Sayumi Hirata est une Japonaise véritablement passionnée par cet habit traditionnel de son pays : le kimono. Un vêtement traditionnel désormais en danger. Les artisans détenteurs du savoir indispensable à sa confection (tisseurs, brodeurs, teinturiers) sont âgés et beaucoup ne trouvent pas de successeurs pour perpétrer leur tradition millénaire. Nous avons rencontré Sayumi pour parler de cette problématique. Cette jeune femme de Tokyo a eu l’idée de fonder la plate-forme internet « KIMONO BIJIN » pour promouvoir le kimono au Japon et à travers le monde, inciter les Japonais(es) à le (re)découvrir et le porter de nouveau en société, en dehors du cadre de cérémonies officielles auxquelles il est le plus souvent relégué de nos jours. Sayumi Hirata a accepté de répondre aux questions de Poulpy pour détailler son projet, sa genèse et son fonctionnement.

Sayumi Hirata, fondatrice de KIMONO BIJIN

Sayumi Hirata, PDG de SaQrown Japan Inc, est la fondatrice de la plate-forme internet « KIMONO BIJIN » qui regroupe plusieurs médias communautaires liés à la culture japonaise et surtout, évidemment, au kimono. Elle s’est lancée dans cette aventure en 2015 forte d’une expérience de cinq ans comme employée de la section immobilière d’une grande banque de Tokyo.

Bien que certains des événements auxquels elle prévoyait de participer en 2020 aient été annulés à cause de la crise sanitaire, elle anime sans relâche depuis 2016 la promotion du kimono dans plusieurs pays : elle a eu ainsi l’opportunité de se rendre aux États-Unis, à Taiwan et surtout à la plus grande convention d’anime au Canada, « l’Anime North » ainsi qu’à divers autres événements spécialisés chaque année. Son but, promouvoir ce fabuleux vêtement qu’est le kimono japonais pour éviter son extinction programmée !

Si elle a pu devenir entrepreneuse indépendante, elle le doit à un intérêt poussé pour l’entreprenariat présent chez elle dès ses 12 ans. Petit à petit, elle se prit à penser qu’elle aimerait développer une entreprise connectée au monde réel à travers la culture japonaise tout en profitant de sa situation de jeune femme japonaise. La décision d’organiser les J.O. de 2020 à Tokyo fut l’élément décisif. C’est à ce moment qu’elle a décidé de quitter son travail pour devenir indépendante et s’investir dans le monde du kimono, sans pouvoir prédire les évènements tragiques qui aillaient suivre…

À l’origine, elle s’intéressait à la mode et aux choses « kawaii » (mignonnes), de là son intérêt pour le kimono est né et a grandi. En particulier, elle n’a jamais oublié le magnifique furisode qu’elle a porté à l’âge de 20 ans pour le jour de la majorité (Seijin no hi). Il l’a remplie d’une telle joie qu’elle ne voulu jamais l’enlever même après la cérémonie ! Quelques années après cet évènement important dans la vie d’une japonaise, elle commença à s’intéresser aux cultures étrangères, puis à la culture japonaise traditionnelle plus particulièrement. Aimant les fleurs, elle se mit à étudier sérieusement l’ikebana afin de mettre en commun ses différentes compétences. Aujourd’hui, elle se déclare fière d’être une femme japonaise indépendante et libre.

Avant de créer son entreprise, elle avoue qu’elle ne connaissait pas grand-chose à l’univers du kimono. Elle n’en possédait même pas un seul ! Elle pensait vaguement pouvoir apprendre à revêtir un kimono toute seule et débuta par des recherches en ligne, mais sans trouver de site pratique qui répondait à ses besoins. Au cours de ses recherches, elle fut profondément marquée par l’importante fascination exercée par le kimono, sa beauté, la splendeur des nombreuses techniques complexes permettant de le concevoir, son esthétisme, ses nombreuses significations et les différentes possibilités que ce vêtement offre. Elle redécouvrait que le kimono est finalement une marque d’excellence et de raffinement de la culture japonaise. Une réalité oubliée par de très (trop) nombreux japonais de nos jours. Aujourd’hui, elle estime sa collection privée à une centaine de kimonos. Un long chemin a été parcouru depuis ses débuts !

