S’inscrivant comme passeurs de mémoire, deux Japonais font revivre le Japon à l’époque de la Seconde Guerre mondiale avec des photos d’époque, colorisées grâce à l’intelligence artificielle. Il en a été réuni 355 dans un ouvrage pour que ces souvenirs difficiles perdurent à travers les générations et que l’horreur de la guerre ne soit jamais oubliée.

La Seconde Guerre mondiale s’est terminée il y a 78 ans. Les derniers Japonais encore en vie qui l’ont vécue sont maintenant tous très âgés. Et avec leur disparition progressive, c’est toute la mémoire d’une période qui va s’en aller également. D’ici quelques années, les témoins de la guerre et de ses atrocités se seront tous éteints, avec le risque de voir la folie humaine s’exprimer à nouveau de la pire des manières…

Si l’usage de l’Intelligence Artificielle est souvent décriée, elle trouve des applications utiles en Science pour la recherche mais aussi dans le domaine de l’Histoire. En effet, c’est avec l’aide de l’IA qu’un japonais s’est donné pour mission de rendre des couleurs à de vieilles photographies de guerre, au plus proche de la réalité.

C’est justement pour transmettre les horreurs de cette période que Hidenori Watanabe 渡邉英徳 a entrepris de collecter des photographies d’époque en noir et blanc. Puis, grâce à l’alliance de l’intelligence humaine et artificielle, 355 clichés historiques ont été colorisés et compilés dans un ouvrage intitulé « L’avant-guerre et la guerre revivent à travers des photos colorisées par l’IA ».

Couverture de l’ouvrage. Voir sur le site de l’éditeur Kôbunsha.

Hidenori Watanabe raconte la genèse de son ouvrage et sa rencontre avec Anju Niwata 庭田杏珠, co-autrice :

« J’ai commencé à coloriser d’anciennes photos en 2016, mais l‘idée de publier un livre est née suite à une conférence que j’ai donnée en 2017 sur la colorisation des photos à l’école secondaire pour filles Hiroshima Jogakuin. À cette époque, Anju Niwata était étudiante et avait assisté à ma conférence.

Anju Niwata, qui était très engagée dans des activités en faveur de la paix, avait rencontré Tomozo Hamai (décédé en 2023), qui possédait de nombreuses photos de la période de la guerre, peu avant la conférence. Puis, peu de temps après la conférence, il lui a offert des photos colorisées. En discutant avec lui tout en regardant les photos, les souvenirs de l’époque lui sont revenus petit à petit.« 

Le fait de coloriser une photo en noir en blanc permet au spectateur de mieux se projeter dans la scène, comme s’il y assistait. Une proximité qui génère plus d’empathie.

Témoins de cette remontée de souvenirs, Watanabe et Niwata ont pris conscience de l’importance de la colorisation des photos monochromes, et c’est ainsi que leur projet a débuté. Mais malgré le recours à l’intelligence artificielle, la colorisation des photos en noir en blanc leur a opposé plusieurs défis, nécessitant le concours de l’intelligence humaine.

L’oeil humain se révèle toujours indispensable pour corriger certaines couleurs recréées par l’IA, comme l’explique Watanabe : « De nombreuses photos de champs de bataille sont disponibles dans les archives publiques américaines et peuvent être utilisées librement, ce qui facilite la collecte de photos à utiliser. Cependant, après la colorisation par l’IA, les couleurs sont souvent incorrectes. C’est pourquoi nous devons ajuster les couleurs en fonction des documents restants, des souvenirs des personnes ayant vécu à cette époque, et des conseils d’experts. Puisque l’IA ne possède pas de connaissance historique, le processus de conversation humaine pour se rapprocher des événements de l’époque était très important.

Mais alors même que le livre a été publié en 2020, des corrections sont toujours effectuées : « De plus, une fois que la colorisation est terminée, cela ne signifie pas que la photo est finalisée. Les spectateurs des photos peuvent faire de nouvelles observations telles que ‘cette couleur est incorrecte’, ce qui signifie que tant que les personnes ayant vécu à cette époque sont encore en vie, les mises à jour seront infinies. Même dans les photos publiées dans le livre, lorsqu’elles sont utilisées dans d’autres médias à ce jour, des ajustements supplémentaires sont parfois apportés. »

Le champignon atomique sur la ville d’Hiroshima pris par Masami Ogi au département expérimental de la batterie de canons de l’arsenal naval à Yoshiura-cho (aujourd’hui Wakaba-cho), dans la ville de Kure.

Un exemple avec la photographie de la bombe atomique qui a frappé d’Hiroshima à 8h15 le 6 août 1945. L’IA avait coloré le champignon atomique en blanc, comme un simple nuage. Mais lorsque la photographie a été publié sur Twitter, le réalisateur Sunao Katabuchi a indiqué qu’il était en réalité plutôt orange.

D’autres corrections de couleur ont été apportées, en se référant aux documents sur le champignon atomique. Cette photographie a été corrigée par rapport à celle publiée dans le livre.

« On ne veut pas de japonais ici » (USA)

Watanabe et Niwata avaient partagé quelques photos colorisées par leurs soins sur Twitter (X), ce qui a attiré l’attention d’un éditeur. Et c’est ainsi que la décision de publier un livre fut prise. Entre le début du projet et la publication de l’ouvrage, un an seulement s’est écoulé.

Watanabe est un utilisateur régulier de ce réseau social, où il contribue à diffuser des informations et poste régulièrement au sujet de la Seconde Guerre mondiale : « Il se trouve que, chaque année à la même date, je poste les mêmes photos liées à la Seconde Guerre mondiale sur Twitter. Cependant, malgré cela, chaque année, les réactions ne changent pas. Je pense que c’est parce qu’avec le temps, les souvenirs s’effacent inévitablement. Mais si mes propres tweets peuvent raviver les souvenirs du passé une fois par an, ce serait une source de joie. Cela me rappelle l’importance de continuer à partager régulièrement ces informations. »

Hidenori Watanabe continue de perpétrer ce devoir de mémoire concernant d’autres évènements. Récemment, il s’est ainsi entouré d’experts pour coloriser des photos datant du grand tremblement de terre du Kantô. Elles sont visibles depuis le 1er septembre 2023 dans l’exposition « Histoire depuis le séisme – Technologie scientifique pour l’avenir«  au Musée national des sciences.

25 juin 1945. Hiroko Higa, la « fille au drapeau blanc », se rend aux forces américaines à Okinawa. Photographiée par le photographe militaire John Hendrickson.
Soldats japonais dans les îles Marshall