Au Japon, se côtoient deux religions : le bouddhisme avec ses temples et le shinto avec ses sanctuaires. Mais les amoureux du Japon le savent déjà. Par contre, connaissez-vous la différence entre les statues gardiennes « shishi », « shisa » et « komainu » ? Plus difficile… Savez-vous également que le rituel pour prier diffère entre le sanctuaire et le temple ? Que les plaques ema ont succédé au sacrifice d’un cheval ? Qu’il existe plusieurs types de torii ? Tout cela et bien d’autres informations, vous les retrouverez dans le nouveau livre de Joranne Bagoule « Torii, temples et sanctuaires japonais ». Présentation de l’ouvrage et de son auteure qui a accepté de nous accorder une interview.

Certains connaissent peut-être déjà le blog de Joranne Bagoule. Elle y présente sous forme de bande-dessinées détaillées toutes sortes d’objets japonais comme le célèbre maneki-neko, les poupées kokeshi mais aussi des moins connus comme le kiuso, ou encore le kadomatsu.

Source : joranne.com

Entremêlant habilement texte et dessins, Joranne présente méthodiquement l’histoire de chaque objet, son origine, la ou les légendes relatives, son utilisation et défait certaines idées reçues. Des informations si détaillées que l’on se surprend à en découvrir de nouvelles sur un objet que l’on pensait pourtant bien connaître. Le texte est mis en couleur, surligné, de taille variée pour l’aérer et mettre en avant les éléments les plus importants. Les dessins viennent l’illustrer et le compléter.

On peut d’ailleurs compter sur la participation de Joranne elle-même qui n’hésite pas à se représenter et à se mettre en scène dans des situations humoristiques avec d’autres personnages (des amis, des Japonais, voire des kamis !), accompagnant son propos d’une touche d’humour sans sacrifier à son sérieux. Un style qui rend la lecture et la compréhension de ses planches claires et accessibles à un public jeune.

Source : joranne.com

En 2019, Joranne a sorti son premier ouvrage, « Maneki-neko et autres histoires d’objets japonais », qui reprenait et complétait des articles parus sur son blog :

« Maneki-neko et autres histoires d’objets japonais », le premier livre de Joranne

Outre les objets japonais, Joranne s’intéresse également à d’autres éléments de la culture nippone comme les chiens japonais, les yôkai, la nourriture, les fêtes (le Nouvel An, le réveillon japonais), ou tout ce qui a trait à la religion. C’est d’ailleurs ce dernier point qui forme le sujet de son second ouvrage « Torii, temples et sanctuaires japonais », paru en novembre dernier.

Divisé en trois parties, le livre aborde successivement les sanctuaires shintoïstes, les temples bouddhistes et enfin les talismans & autres porte-bonheur que l’on peut s’y procurer. Mais laissons la parole à Joranne qui revient sur la conception de son ouvrage, le choix des sujets abordés et nous livre des explications complémentaires.

Bonjour Joranne. Pour commencer, peux-tu te présenter à nos lecteurs qui ne te connaîtraient pas ?

Je m’appelle Joranne, je suis graphiste/illustratrice et j’habite en France. Depuis 2013 je parle d’objets japonais sur mon blog. En 2019 j’ai publié mon premier livre « Maneki-neko et autres histoires d’objets japonais » dont le sujet est, comme son titre l’indique, les “objets japonais”, qu’ils soient usuels, porte bonheur ou liés à des festivités. Le livre ayant trouvé son public, en 2021 un second a été publié : « Torii, temples et sanctuaires japonais » qui traite cette fois-ci des objets et de l’architecture dans les lieux sacrés mais également des pratiques ou rituels ainsi que des gens qui y travaillent.

Le second livre de Joranne : « Torii, temples et sanctuaires japonais »

Tu t’es spécialisée dans les objets japonais comme l’illustrent tes deux livres, qu’est-ce qui t’attire chez eux en particulier ? Aussi, quels sont tes préférés et en fais-tu collection ?

J’aime le fait qu’ils renferment un sens. Bien sûr certains ont une fonction purement décorative ou utilitaire, mais ceux avec une histoire ou une signification derrière m’intéressent plus particulièrement. Comme je suis très fan de légendes j’aime beaucoup découvrir qu’un petit objet tout simple est lié à une croyance ou à une festivité.

Bien entendu j’en collectionne beaucoup et comme pour toute collection plus j’en apprends, plus ça me donne l’envie d’en posséder. Mon objet favori est le Inu-hariko, j’en parle dans « Maneki-neko et autres histoires d’objets japonais ».