Échange avec Sayumi Hirata

Vous faites le constat que l’art du kimono est en train de mourir au Japon. De moins en moins de kimonos sont vendus, les artisans (qui sont en majorité assez âgés) ne trouvent pas de successeurs, de nombreuses techniques seront bientôt oubliées. Dans la vie quotidienne, les Japonais(e)s ont peu d’occasions de porter le kimono (sauf lorsqu’ils s’intéressent aux arts traditionnels). Vous dites également que certains d’entre eux ont peur de porter un kimono à cause du jugement des autres, exception faite du tourisme. Vous avez donc créé KIMONO BIJIN pour raviver l’intérêt des Japonaises et Japonais pour le kimono. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre plate-forme ? Comment en êtes-vous venue à créer KIMONO BIJIN ?

Lorsque je faisais des recherches sur le kimono, j’ai découvert qu’il y avait plusieurs problèmes concernant l’industrie du kimono et la sensibilisation des consommateurs au kimono. J’ai également constaté que le secteur avait fait divers efforts procédant par essais et erreurs pour tenter de se préserver. Quand j’ai pensé à des solutions aux problèmes du côté de l’offre et de la demande, j’étais convaincue qu’il y avait quelque chose que je pouvais faire parce que je m’intéressais tellement à la culture japonaise traditionnelle et que je voulais en savoir plus et agir. C’est ainsi que j’ai lancé KIMONO BIJIN. Me mettant à la place des jeunes filles qui débutaient dans l’art de porter le kimono, ce qui me concernait alors également, j’ai réfléchi aux services que je pouvais créer pour leur venir en aide. C’est ainsi que j’ai développé un site spécialisé pouvant les renseigner. Les idées ont alors pris forme.

A quel point cela fut-il difficile et long à mettre en œuvre ?

Je pense qu’il a fallu quelques mois pour réfléchir au concept de base du site et des services. Je pense d’ailleurs toujours à améliorer ces derniers, donc les idées se renouvellent chaque jour. Il n’était pas difficile de demander à des ingénieurs de créer un site internet, par contre le développement de services efficaces et bien conçus coûte beaucoup d’argent alors que le site ne faisait pas de profit. Il était également difficile de faire en sorte que mes ingénieurs respectent les délais.

Avez-vous dû faire face à des difficultés inattendues ?

J’avais externalisé le développement du site à une société de développement, mais j’ai eu trois ans de retard sur le plan du projet que j’avais initialement prévu, ce qui m’a été vraiment pénible à supporter. J’ai donc décidé de mettre fin à l’accord avec ce développeur pour sortir de cette situation et récupérer le temps perdu.

De plus, j’étais banquière dans un département immobilier avant de démarrer ma propre entreprise, donc je ne connaissais pas le milieu de l’informatique. J’ai alors eu besoin d’apprendre beaucoup de choses tous les jours. Dans ce but, j’ai obtenu une qualification pour le marketing internet cette année. Je pensais qu’il était nécessaire pour moi d’accumuler un large éventail de connaissances et de faire constamment des efforts supplémentaires.

Avez-vous trouvé des soutiens dans l’industrie elle-même, dans des organisations ou ailleurs ? 

Depuis le lancement du site, j’ai progressivement élargi mon réseau de connaissances avec des personnes de l’industrie du kimono et des passionnés de kimono, et j’ai partagé mes réflexions et mes idées sur le concept que je voulais réaliser.

Heureusement, le projet KIMONO BIJIN a été sélectionné pour bénéficier d’une subvention financée conjointement par le gouvernement métropolitain de Tokyo et le gouvernement national japonais. Et ils ont pris en charge les coûts de développement. De plus, les services et initiatives de KIMONO BIJIN ont été publiés plusieurs fois dans les magazines de l’industrie du kimono et KIMONO BIJIN a été soutenu par de nombreux passionnés de kimono, entreprises et organisations.

Cependant, comme je l’ai déjà dit, étant donné l’important retard du développement du site, il n’y a pas eu beaucoup de communication, par conséquent, la reconnaissance n’est pas assez importante à ce jour. J’estime avoir besoin de ressources humaines, de partenaires et de divers types de soutien pour faire croître et connaître mon entreprise.

D’après ce que j’ai lu sur le site, vous développez des actions et mentionnez les événements qui se déroulent dans tout le Japon. Pouvez-vous nous fournir quelques détails à ce sujet ?

KIMONO BIJIN est une plate-forme culturelle traditionnelle japonaise dédiée principalement au kimonovous pouvez publier librement des articles et des photos dans le but d’œuvrer au « développement de la culture traditionnelle japonaise » et de « transmettre les techniques artisanales japonaises aux générations futures ». Vous pouvez y faire des recherches, vous inscrire et publier des informations relatives à la culture japonaise. Il s’agit d’une plate-forme complète où vous pouvez partager des endroits pour porter des kimonos, apprendre la culture japonaise, acheter des kimonos, travailler, louer des kimonos etc.

