Le sexisme au Japon est toujours très enraciné, si bien que nombre de politiciens masculins ne cherchent absolument pas à cacher leurs idées réactionnaires à l’encontre des femmes japonaises, au mépris de leurs souffrances à endurer cette situation. Fuemi-san 笛美, une artiste japonaise engagée, a décidé d’afficher cette problématique trop rarement médiatisée dans une série de petites histoires dessinées sur Instagram. Nous avons traduit l’une d’entre elles pour vous permettre de mieux comprendre la situation.

Pourquoi autant de politiciens japonais sont-ils toujours autant réactionnaires au point de ne jamais rater une occasion de répéter des propos sexistes où homophobes publiquement sans même y percevoir l’ombre du problème ou craindre de quelconques conséquences politiques ?

À travers cette série de croquis commentés de l’artiste Fuemi, nous pouvons percevoir toute la difficulté de faire évoluer les mœurs dans un pays où la politique constitue toujours aujourd’hui un bloc masculin âgé et rigide qui n’évolue pratiquement pas dans ses idées. Et ce quand bien même les jeunes générations essaient de secouer le joug des anciennes cramponnées au pouvoir.

Les « vieux messieurs » complètement en décalage

Pourquoi les politiciens répètent-ils sans cesse des déclarations sexistes et homophobes ?

« Je déteste regarder des LGBTQ. »

« Réapprentissage pendant le congé maternité. »

« Cela va affecter la société. »

« La baisse du taux de natalité, c’est la faute aux femmes qui se marient tard. »


J’ai essayé de comprendre pourquoi les déclarations sur la baisse du taux de natalité, les femmes ou encore les LGBTQ se réitèrent.

Pourquoi les politiciens réitèrent les déclarations controversées sur le genre ?

Secrétaire du Premier ministre Arai : « Je ne veux même pas voir les personnes LGBTQ. »

Premier Ministre Kishida : « Les mariages du même sexe vont affecter la société » « réapprentissage pour les femmes en congé maternité ».

Vice-Premier Ministre Aso : « La baisse du taux de natalité est due au fait que les femmes se marient tard. »


Parce que la croyance selon laquelle « femme = foyer » existe toujours.

Parce qu’ils ne veulent pas abandonner l’expérience réussie de la « protection sociale à la japonaise » qui laisse aux femmes le rôle de s’occuper des soins gratuitement.

Foyer = Corvées ménagères – Puériculture – Soin aux personnes âgées – Soin aux malades

« On ne peut pas juger de ce qui est convenable de faire uniquement en fonction du sexe » nous dit le personnage à droite.

Dans les années 1970, le gouvernement issu du Parti libéral-démocrate (Jimintō ou la droite conservatrice japonaise) dévoila le concept de « la protection sociale à la japonaise ».

Il s’agit d’une politique nationale qui encourage les hommes à être des « guerriers de l’entreprise » et à y consacrer leur vie tout en encourageant les femmes à s’occuper gratuitement des enfants et des soins aux personnes âgées au sein du foyer.

C’est une politique qui permettait en réalité au gouvernement de ne pas avoir à payer pour une protection sociale coûteuse, en obligeant les femmes à le faire gratuitement à la maison !

De nos jours, de plus en plus de familles veulent faire demi-tour, mais certains politiciens ont toujours en tête l’idée que femme = foyer.

NB : En résumé, l’extrême-droite japonaise conservatrice au pouvoir a tout fait pour maintenir les femmes au foyer, ouvrières invisibles de la nation corvéables à vie, tout en encourageant les hommes à se sacrifier au travail. Malheureusement ce modèle n’a visiblement pas fonctionné si on en croit le pétrin économique dans lequel le Japon s’est enfoncé depuis les années 80.


Parce qu’ils s’accrochent à la vision du « système familial »

Parce qu’ils veulent subordonner les femmes à la « maison » dominée par l’homme selon le « système familial » ancien, qui a pourtant été aboli il y a plus de 70 ans.

Au centre de l’image, le chef de famille domine grâce à son pouvoir. A droite, le fils aîné est le prochain chef de famille, en position de subordination. A gauche, la femme n’a aucun pouvoir légal.

Pendant l’ère Meiji, il fut instauré un système social appelé « système familial ». Selon ce système, les femmes n’avaient aucun droit et étaient subordonnées aux hommes de « la maison ». Bien que ce système ait été aboli après la guerre, ses valeurs sont restées ancrées dans la société et servent à consolider « la protection sociale à la japonaise » (hommes = au travail et femmes = au foyer) lancée par le Parti libéral-démocrate.

NB : On notera que contrairement à la croyance, ce système familial japonais fut influencé par l’occident. L’ère Meiji était une époque d’ouverture rapide et radicale du Japon au reste du monde. Fasciné par l’occident, l’empereur s’inspira et imposa au Japon de nombreuses coutumes occidentales. Et à l’époque, en Europe, la soumission de la femme au foyer était la norme. La portée « traditionnelle » du système familial à la japonaise est donc toute relative et varie selon l’époque où se porte le regard. Ce système va largement encourager les mariages arrangés de manière à permettre à certains hommes et familles de consolider leur pouvoir.


Parce qu’ils méprisent le travail des femmes.

Parce qu’ils considèrent le travail des femmes comme provisoire. Ils ne respectent pas le personnel soignant parce que c’était un travail fourni gratuitement par les femmes au sein du foyer.

Selon l’idée « les hommes au travail et les femmes au foyer », comme les femmes ne travaillent que jusqu’au mariage, on a tendance à minimiser leur travail.