Source : joranne.com

Combien de temps a pris la rédaction de « Torii, temples et sanctuaires japonais » (ainsi que « Maneki- neko et autres histoires d’objets japonais ») ? T’es-tu heurtée à des difficultés pour trouver des ressources bibliographiques ou exécuter certains dessins dosant humour et informations pour illustrer ton propos ?

C’est difficile de donner une réponse précise sur le temps. Par exemple pour « Maneki-neko… », je suis partie deux mois au Japon en 2018 pour rencontrer des artisans et me rendre sur des lieux spécifiques, ensuite j’ai travaillé sur le livre pendant neuf mois.
Mais en 2017 j’étais également partie au Japon et je m’étais rendue à Takasaki et Katsuō-ji car je voulais déjà parler des daruma sur mon blog, et à l’époque je ne savais pas encore que finalement j’allais en parler dans un livre.

Pour « Torii, temples et sanctuaires japonais » c’est la même chose, j’ai encore travaillé neuf mois dont les quatre derniers mois en intensif en ne faisant que ça, 7 jours sur 7 de 10h à 2h du matin. Mais j’avais déjà le sujet en tête depuis très longtemps vu que le premier objet japonais dont j’ai parlé sur mon blog en 2013 était les Ema. J’avais également déjà traité d’objets et de rites qu’on retrouve maintenant dans le livre.
Comme c’est un sujet qui m’intéresse c’est un travail constant, je suis toujours en train de lire des informations dessus, c’est donc difficile de quantifier le temps de travail exact.

Source : joranne.com

Trouver des informations, ça va. Le plus long étant de condenser tout cela, de le rendre le plus simple et accessible possible, mais également de vérifier que les données sont correctes. Car comme pour tout, il y a des histoires que tout le monde reprend comme vérité vraie alors que c’est juste du bullshit (par exemple l’idée qui veut que les kokeshi représentent des enfants morts).

Quelle a été la partie la plus difficile à expliquer et/ou à mettre en dessin (je pense aux komainu avec leur histoire compliquée !) ? Généralement, est-ce plutôt le texte ou le dessin qui est le plus dur à réaliser ? Voire l’harmonie des deux, la mise en page ?

La partie la plus difficile fut de retranscrire simplement des concepts abstraits qui sont parfois très éloignés de ce à quoi nous sommes habitués. C’est vrai qu’il faut aussi condenser en quelques pages l’histoire d’objets qui ont plusieurs siècles d’existence et qui se sont déplacés sur plusieurs pays. Que doit-on garder ? Quelles informations peuvent être mises de côté ? Il faut aussi éviter les raccourcis trop faciles.
Le plus dur pour moi c’est la partie écriture, je suis plus une dessinatrice qu’une littéraire, donc je dois beaucoup retravailler mes textes pour que le style ne soit pas trop lourd et que les explications soient compréhensibles.

Quant à la mise en page, ce n’est pas compliqué, c’est juste très long…

Combien de temples et sanctuaires as-tu visités ? Lesquels sont tes préférés et pourquoi ? Est-ce que tu ramènes systématiquement un souvenir à chaque visite (goshuin, amulettes…) ?

Je ne pourrais absolument pas le quantifier. Parce qu’un temple ou un sanctuaire ça peut aussi bien être un très gros ensemble de bâtiments, comme un tout petit élément que l’on croise dans une rue ou le long d’un chemin, donc impossible de savoir.

Mon sanctuaire préféré est le Fushimi Inari à Kyoto, je sais ce n’est pas très original, mais ça été un vrai coup de foudre lors de ma première visite en 2009. J’adore ses alignements de torii et toutes ses statues de renards.
Et bien entendu j’aimerais pouvoir rapporter un souvenir de chaque temple ou sanctuaire que je visite mais ça représenterait un budget considérable. Donc c’est impossible.

Y a t-il un temple ou un sanctuaire en particulier que tu aimerais voir un jour ? et pour quelle raison ?

Il y en a même beaucoup. Mais si je devais en choisir un je dirais le Ōta-jinja à Hokkaido, pendant que je suis encore en forme physiquement parce que c’est un sanctuaire accroché à une falaise (il faut donc escalader un bout de paroi pour y accéder).

Les temples vendent des amulettes « omamori », des ema, et plein d’autres objets porte-bonheur. Tu expliques que les miko (assistantes de prêtres shinto) peuvent fabriquer des omamori, mais comment le sont les autres objets vendus ? Vu la quantité que l’on voit sur les étals une partie n’est-elle pas fabriquée ailleurs voire importée, en usine et non artisanalement (il est facile d’en trouver sur des sites chinois comme Aliexpress). Si oui, comment le touriste qui veut ramener un souvenir authentique peut-il faire la différence ?

