Il y a un an, un mouvement a vu le jour au Japon, nommé 350NewEneration. Alors que les protestations et manifestations publiques sont un fait rare dans le pays, plusieurs jeunes activistes ont décidé de lever la voix contre la continuation des centrales à charbon à travers l’archipel. En effet, bien qu’elles soient source d’une pollution conséquente et qu’existent des alternatives, le Japon mise toujours massivement sur cette industrie pour produire son électricité. Cette année, à l’heure de la COP26, les membres du collectif ont tenu à dénoncer et faire savoir le décalage béant entre les décisions politico-industrielles et l’urgence climatique. Zoom sur leurs actions.

Il y a un an, 350NewEneration est né. Un collectif qui réunit plusieurs citoyens japonais prêts à faire entendre leur désaccord face aux décisions du pays concernant la production d’énergie fossile au charbon. Pour cause, les centrales à charbon sont une catastrophe environnementale, une réalité ayant incité plus de 20 pays à les supprimer définitivement et, pourtant, le Japon continue d’en construire de nouvelles. 

« C’est un problème important. Nous devons élever la voix et nous faire entendre ! »

Yuma san militante dans l’association.

Situation : un Japon sous perfusion de charbon

Centrale à charbon – NoCaelJapon – @DirectiongénéraleduTrésor

Durant la COP26 organisée cette année à Glasgow (Ecosse), parmi les sujets de négociation à l’ordre du jour, figurait l’élimination de la production d’électricité au charbon, une source majeure d’émissions de gaz à effet de serre. En effet, les pays participant aux pourparlers sont prévenus : freiner l’augmentation moyenne de la température mondiale à 1,5° minimum par rapport aux niveaux préindustriels est impératif. Et cet horizon exige irrémédiablement un abandon ferme des énergies fossiles.

Le Japon, 6ème grand émetteur de gaz à effet de serre du monde, est donc directement visé par ces perspectives. Pourtant, le gouvernement japonais tarde sévèrement à développer une politique de suppression de la production d’électricité au charbon et n’a pas encore indiqué la moindre mesure en ce sens. Un bilan d’autant plus surprenant qu’en 2020, le Premier ministre japonais Yoshihide Suga fixait un objectif clair : la neutralité carbone d’ici 2050.

Un an plus tard, rien n’a donc été fait en ce sens. Pire : le Japon persiste à nourrir sa dépendance au charbon. De fait, via les 150 centrales actives du pays, le charbon fournit près de 30 % de l’électricité du territoire et continue de prospérer à travers le remplacement et la relance d’anciennes centrales désuètes, faisant du Japon le seul membre du G7 à continuer de construire de nouvelles centrales. Une politique qui maintient le charbon à la deuxième place du podium « des sources d’énergie du pays, après le pétrole, loin devant les renouvelables (14%) et le nucléaire (11%) ».

Alors que le Premier ministre Fumio Kishida s’est engagé à renforcer d’autres mesures environnementales, la problématique des combustibles fossiles ne suit pas, le Japon tenant à conserver toutes les options possibles de production d’électricité.

Fumio Kishida @Casino Connection/Flickr

Cette posture n’est évidemment pas sans rapport avec le passé proche du pays. Tandis que le Japon était actif dans la lutte contre le réchauffement climatique à l’ère du protocole de Kyoto, durant les années 1990, le drame de Fukushima survenu il y a dix ans a laissé des traces sur le rapport de l’archipel aux productions d’électricité : de nombreux réacteurs nucléaires, 54 précisément, ont ainsi été laissés inactifs au profit du charbon. Selon les représentants, la situation géographique du pays jouerait également un rôle déterminant :

« Au Japon, où les ressources sont rares et le pays est entouré par la mer, il n’y a pas de source d’énergie parfaite », a déclaré le directeur adjoint du ministère de l’Industrie. « Pour cette raison, le Japon ne soutient pas la déclaration » sur le charbon.

Mais la principale raison de ce manque d’initiative reste économique. Maintenir le charbon paraît surtout plus rentable à court-terme. Énergie peu chère et facile à importer, elle bénéficie du traumatisme nucléaire japonais et de leur difficile transition vers des énergies renouvelables, ainsi que de vastes campagnes industrielles de greenwashing mettant en avant des moyens « propres » d’exploiter le charbon (des centrales aux rendements simplement améliorés et rejetant moins de particules…). Pour rappel, le charbon était responsable en 2019 de 40% des rejets de CO2 dans le monde, pour ne produire qu’un tiers de l’électricité mondiale. Il reste de loin le combustible fossile le plus polluant devant le pétrole et le gaz.

