L’affaire agite le web depuis quelques jours à une échelle internationale. La star de télé-réalité américaine fait polémique en lançant une ligne de lingerie. Le problème ? cette ligne s’appelle « Kimono Solutionwear » et Kim Kardashian entend déposer cette marque pour se l’approprier. Cette référence au vêtement traditionnel japonais – 着物 – indignent les internautes dont de nombreux citoyens japonais qui l’accusent d’appropriation culturelle et de manquer de respect à leur culture.

Quand on lit ou entend le mot « kimono », la première image qui vient à l’esprit est celle du vêtement traditionnel nippon dont l’histoire remonte à l’époque Heian (794-1192). La forme du kimono a traversé les siècles, seuls ont évolués les motifs, leur disposition, les coloris, les techniques de tissage et de décor ainsi que la ceinture ‘obi’ sans lequel on ne peut le porter. Une lente évolution qui fait de ce simple vêtement une institution culturelle à l’échelle mondiale. Pourtant il se pourrait que dans un avenir proche ce mot désigne également des sous-vêtements imaginés par la « personnalité » américaine Kim Kardashian.

Le lien ? Absolument aucun.

À n’en pas douter, le kimono est un symbole culturel très important dans la société japonaise et fait partie intégrante de son patrimoine tant matériel que symbolique. Les hommes l’ont quelque peu délaissé à l’époque Meiji (1878-1912) où le gouvernement cherchera à occidentaliser le pays (tout juste rouvert de force au commerce international par les États-Unis) jusque dans les tenues de ses fonctionnaires. Ceci fera place à l’avènement du salaryman japonais. Cependant, les femmes qui étaient reléguées à la sphère privée continuèrent de le porter, perpétuant discrètement mais durablement cette culture. Ce n’est véritablement qu’après la Seconde Guerre Mondiale que le port du kimono cessa au quotidien, sauf dans certaines professions traditionnelles (artisanat).

Mais si les Japonais (et en particulier les Japonaises) ne portent désormais le kimono que par loisir et pour les grandes occasions, ce vêtement reste présent dans des moments marquants de leur vie. Ainsi, pour la fête de la majorité, « Seijin no hi« , les jeunes filles revêtent de somptueux ‘furisode’ éclatants de couleurs et les garçons peuvent porter le kimono avec le pantalon hakama. Les cérémonies de remise de diplôme sont aussi une occasion d’arborer un kimono spécial. Pour célébrer un mariage selon les rites shinto, hommes et femmes portent encore souvent la tenue traditionnelle. Des kimonos précieux et inestimables continuent de se transmettre de mère en fille, témoins de l’histoire d’une famille.

Des touristes en kimono à Asakusa. Source : flickr

Et même si l’industrie du kimono souffre de problèmes tels que le nombre décroissant d’artisans hautement qualifiés qui ne trouvent pas d’apprentis ou des ventes qui décroissent chaque année, les Japonais demeurent très attachés à ce symbole de leur culture. Dans un précédent article, nous avions décrit l’ambitieux projet d’artisans nippons en vue des Jeux Olympiques de Tokyo 2020 autour de l’étoffe précieuse. Ces artisans se sont lancés dans la confection de 196 kimonos, un pour chacun des pays du monde au nom de la paix mondiale. Le choix du kimono comme support de paix révèle l’importance que ce vêtement garde aux yeux des Japonais.

C’est donc dans ce contexte culturel que Kim Kardashian a dévoilé le 25 juin une marque de sous-vêtements baptisée « Kimono Solutionwear » sur laquelle elle a travaillée pendant un an et dont elle entend déposer le nom dans un but nécessairement commercial. Une ligne dont le principe est de galber les formes, raffermir la silhouette pour faciliter le port de mini-robes par exemple. Dans cette démarche, on est très loin de toute référence au kimono japonais dont la coupe et la manière dont il est porté sert au contraire à dissimuler la silhouette de la femme le revêtant. Le mot « Kimono » semble avoir été choisi pour faire référence au prénom de la jeune femme (Kim + Mono). Mais c’est plutôt au vêtement japonais que le nom de cette ligne fait avant tout penser, ce qui n’a pas manqué de faire réagir à travers le monde.

« Aidez-nous à sauver notre culture »

En témoignent les vives réactions des internautes, particulièrement japonais, sur les réseaux sociaux pour signifier leur mécontentement de voir leur culture une fois encore récupérée à des fins mercantiles. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la culture japonaise est ainsi récupérée par des stars américaines. En 2013 Katy Perry avait ainsi été accusée de racisme pour sa prestation en kimono revisité aux American Music Awards. Sur twitter, des hashtags comme #KimOhNo et #notyourunderwear ont été lancé et accusent des dizaines de milliers de tweets. De nombreuses personnes s’offusquent que le kimono, ce précieux habit, soit assimilé à des sous-vêtements. On peut notamment lire de nombreuses accusations d’appropriation culturelle, de manque de respect à la culture japonaise à travers des phrases fortes telles « Ma culture n’est pas ton jouet », « Ma culture n’est pas ton sous-vêtement« , la publication de nombreuses photos de ‘vrais’ kimonos ou des injonctions à changer le nom de sa marque. Une pétition a même vu le jour.