La vente des omamori, ema, omikuji est un business qui permet au temple ou au sanctuaire d’exister. Donc oui, bien entendu ces produits sont manufacturés.
Si on prend les ema comme exemple, il y a des sociétés spécialisées dans leur fabrication, le temple/sanctuaire passe commande, soit le temple/sanctuaire a un peu de budget et peut choisir l’illustration qu’il veut, soit il choisit sur catalogue un visuel préexistant, par exemple l’animal du zodiaque de l’année. Ensuite le nom du temple est ajouté.
Ce n’est d’ailleurs pas exclusivement réservé aux temples/sanctuaires, en 2019, Nihon Box m’a commandé une illustration pour faire fabriquer des ema, à l’occasion de l’année du rat pour leur box du Nouvel an.

Source : joranne.com

Pour revenir aux omamori, les différents éléments sont commandés et les miko se contentent de les assembler et de les « bénir ». C’est pour cela qu’il n’est absolument pas bizarre d’en trouver sur des sites de vente (amazon, rakuten, aliexpress…) parce qu’ils sont vides.
Comme je l’explique dans mon livre, certains komainu sont fabriqués en Chine. Et vu le vieillissement de la population japonaise, de nombreux artisans finissent par prendre leur retraite et ne trouvent pas d’apprentis pour prendre la suite.

Par contre, ce que l’on ne trouve pas en vente (excepté sur les sites de seconde main type le Bon coin), ce sont les produits d’un temple ou d’un sanctuaire particulier. Parce qu’à partir du moment où les objets (ema, omamori, omikuji) ont été “bénis” ils revêtent un caractère sacré et seul le temple/sanctuaire peut en faire commerce.
Si le visiteur achète un souvenir directement au temple il sera forcément authentique, car l’important est ce qu’on lui a insufflé, pas où et comment l’objet a été fabriqué.

J’ai vu de gigantesques plaques ema en début d’année exposées dans les sanctuaires, était-ce un don d’un particulier ou est-ce le sanctuaire qui la fabrique chaque année avec l’animal du Zodiaque correspondant ?

Les grands ema s’appellent des O-ema (grand ema). Ils sont fabriqués pendant plusieurs mois et les sanctuaires les exposent généralement de fin décembre à début janvier. Eux sont produits artisanalement, généralement par la communauté, le dessin est réalisé soit par un artiste local, soit par les étudiants de l’école voisine, soit par le prêtre lui-même, il n’y a pas de règles. Par ce grand ema on espère s’attirer la bonne fortune des kami pour l’année à venir, on leur fait passer un « grand message ».

Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un pour choisir un souvenir vu le nombre et la variété qu’il existe (maneki-neko, ema, daruma, ofuda, kokeshi, kiuso) ? En conseilles-tu plus particulièrement un ?

Je n’ai pas de conseils à donner. Chacun fait en fonction de sa sensibilité et de ses moyens. C’est ce qu’il y a de bien, il y a tellement de diversité que chacun peut trouver son bonheur.
Par contre je ne peux que conseiller aux gens de s’attarder un peu plus et de voir au-delà de ces objets que l’on présente partout (poterie, éventail, furoshiki) : les objets artisanaux du folklore japonais sont très riches et souvent liés à l’histoire de leur région.

Source : joranne.com

« Torii, temples et sanctuaires japonais » est ton second ouvrage, la suite de »Maneki-neko et autres histoires d’objets japonais ». Tu as d’ailleurs écrit le premier en préparant le second comme tu l’expliques sur ton blog. Penses-tu déjà à un troisième tome ?

« Torii » n’est pas la suite de « Maneki-neko », les deux sont indépendants et peuvent être lus dans n’importe quel ordre. Ce tome sur les temples et les sanctuaires, je voulais l’écrire dès le début, mais comme je ne savais pas si mon style (dessin, écriture, humour…) allait plaire, j’ai préféré commencer par des objets plus connus et plus accessibles et garder le gros sujet de la religion pour un autre livre, même si des notes avaient déjà été écrites.
Comme pour Maneki-neko, on va déjà voir si « Torii » fonctionne bien avant d’en attaquer un troisième.

Merci pour le temps que tu nous as consacré !

Vous pouvez retrouver « Maneki-neko et autres histoires d’objets japonais » et « Torii, temples et sanctuaires japonais » sur la boutique du blog de Joranne qui alimente également ces comptes twitter, instagram et sa page facebook.

S. Barret


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