Ce 26 juin 2022, une ancienne maiko, Ichikoma du quartier de Pontocho à Kyoto, vient de livrer sur Twitter un témoignage explosif sur des faits graves subis durant les 7 mois où elle fut maiko et qui l’ont poussé à quitter ce milieu. Des révélations effrayantes que nous vous restituons ici le plus fidèlement possible en traduisant sa parole. Si celles-ci sont avérées, elles peuvent avoir l’effet d’une bombe dans le milieu des Hanamachi (quartiers de geishas, au nombre de cinq à Kyoto) qui cultivent publiquement une image honorable depuis des années, loin de la prostitution.

Car il est ici question de faits particulièrement graves de contrainte, d’exploitation humaine et sexuelle, théoriquement bannies au Japon. Il est important de noter dans son récit ses craintes concernant les possibles atteintes à sa vie et représailles dont elle pense pouvoir être victime dans les jours à venir, ainsi que des pressions ou possibles tentatives de faire disparaître les preuves par les autorités locales. Notre équipe a réalisé pour vous une traduction brute de ses révélations tombées il y a quelques heures seulement et qui secouent le Japon. Des dizaines de milliers de Japonais ont déjà réagi à ces propos avec plus de 100.000 retweet.



Témoignage de Ichikoma

Je risque d’être effacée de ce monde, mais c’est ça, la réalité d’une Maiko. À l’âge de 16 ans, on m’a forcée à boire beaucoup d’alcool et à prendre un bain “mixte » avec des clients (même si j’ai essayé de m’enfuir de toute mes forces, mais…). J’aimerais que vous reconsidériez si c’est cela, une culture traditionnelle… Cette photo montre la fois où j’ai gagné le concours de consommation de Yamazaki (whisky) de 18 ans d’âge avec un client. C’est difficile de croire que ça c’est produit en 2017.

Je risque de me faire tuer pour ces révélations, mais rien ne changera tant que personne n’en parlera. Je ne voulais pas me taire sur ces tentatives de suicide ou les troubles mentaux que subissent chaque année de jeunes Maiko.

J’ai peur de Kyoto. Ne m’en voulez pas pour ça.

Je n’oublierai jamais ce qu’on m’a dit : « Quand une personne incompétente comme toi quitte le métier de Maiko, elle finit dans l’industrie du sexe. Comment vas-tu survivre ? En ouvrant les jambes ».

Tout d’abord, vous devez vivre dans la maison pendant six ans, sans salaire, avec un petit système d’argent de poche, vous ne pouvez communiquer avec le monde extérieur que par lettre ou par cabine téléphonique, et vous n’êtes pas autorisé à avoir un téléphone portable. Pourquoi ? Parce que les filles s’enfuient quand elles apprennent à connaître le monde extérieur.

D’ailleurs, le système du « danna » est toujours en place (NDLR : un « patron » client supportant financièrement une maiko ou une geiko et qui en contrepartie avait droit à ses faveurs sexuelles, ce dernier point était censé avoir disparu depuis l’abolition de la prostitution en 1958). Maiko et geiko prennent le nom de famille de la personne quand quelque chose arrive. Il est plus rapide d’appeler cela un mariage Hanamachi, car il est officiellement reconnu par les personnes qui en font parti. On a failli vendre ma virginité pour 50 millions de yens. Et cet argent, la Maiko elle-même ne le perçoit pas.

Je suis sûr que Kyoto va se mettre en colère contre moi pour ce message. J’ai peur qu’ils me contactent.

Mais vous savez quoi, je n’abandonnerai pas. Je suis libérée du lavage de cerveau de l’Hanamachi. Quoi qu’ils disent, quoi qu’ils fassent, il est impossible que l’Hanamachi puisse interférer avec ma vie.

Si ces tweets disparaissent, considérez que le gouvernement local de Kyoto les a effacés.

En principe, les Maiko ne portent pas de culottes. On a passé les mains dans mon kimono, on a touché mes seins, mes jambes. Dans une pièce privée, on a touché mon entrejambe.

Quand j’en ai parlé à mon okasan (NDLR : patronne de l’okiya où la maiko vit), elle s’est mise en colère contre moi et m’a dit que c’était de ma faute.