C’est pourquoi le salaire annuel d’une femme mariée travaillant ne dépasse pas les 1.3 millions de yens (9200 euros par an!), mais aussi que le salaire moyen des femmes représente environ 70% de celui des hommes pour UN MÊME emploi. C’est aussi pour cette raison qu’il y a peu d’aide pour les femmes qui travaillent, comme par exemple, la présence d’un nombre suffisant d’écoles maternelles.

Aussi, selon cette idée, la garde des enfants et les soins infirmiers doivent être effectués gratuitement à la maison par les femmes. C’est pourquoi le gouvernement ne fait aucun effort pour payer/développer ces secteurs, alors qu’il est prêt à dépenser pour l’expansion militaire.

NB : C’est une des raisons du suicide démographique du Japon. Le gouvernement réactionnaire refuse de développer des solutions pour que les femmes puissent avoir des enfants et travailler en même temps. La femme DOIT rester au foyer et le manque d’aide l’y invite par défaut. Sauf qu’en pratique, ce n’est pas réalisable. Le coût de la vie est devenu tellement élevé que même un couple de travailleurs actifs peine à pouvoir vivre décemment. Un enfant représente un investissement supplémentaire important, sans parler de l’achat d’une maison assez grande pour une famille. L’idée que les femmes soient contraintes à rester au foyer reporte la charge financière sur l’épaule de l’homme dans un contexte de crise économique intenable. Beaucoup préfèrent alors éviter d’avoir des enfants, voire même éviter de se mettre en couple.


Des députes vieux, issus de familles politiques

Parce que 90% des membres du Parti libéral-démocrate (majorité) sont des hommes et que 30% sont des politiciens de 2ème ou 3ème génération.

Le personnage à droite explique que « tous les présidents du Parti libéral-démocrate sont des hommes » (sans exception).

Les femmes représentent moins de 10% des députés du Parti libéral-démocrate (Chambre des représentants). 30% des députés sont des enfants de politiciens, ce chiffre atteint plus de 50% chez les ministres ! En d’autres termes, les hommes nés dans des familles de politiciens depuis des générations ont beaucoup de pouvoir au sein du Parti libéral-démocrate. Un politicien hétérosexuel qui a grandi dans la sphère politique, soutenu par sa mère, a plus de chance d’être déconnecté des réalités des citoyens ordinaires.

NB : Au Japon, la politique est souvent une histoire de famille. L’écrasante majorité des élus viennent de familles ayant un important pouvoir économique et/ou politique sur la société japonaise. Un moyen de conserver l’ordre et de ralentir toute évolution de la société. À noter que la majorité d’entre eux, en dehors d’être des hommes, viennent de milieux assez riches et d’écoles prestigieuses (aristocratie japonaise). Ils ont par nature reçus une éducation très orientée et n’envisagent pas de la remettre en question. Dès lors, la fracture avec la population réelle est forcément profonde.


L’influence des groupes religieux de droite

Parce qu’ils sont fortement soutenu par la droite religieuse.

Pour le personnage qui symbolise Fuemi-san, « Les non-croyants sont aussi importants ! »

Parmi les grands soutiens du Parti libéral-démocrate, on trouve des groupes religieux très riches et influents tels que l’Église de l’Unification (secte Moon) ou le Nippon Kaigi. Ces groupes religieux soutiennent fermement les valeurs du « système familial » et s’opposent aux mariages entre personnes du même sexe, ainsi qu’au fait que la femme puisse prendre un nom de famille différent de celui de son époux.

C’est grâce au généreux soutien des groupes religieux qui aident pendant l’élection, en envoyant par exemple gratuitement des secrétaires, que les politiciens sont élus, ils ne peuvent donc pas ignorer leur volonté.

NB : À ce sujet, on ne peut qu’encourager la lecture de notre article « Shinzo Abe et la secte Moon : les dessous d’un assassinat explosif« . Un événement qui a fait prendre conscience au monde entier l’ampleur de l’influence de cette secte.


Le monde a déjà changé, non ?

Certains membres du Parti libéral-démocrate et de la droite religieuse ont peur que la société change, mais c’est déjà le cas, non ?

Autoriser les femmes à avoir un nom de famille différent de celui de son mari détruit l’idée selon laquelle les femmes sont subordonnées à leurs maris…

Si le mariage entre personnes du même sexe est autorisé, la vision du « système familial » où les hommes dominent les femmes grâce au pouvoir sera ébranlée…

Voilà ce qui inquiète les politiciens et la droite religieuse !

Cependant, le monde a déjà changé et beaucoup de gens aimeraient choisir leur propre voie au lieu de se voir imposer la « seule et bonne voie » par les autorités.

Au lieu d’être une population « conciliante » pour la politique, je veux que la politique soit « conciliante » pour nous tous !

Au lieu d’être des citoyens « simples » pour les politiciens, rendons la politique simple pour nous !

Il est possible que, jusqu’à présent, nous ayons tous travaillé dur en nous disant que « les politiciens aussi font de leur mieux » ou que « de toute façon, on ne peut rien attendre de nos politiciens, alors travaillons de notre mieux ».

Mais, tout comme « une femme trop conciliante ne rend pas service à un homme« , une nation trop conciliante avec ses politiciens peut nuire à son pays.

Faisons en sorte qu’il y ait désormais davantage de politiciens qui expriment des opinions correspondant à nos réels besoins (citoyens).

BD par Fuemi-san. Adaptation FR par Claire-Marie Grasteau & Mr Japanization