Les démons sont des êtres surnaturels, le plus souvent associés à la notion du mal et aux enfers. Toujours très populaires de nos jours, on trouve des traces de ces créatures depuis l’Antiquité, même si leur conception diffère quelque peu selon les croyances.

Le Japon aussi a bien évidemment ses histoires de démons. Appelés Oni, ces créatures font partie intégrante du paysage culturel japonais. Elles sont par exemple présentes dans le célèbre animé Demon Slayer (鬼滅の刃 Kimetsu no Yaiba en japonais). Dans Demon Slayer, les Oni sont des humains qui ont été transformés en êtres démoniaques et qui ont besoin de se nourrir de chair humaine. Retour sur l’histoire ancienne des démons dans la culture japonaise.

 

Qu’est-ce qu’un Oni ?

Illustration de Sessen Dôji (une ancienne vie de Shakyamuni) qui offre sa vie à un Oni (Wikimedia Commons)

Les Oni 鬼 font partie de la grande famille des yôkai, ces nombreuses créatures fascinantes du folklore japonais, source d’inspiration infinie pour les artistes du pays. La représentation la plus connue du Oni est la suivante : un être très grand, à la peau rouge ou bleue, qui possède des cornes sur le front et qui peuple les enfers. Il porte souvent un pagne en peau de tigre et un gourdin en fer (kanabô 金棒), très utile pour torturer les humains. Cette image du Oni vient en fait du bouddhisme, qui fut introduit au Japon au VIe siècle. 

Avant de désigner les démons japonais que l’on vient de décrire, le terme Oni était utilisé pour désigner tous les êtres invisibles, comme les fantômes ou les esprits. Par la suite, la distinction sera faite entre les différentes entités et la représentation des Oni sera inspirée physiquement des Yasha (Yaksha) et Rasetsu (Râkshasa), des créatures maléfiques venant d’Inde et qui mangent de la chair humaine. 

Dans Demon Slayer, les Oni n’ont pas cette apparence puisqu’ils gardent plus ou moins leur allure humaine. Le Oni, tel qu’il est traditionnellement représenté, peut aussi se transformer et prendre forme humaine. Un rappel que le mal se trouverait en nous, ou se cacherait parmi nous, selon les interprétations.

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Pour protéger la population japonaise des Oni, les temples bouddhistes étaient souvent bâtis face au Nord-Est. Pourquoi cette direction ? Tout simplement parce qu’en Chine, la direction Nord-Est est appelée Kimon 鬼門, c’est-à-dire « la porte démoniaque ». En construisant les temples dans cette direction, ces derniers faisaient en quelque sorte rempart à l’arrivée des démons.

Les Oni sont aussi les personnages principaux d’une des fêtes traditionnelles japonaises les plus populaires, Setsubun 節分. Cette fête, qui a lieu tous les 3 février pour la nouvelle année (calendrier lunaire), a pour but de se débarrasser des mauvais esprits, représentés sous la forme d’Oni, pour ne garder que le bonheur chez soi. A cette occasion, les Japonais jettent des graines de haricots grillés (mame-maki) par la fenêtre ou la porte en criant « Oni wa soto ! Fuku wa uchi ! », c’est-à-dire « les démons dehors ! Le bonheur à l’intérieur ! ». 

Comme souvent avec le Japon, même les créatures les plus effrayantes peuvent être représentées dans un cadre assez bon enfant. C’est le cas des Oni, puisque pour Setsubun les sanctuaires et temples japonais permettent aux enfants de pouvoir s’amuser à jeter des graines de haricots grillés sur des personnes déguisées en Oni. Pour l’occasion on trouve aussi dans le commerce des masques d’inspiration kawaii (mignon) à l’effigie des Oni.

Photo de Mame-maki, les graines de haricots grillés à jeter pour se débarrasser des Oni (Photo Wikimedia Commons)

 

Comment devient-on un Oni ?