On pourrait croire à un simple « bad buzz », mais l’affaire va encore plus loin à l’approche des J.O. de Tokyo. L’indignation est en effet remontée dans la sphère politique avec l’intervention du maire de Kyoto en personne, la ville bastion des traditions nippones et célèbre pour son quartier de tisserands « Nishijin ». Le maire, Daisaku Kadokawa, a publié une lettre à l’attention de Kim Kardashian lui demandant de renoncer à utiliser le mot « kimono » : « J’écris cette lettre pour vous faire parvenir nos réflexions au sujet du Kimono et pour vous demander de reconsidérer votre décision d’utiliser le nom Kimono dans votre marque.

Le kimono est un vêtement ethnique traditionnel témoin de notre riche culture et de notre histoire grâce aux efforts et aux dévouements inlassables de nos ancêtres. C’est une culture chérie et transmise avec soin à travers les générations. C’est aussi le fruit d’un artisanat qui symbolise véritablement le sens de la beauté, l’esprit et les valeurs du Japon. Ces dernières années, nous avons vu non seulement des Japonais, mais également de nombreux touristes étrangers porter le kimono et se promener à Kyoto et dans d’autres villes du Japon. C’est la preuve que le Kimono, dont nous sommes fiers comme élément de notre culture traditionnelle, est aimé par les peuples du monde entier.

Nous prenons actuellement des initiatives à l’échelle nationale pour que la « Culture du kimono », symbole de notre culture et de nos esprits, soit inscrite sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Nous pensons que le mot Kimono est un terme commun à toute l’humanité qui apprécie le Kimono et sa culture et qui ne doit donc pas être monopolisée. J’aimerais que vous visitiez Kyoto, où de nombreuses traditions japonaises, dont le Kimono, ont été chéries, pour que vous expérimentiez l’essence de la culture du Kimono et compreniez nos pensées et notre vœu fort. Cordialement, Daisaku Kadokawa »

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本日、「脱炭素社会の実現に向けて」というIPCC第49回総会京都市記念シンポジウムで、開会時に門川市長のアテンドを務めさせていただきました✨ミスアース京都としての初お仕事です! とても緊張しましたが、門川市長が気さくで素敵な方で、日本大会への応援のお言葉もいただき、大変嬉しかったです? 午後も、少しでも多くの方に京都が素敵な市だと思っていただけるよう頑張ります!! #ミスアース #ミスアースジャパン #ミスアース京都 #ミスアース2019 #ミスコン #市長さん #京都市 #環境問題 #振袖撮影 #振袖 #ミスコン #着物モデル #和装モデル #門川大作 #京都市長 #ipcc #京都モデル #ミスコングランプリ #初仕事 #furisode #kimonogirl #missearth2019 #missearth #lovekyoto #kyotocity #高橋るり

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Le maire de Kyoto en compagnie de Miss Terre 2019

Kim Kardashian a répondu à la polémique dans un communiqué au New York Times : « Je comprends et respecte la signification du kimono dans la culture japonaise et je n’avais pas l’intention de créer ou de sortir des vêtements qui auraient imité ou déshonoré cette tenue traditionnelle. J’ai pris la décision de baptiser ma compagnie Kimono, non pas pour dissocier le mot de ses racines japonaises, mais comme un clin d’œil à la beauté et au détail qui caractérise ce vêtement ». Un « clin d’œil » peu discret et assez mal venu tant on peine à voir la relation entre le raffinement d’un kimono en soie et la lingerie de Kim Kardashian.

La star a aussi déclaré : « Ma marque ‘solutionwear’ est construite sur le principe de l’inclusivité. Et de la diversité » (…) « Et je suis incroyablement fier de ce qui va arriver. Le dépôt d’une marque est un identifiant de source qui me permet d’utiliser le mot pour mon caleçon et ma ligne intime. Mais n’empêche ni ne restreint personne, en l’occurrence, de fabriquer des kimonos ou d’utiliser le mot kimono en référence au vêtement traditionnel. Je comprends et respecte profondément la signification du kimono dans la culture japonaise ». La starlette américaine persiste et signe, s’asseyant sur la colère de très nombreux Japonais. Pas sûr au final que ses propos suffisent à calmer les esprits comme s’en était l’intention…

Dernier espoir, que le kimono soit enfin listé au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO comme le réclament les Japonais avant que ce vêtement artisanal ne disparaisse définitivement de notre histoire.

S. Barret


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