Il y a cinq Hanamachi à Kyoto, bien sûr selon le lieu, vous pouvez avoir un téléphone portable, et bien sûr, il y a des endroits où il n’y a pas besoin d’aller prendre des bains avec les clients. Le système des danna peut aussi être plus laxiste dans certains endroits. Mais seules les gei-maiko qui se sont installées dans cette ville connaissent la véritable histoire.

Je tiens à vous le dire ici car j’ai été contactée par des amis anciennes maiko, et des maiko qui veulent arrêter.

Ce n’est pas parce qu’on n’est pas allé au lycée qu’on ne peut pas vivre à l’extérieur. Si vous passez un test d’équivalence d’études secondaires, vous pouvez obtenir un diplôme de fin d’études secondaires, et vous pouvez même aller à l’université si vous le souhaitez. Il existe même des emplois décents qui ne nécessitent pas de qualifications universitaires.

On m’a posé beaucoup de questions. Je vais seulement répondre à celles dont je connais la réponse.

(1) Le selfie sur la photo a été pris avec le téléphone portable d’un client. J’ai eu les données après avoir démissionné.

(2) Il s’agit de mon expérience et non de celle de toutes les Gei-maiko, et il n’est pas juste qu’un profane dise : “J’ai vérifié et ce ne se passe pas comme ça !” Je leur réponds : essayez d’abord de devenir une maiko et on en reparle !

Son message édifiant s’arrête ici. Du jamais vu de l’histoire moderne des maiko et geiko de Kyoto. Immédiatement, des milliers de messages se sont abattus sur Ichikoma. Nombre de Japonais la soutiennent pour son courage, d’autant que ce témoignage intervient dans un contexte de libération de la parole des femmes. La jeune ex-maiko remercie les gens qui la soutiennent et promet de révéler d’autres informations à travers les médias prochainement et demande aux gens d’être patients.

D’autres, au contraire, émettent des doutes sur sa sincérité. S’il n’est pas difficile de prouver qu’il a bien existé une maiko du nom de Ichikoma et qu’elle ressemble parfaitement à la jeune femme sur les photographies dont le compte Twitter est vieux de plusieurs années, certains Japonais estiment qu’il s’agit d’un hoax et l’attaquent de plein front. Certains la traitent d’être une prostituée. Certains l’insultent et lui imaginent une maladie mentale. Sa prise de position publique semble déjà lui coûter cher. Une campagne de harcèlement s’installe pour détruire sa réputation.

A l’instant où nous terminons d’écrire ces lignes, Ichikoma tweet un nouveau message sur un ton bien différent… assez inquiétant.

“Je suis épuisée mentalement. Je n’ai rien pu manger et boire depuis hier. Je ne peux m’arrête de trembler. Ça se passe exactement comme je l’avais pressenti. SVP, laissez-moi tranquille ! J’ai un enfant. Je vais y songer sérieusement après avoir pris une pause. Je dois décider de les combattre ou pas.”

Photographie d’Ichikoma le jour officiel de ses débuts comme maiko

Notons enfin que, comme Ichikoma l’exprime elle-même dans son message, ce genre de choses ne se produit probablement pas dans tous les hanamachi. Chaque « maison » de maiko (okiya) possède son propre mode de fonctionnement interne. Mais le monde des geiko/geisha avait déjà hérité d’une réputation sulfureuse venant principalement de l’occident et d’un passé trouble. Il aura fallut des décennies pour complètement séparer ce monde raffiné de celui de la prostitution.

D’autres maiko n’ont ainsi pas tardé à témoigner publiquement pour affirmer qu’elles n’avaient jamais eu d’expérience similaires dans leur carrière. Beaucoup insistent sur le fait que l’histoire de Ichikoma doit à la fois alerter sur ce que vivent certaines maiko sans pour autant distiller l’idée qu’elles subissent toutes des attouchements sexuels et des rapports non-consentis. Il faut donc rester prudent, ne pas émettre de jugement envers l’entièreté de la profession, sans oublier que de tels agissements sont probables dans un cadre qui les rend possible, leur univers étant par nature opaque et secret.

– Mr Japanization