Non, cette photo n’est pas issue d’un quelconque bar à prostituées d’Asie du Sud-Est… Alors que le sexisme est une problématique toujours récurrente dans la société japonaise moderne, le Tokyo Game Show est peu à peu devenu une vitrine de la misogynie ordinaire, telle une vulgaire convention de tuning où de jeunes femmes se trémoussent en porte-jarretelles sans qu’on sache exactement pourquoi. Le jeu vidéo lui s’efface derrière les boobs, les petites culottes et les décolletés. Pourtant, aujourd’hui, presque la moitié des joueurs sont des femmes…

Le plus grand salon annuel du jeu vidéo au Japon, le Tokyo Game Show, existe depuis 1996 et chaque année sa fréquentation a augmenté pour passer allègrement la barre des 200 000 visiteurs depuis 2010. Le nombre d’exposants est allé lui aussi crescendo, le salon attire maintenant plus de 500 exposants étrangers comme japonais (principalement des indépendants), présente plus de 1000 jeux et met à disposition des joueurs plus de 2000 bornes jouables.

Source : AFP / Déjà en 2013, le ton était donné.

Sur place, il y a une telle affluence qu’il est presque difficile de circuler. C’est dire l’importance de cette convention dont la notoriété se dispute à celle de l’E3 (qui se tient à Los Angeles) et l’image peu glorieuse de la gent féminine qu’elle renvoie davantage chaque année finit par peser dans l’inconscient collectif alors que plus de 43% des joueurs sont des femmes. Le TGS est donc loin de n’être qu’un show pour « mecs en mal de petite copine » et pourtant cette impression de beaufitude grasse se renforce à chaque édition, au point de dégouter mêmes des producteurs de jeux-vidéos.

La mise en scène de « boniches » à moitié nues, dont on voit mal le rapport direct avec le monde du jeu vidéo, questionne. Des acteurs du milieu appellent à mettre le holà, à l’image de Hiroshi Matsuyama, le président du studio de développement CyberConnect2 (détenteur des licences Naruto et .hack). S’exprimant sur le sujet l’an dernier a directement posé la question sur son blog : « Et si on arrêtait avec ce spectacle d’hôtesses ? ». En comparant l’évolution entre les récentes éditions, il livre son ressenti qui est que les choses empirent d’année en année, les modèles féminins se dénudant de plus en plus et ce sans justification liée au monde du jeu vidéo.

On cherche encore le rapport entre le jeu vidéo et le pole-dance…

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Si, à l’origine, il s’agissait pour certains exposants de recréer l’atmosphère et l’univers de leur jeu en donnant vie aux personnages féminins, pour Matsuyama, il semble que cet objectif soit désormais largement dépassé, voire secondaire. L’icône de la femme est utilisée pour tout et n’importe quoi. La plupart des hôtesses, triées sur le volet pour leur physique, n’ont pas de rapport avec les jeux présentés. Elles servent surtout à exciter les joueurs masculins. Comme disait le groupe Odezenne dans son clip « Dedans » avec sarcasme : « On oublie ce qui est pas beau. Je veux de la pute et de la bimbo ! » Le jeu-vidéo mérite mieux que ça…

Hôtesses, le mini-short entrouvert, naturellement…

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« Depuis quand le Tokyo Game Show est-il devenu un show qui attire la foule uniquement pour ses mannequins dénudées ? » se désole Matsuyama, « N’est-ce pas censé être un évènement où les gens viennent se renseigner sur les nouveaux jeux avant qu’ils ne soient mis sur le marché ? Est-ce que les éditeurs sont devenus à ce point impuissants ? Ne pouvons-nous pas attirer l’attention du public vers les jeux autrement qu’en leur offrant des paires de seins ? ». Une interrogation qui est loin d’être dénuée de sagacité lorsque l’on considère l’image généralement peu glorieuse, et fausse, attachée aux jeux vidéo par le grand public.

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Alors que certains jeux vidéo tels GTA ou Call of Duty, sont régulièrement pointés du doigt, à tort, par les grands médias à l’occasion de tueries ou de meurtres (perpétués par des gens dont le vécu explique davantage le passage à l’acte que leur goût pour le jeu vidéo), les professionnels du milieu cherchent justement depuis plusieurs années à redorer l’image de ce loisir désormais largement démocratisé au sein de la population, de tout âge et de tout sexe, notamment grâce à l’avènement des smartphones ces dix dernières années.

De nos jours, être un « gamer » ne se résume plus à ce cliché de l’ado mâle boutonneux enfermé dans sa chambre à vaquer entre Youporn et Counter Strike : les joueurs sont presque autant des hommes que des femmes, des enfants, des ados ou des adultes ; certains sont des joueurs occasionnels sur leur smartphone (nommés « casual gamers » par opposition aux « hardcore gamers ») d’autres consacrent plusieurs heures par semaine à jouer sur leur pc ou les dernières consoles sorties, sans que ça pose un réel problème. Avec un public si éclectique, comment encore justifier un tel rabaissement du féminin ? Quelle image de la femme donne-t-on aux plus jeunes qui visitent l’évènement ?

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De même que l’éventail de son public qui s’est considérablement élargi, le jeu vidéo est un loisir qui est loin de se limiter aux jeux hyper-violents ou aux simulations de guerre (réservés à un public mature mais que beaucoup de parents achètent pourtant les yeux fermés à leurs jeunes enfants), mais en dehors de la presse spécialisée peu se font l’écho des véritables chefs d’œuvre que l’industrie vidéo-ludique nous a livrés, au point qu’on commence à parler du jeu vidéo comme le 10ème art.

Une reconnaissance qui pourrait être mise à mal si les salons professionnels aux retombées médiatiques importantes persistent à mettre en avant des jeunes femmes en petites tenues pour attirer le chaland au détriment de la qualité intrinsèque des jeux eux-mêmes qui ne deviennent alors qu’un prétexte à venir « mater de la chair fraîche ».

Et après plus d’un demi-siècle d’existence et d’évolution, n’est-ils pas temps que le jeu vidéo se voit reconnaître la considération qu’il mérite ? Et pour ça, il est peut-être temps d’arrêter de prendre le joueur moyen pour ce qu’il n’est pas, en donnant une image totalement dégradante de la femme japonaise aux touristes et étrangers : sois belle, docile et surtout tais-toi !

S. Barret


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Sources : kanpai.fr / rocketnews24.com