Centrale à charbon de Matsushima, 17 minutes en bateau de la ville de Saikai. « Il n’y a pas que Matsushima, afin de parvenir à une société décarbonée, chaque municipalité doit changer radicalement. » @350NewEneration

Dans son discours du 2 novembre au sommet de la Cop26, le Premier ministre Fumio Kishida a souligné les nombreux objectifs de Tokyo, notamment une réduction des GES de 46 % en 2030, une aide financière pour accompagner l’Asie dans sa transition et une protection des forêts. Mais rien sur le charbon, déplorent les associations.

Et pour cause : un rapport de Reuters concernant des exploitations d’anciennes centrales japonaises au charbon a démontré qu’une majorité d’entre-elles n’avait même pas mis en place d’échéances de fermeture. Le Japon n’envisage pas de sortie imminente du fossile et le fait savoir. Aussi, « le Climate Action Network a-t-il décerné son prix « Fossil of the Day » au Japon pour ne pas avoir réussi à lutter sérieusement contre le changement climatique » explique The Japan Times.

Un constat partagé par le collectif 350NewEneration qui a décidé d’agir contre ce piétinement volontaire des autorités et ce gain de temps hasardeux des effectifs japonais vis-à-vis du charbon, au détriment de l’avenir relativement proche des îles, région naturelle qui plus est vulnérable, et de ses habitants.

Les actions courageuses d’un petit collectif

Photo : David K. / Mr Japanization

« Malheureusement les médias japonais ne parlent pas de ces problématiques ou très peu. La population japonaise n’est pas informée. C’est pour cette raison que nous devons agir aujourd’hui en face d’une grande entreprise énergétique », confie une des militantes lors d’une manifestation organisée devant le siège d’un grand nom japonais de l’électricité.

L’entreprise en question ? Electric Power Development Co., Ltd. (電源開発株式会社, Dengen Kaihatsu Kabushiki-gaisha), aussi connue sous le nom de J-POWER, et autrefois Denpatsu (電発). Service public d’électricité du pays, J-Power puise encore principalement son énergie dans des centrales à charbon et accessoirement de manière hydroélectrique. A savoir : J-Power a la main, sans autre concurrence, sur de nombreux secteurs, comme les lignes de transport desservant les principales îles nippones, dont elle est l’unique opérateur.

« Nous voulons les inciter à enfin adopter des manières propres de produire de l’énergie »

Pour ce faire, le collectif mise sur des actions vécues comme fortes et transgressives au Japon, du fait de leur rareté : des manifestations devant les lieux de responsabilité et des pétitions remises en main propres aux décideurs et représentants. 

Photo : David K. / Mr Japanization

En effet, Ayumi Yamazaki, figure du mouvement, explique que les responsables étaient très surpris de cet évènement. Comme les démonstrations publiques ne sont pas fréquentes dans le pays, même en petit comité, l’action a un puissant impact : « Ils étaient un peu confus. Le plan de construction de la centrale a été publié sans aucune démarche de réduction de la pollution. Ce n’est pas normal ! ». En pleine COP26, on peut effectivement se poser des questions sur cette politique qui fait visiblement passer l’économie avant la survie planétaire.

« Le Japon devrait abolir complètement la production d’électricité thermique au charbon », considère la militante écologiste Kimiko Hirata dans une récente interview. Elle n’est pas la seule. « Pour les entreprises japonaises favorables au charbon, ce qui est plus important, ce sont les affaires, pas la planète », confirme Mutsuyoshi Nishimura, ancien haut responsable du gouvernement japonais et négociateur en chef sur le changement climatique. Et de conclure : 

« C’est triste de voir qu’il n’y a pas de vision pour un Japon plus durable. »

Photo : David K. / Mr Japanization

A l’heure où l’étau se resserre sur l’avenir des nouvelles générations, le Japon va également devoir faire face à son lot d’esprits conscients et informés qui exigeront de lui des décisions et actes forts, au-delà des discours annuels. Il est temps que chaque pays réponde de ses choix sociétaux devant les citoyens, y compris japonais. Car même dans un pays où l’occupation de l’espace public est peu coutumier, celles et ceux qui sont mis en danger par la léthargie politique sont prêts à sortir et réclamer des comptes en faveur du vivant et de lendemains respirables.

Suivre le mouvement sur leur page Instagram : 350NewEeneration

– S.H. / D.K.

Sources :