Une version pour l’étranger est également disponible. Celle-ci ne se limite pas au kimono, mais vous pouvez publier dans une grande variété de genres afin de pouvoir également diffuser l’attrait des diverses cultures traditionnelles japonaises. Je suis convaincue que l’augmentation de l’intérêt pour le kimono conduira au développement de la culture traditionnelle japonaise et à la revitalisation régionale.

Avez-vous développé des partenariats avec des artisans, des boutiques ou des salles de classe où on apprend à porter le kimono ?

Afin de fournir un soutien égal à diverses entreprises, organisations et individus liés à la culture japonaise, KIMONO BIJIN s’est engagé à être un média neutre qui n’appartient à personne. Ainsi nous soutenons uniformément diverses entreprises, organisations et individus liés à la culture japonaise. Mais KIMONO BIJIN entretient une relation de partenariat en bonne entente avec des personnes qui apprécient généralement la culture japonaise traditionnelle comme le kimono et des organisations à but non lucratif liées au kimono.

Toute personne qui nous soutient sous quelque forme que ce soit devient un partenaire précieux. Il est important que tout le monde nous soutienne sous n’importe quelle forme que ce soit. Je désire créer un site et des services que les gens, qu’ils soient japonais ou étrangers, souhaitent utiliser fréquemment.

Quel est le public de KIMONO BIJIN ? Jeunes, adultes ? Avez-vous déjà remarqué si la jeunesse japonaise a développé une préoccupation concernant le kimono ? Depuis la mise en ligne de KIMONO BIJIN, avez-vous noté des évolutions dans les mentalités ?

Les « débutants à intermédiaires » en kimono sont notre public cible principal. Afin de plaire aux jeunes qui ne sont pas vraiment intéressés par la culture japonaise traditionnelle, en termes d’âge, nous essayons de nous adapter aux goûts des gens allant de la sortie de l’adolescence à la trentaine. Cependant, comme il y a beaucoup d’informations et de nombreuses fonctions utiles sur le site, je pense que quiconque s’intéresse à la culture japonaise traditionnelle peut en profiter indépendamment de son âge, de son sexe ou de sa nationalité.

Nous prévoyons de lancer des fonctions encore plus pratiques et amusantes, alors suivez-nous avec impatience svp ! Je ne pense pas que ce soit l’influence de KIMONO BIJIN, mais je pense que le nombre de jeunes qui portent un kimono de manière occasionnelle a considérablement augmenté par rapport à avant le lancement du site.

Un dernier mot, comment imaginez-vous l’avenir du kimono dans quelques décennies au Japon ?

Comme dit précédemment, les industries traditionnelles japonaises rencontrent divers problèmes, tels que les soucis de succession et la perturbation de l’équilibre entre l’offre et la demande, mais je pense qu’il y a aussi de bonnes nouvelles. Dans certains ateliers, vous pouvez voir de jeunes travailleurs, et de plus en plus de gens apprécient non seulement les kimonos, mais aussi la cérémonie du thé et les compositions florales de manière décontractée et libre (note de Poulpy : activités que l’on pratique habituellement en kimono).

La société est en constante évolution et les progrès de la technologie informatique sont remarquables. Et nous ne savons pas ce qui se passera à l’avenir, car la propagation du COVID-19 a transformé notre mode de vie. Indépendamment de l’industrie, s’adapter aux situations et aux temps sans crainte de changement est également important, et je pense qu’il est également important de continuer à relever des défis et de créer une nouvelle ère.

Il est nécessaire d’accepter les changements afin de protéger les choses vraiment précieuses, les techniques traditionnelles et la culture. Obtenir les bonnes informations est également essentiel. Si vous appréciez librement le kimono comme mode vestimentaire, que vous vous voulez en louer ou en acheter, si vous voulez partager cette passion du kimono avec des amis, si vous êtes intéressés par la culture japonaise traditionnelle dans son ensemble, que vous voulez explorer son histoire et sa culture, vous pourrez en profiter plus profondément avec nous. Je crois que si le nombre de personnes intéressées et appréciant le kimono augmente, non seulement le kimono mais aussi l’industrie de la culture japonaise traditionnelle se relanceront progressivement.

Merci beaucoup.

Merci à vous également d’avoir pris le temps de nous répondre.

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S. Barret & Mr Japanization


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