji (1868-1912) avec l’arrivée des vêtements occidentaux.

Pendant que nous abandonnions cette culture, les japonais allaient la sublimer !

Aujourd’hui encore, dès leur entrée à l’école, les enfants japonais se voient glisser un mouchoir en tissu dans leur poche. C’est même obligatoire dans de nombreuses écoles et cette pratique fait partie des règles de propreté élémentaire. L’enfant peut ainsi à tout moment essuyer sa sueur ou une tâche et sécher ses mains lavées plusieurs fois dans la journée. On remarquera que les jeunes élèves se lavent les mains après chaque récréation. Le mouchoir dénote aussi une certaine rigueur dans le caractère de son possesseur que l’éducation japonaise tente d’insuffler aux jeunes. Il est donc hors de question de se moucher avec… D’ailleurs, il est toujours mal vu de se moucher en public au Japon. Mieux vaut s’isoler pour cela. Ce qui vaut souvent des scènes agaçantes pour les visiteurs occidentaux en hiver, dans le métro, où de nombreux japonais reniflent lourdement, faute de mieux. Les microbes restent à l’intérieur ! Cette habitude d’avoir toujours un mouchoir en tissu en poche, l’enfant la gardera une fois devenu adulte dans la plupart des cas. Certains Japonais emportent même plusieurs mouchoirs sur eux, pour pouvoir venir en aide à quelqu’un.

Mais plus qu’un simple objet d’utilisation courante, le mouchoir en tissu est l’un des cadeaux les plus répandus au Japon. Neuf Japonais sur dix en achètent pour l’offrir à un être cher. L’utilisation très privée d’un mouchoir lui conférant un certain romantisme, une intimité particulière. Autrefois, étrangement, offrir un mouchoir avait une signification bien différente : c’était un signe de séparation en référence au mouchoir que l’on agite lors d’adieux. Mais la culture ne cesse d’évoluer et de s’adapter. Et pour remplir ces différentes fonctions, besoins quotidiens ou cadeau précieux, les Japonais auront le choix dans une large de gamme de mouchoirs en tissu aux prix allant de quelques euros à plus de 800€ chez M. Nakanishi. Si les motifs sont nombreux, il est également possible de personnaliser une lettrine, un dessin, à destination d’un être aimé.

Après ce voyage dans l’univers du hankachi, Poulpy n’a pu résister et a quitté la boutique de M. Nakanishi avec un mouchoir orné d’un délicat motif de feuilles d’érable en accord avec ce début d’automne. Un mouchoir qui est à la fois un morceau de tissu, de savoir-faire traditionnel et d’histoire.

Le mouchoir de Poulpy

Nous ne pouvons enfin nous empêcher de vous repartager notre propos spontané à la suite de cette rencontre, publié sur les réseaux il y a quelques années :

« Au Japon, il faut toujours regarder les choses deux fois, car c’est dans les détails que les japonais cachent leur magie…

Cet homme souriant, c’est Hajime Nakanishi, président d’une entreprise japonaise qui fabrique des « handkerchiefs » depuis 5 générations ! Ces mouchoirs en tissu dérivés du Tenugui que tous les japonais (ou presque) possèdent sur eux.

Mais le détail se trouve dans sa main. C’est le mouchoir de son papa… En dépit de son sourire, il nous le présente avec une certaine sensibilité dans la voix. Ceci est la dernière création de son père, et le voilà aujourd’hui à la tête de l’entreprise familiale. Les Nakanishi font vivre cette riche tradition depuis 1879, à la croisée des chemins entre le Japon et l’occident.

Chez nous, nous avons perdu l’usage du mouchoir en tissu réutilisable, au profit du tout jetable. C’est presque drôle, tout le monde parle d’écologie, de déforestation, mais utiliser un mouchoir en tissu comme nos grandes parents nous semble une idée bien étrange… Au Japon, l’handkerchief est bien plus que ça. Toujours bien ancré dans la culture, la plupart des écoles japonaises obligent les parents à donner un mouchoir en tissu à leur enfant qui le transportera toujours avec lui à l’école. Souci de propreté à tout instant d’une part, il symbolise aussi une certaine rigueur. Quel soucis du détail fascinant.

Parfois, la marque explore des motifs étrangers, comme ici pour la France et « Le Rouge ».

Par la force des choses, la culture du mouchoir est devenue riche et variée. Après plus de 100 ans d’Histoire, les Nakanishi ont porté leur travail au rang d’art. Chaque mouchoir est délicatement travaillé en grande partie à la main, au Japon, les motifs évoluant au cours des saisons et chaque pièce pouvant devenir unique par l’ajout d’une broderie ou d’une initiale personnalisée. Car 90% des japonais achètent un mouchoir en tissu pour l’offrir à un être cher. C’est l’un des cadeaux les plus populaires à faire au Japon. Si les prix varient de 15 à 30 euros, certaines pièces uniques grimpent jusqu’à 800 euros pour 3 mois de travail tout en perfection !

Notre interlocuteur nous livre alors une anecdote. Le père de Nakanishi disait toujours : un japonais doit avoir 3 mouchoirs. Un pour s’essuyer les mains, un second pour la nourriture et un troisième pour essuyer les larmes de quelqu’un… « à moins que ce soit Robert De Niro, allez savoir ! » dit-il en souriant. Une collègue confirme, elle porte au moins toujours un second mouchoir avec elle à portée de main… Si quelqu’un rencontre un problème, elle peut lui venir en aide à tout moment ! On se forcerait bien à faire couler cette larme pour voir cette hospitalité en action.

En dépit d’être à la tête d’un petit empire, Hajime Nakanishi reste humble et soucieux de réaliser un produit japonais comme on aime à l’imaginer : de qualité, unique et tout en finesse. Il nous questionne : pourquoi le reste du monde a-t-il oublié ces manières ? Hajime aspire aujourd’hui à convaincre des personnes du monde entier de revenir au mouchoir en tissu, notamment pour des questions élémentaires d’écologie et même d’économie ! On l’avoue, son discours nous a contaminé le cœur et l’esprit. La saison s’y prête, nous le quittons avec une pièce décorée de feuilles d’érables. Mais nous repartons avec bien plus qu’un simple mouchoir. Nous repartons avec un bout de culture imbibé de toute la passion, de savoir-faire et de la magie que ces artisans japonais tentent de préserver. »

On trouve ces mouchoirs en tissu un peu partout dans les lieux touristiques. Mais attention, beaucoup sont « made in China ». La prudence est donc de mise. Si vous êtes curieux concernant les mouchoirs de M. Nakanishi, vous pouvez vous rendre directement à CLASSICS・the・Small・Luxury 六本木ヒルズ店, la boutique familiale du quartier de Roppongi.

S. Barret


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