Les Oni sont principalement liés à la conception bouddhiste des enfers. Un Oni ne naît pas Oni, mais le devient à sa mort. Les Oni sont en fait des humains très mauvais qui sont changés en démon une fois morts et envoyés dans les différents enfers bouddhistes. Les Oni sont alors sous les ordres d’Enma Daiô 閻魔大王, le roi des enfers. Dans l’animé Dragon Ball Z, le nom d’Enma Daiô désigne le personnage chargé de décider qui ira ou non en enfer…

Aux enfers, les Oni ont une mission bien précise : torturer les êtres humains qui s’y trouvent. Les humains qui finissent aux enfers sont également de « mauvaises personnes », mais pas suffisamment pour être transformés en Oni. Parmi les différentes tortures, le Oni peut par exemple leur broyer les os, mais aussi les écorcher vif… si c’est un supplice pour les humains, les Oni, eux, s’en donnent à cœur joie. 

Une statue de Oni au Oniyama Jigoku, un des huit enfers de la ville de Beppu, sources chaudes (photo Wikimedia Commons)

La légende de Momotarô

Associée à la ville d’Okayama, la légende de Momotarô 桃太郎 est extrêmement populaire au Japon.

Momotarô est un petit garçon à la force incroyable qui fut découvert dans une grosse pêche par un couple de personnes âgées. Comme ils n’ont jamais eu d’enfants, le couple adopta Momotarô pour l’élever comme leur fils. Un jour, alors qu’il fut envoyé pour ramasser du bois, Momotarô revint avec un arbre énorme. Le seigneur de la région entendit parler de la force du petit garçon et demanda à Momotarô d’aller sur l’île d’Onigashima pour combattre des Oni qui s’y trouvaient et qui terrorisaient la population. Momotarô s’y rendit et réussit à vaincre les Oni et leur chef Ura. Il rentra alors chez lui avec le trésor amassé par les Oni et vécut heureux avec sa famille.

Momotaro, Okayama. @jpellgen (@1179_jp)/Flickr

La légende de Momotarô est très intéressante parce qu’elle permet de relever un point important dans l’histoire des Oni. Il est communément admis que le terme « Oni » désignait autrefois les clans qui refusaient de se soumettre à l’Empereur du Japon. Selon plusieurs spécialistes, c’est justement ce que sont les Oni de l’histoire de Momotarô.

D’ailleurs Momotarô serait en fait Kibitsuhiko, le fils de l’Empereur Kôrei, qui fut envoyé pacifier les clans de la province de Kibi (correspond à l’actuelle préfecture d’Okayama). Déjà dans le Nihon Shoki, un des deux ouvrages mythologiques les plus importants du Japon (rédigé en 720), ceux qui refusent de se soumettre au pouvoir céleste sont appelés Oni.

On sait aussi que le terme Oni était utilisé pour décrire des personnes qui ne rentraient pas dans les normes, physiquement, comme par exemple les bébés qui naissaient avec des dents, ou pour désigner tout simplement des étrangers. Les Oni n’ont donc pas toujours été des êtres foncièrement mauvais, mais plutôt la peur ou l’incompréhension de la différence et de l’altérité.

 

Le déchaînement du Oni du Mont Asama

Les Oni ont parfois été utilisés pour justifier les dégâts provoqués par une catastrophe naturelle. C’est le cas par exemple de l’éruption du Mont Asama 浅間山, situé entre les préfectures de Gunma et de Nagano, qui eut lieu en 1783. L’éruption du volcan fut si violente que les habitants y voyaient un Oni en colère, vivant à l’intérieur du volcan et faisant jaillir, depuis le cratère, les roches énormes de son courroux. 

Mount Asama from Mount Kurofu.
日本語: 黒斑山付近からの浅間山 @Ken H / @chippyho (Wikicommons)

Le paysage volcanique produit par l’éruption fait désormais partie d’un parc appelé le Parc Onioshidashi 鬼押出し園, dont le nom peut se traduire par « ce qui a été expulsé par le démon ». On trouve dans l’enceinte du parc des petites statuettes d’Oni, mais aussi le temple Asama Kannon-do 浅間山観音堂 construit pour rendre hommage aux victimes de l’éruption. 

Comme toutes les créatures du folklore japonais, l’origine du Oni est aussi passionnante que mystérieuse et nous permet surtout d’en apprendre davantage sur les mœurs de l’époque, l’Histoire japonaise et son évolution à travers la pop-culture.

– Claire-Marie Grasteau

 

Pour aller plus loin, (re)lire notre dossier sur les enfers japonais : https://japanization.org/visite-guidee-des-enfers-selon-les-japonais/

Photo de couverture crédit @Kniel Nangit – A Japanese Folklore Characters made into 3D Pen Masks, 27 October 2017, (Wikicommons)