Pratiquant la méditation zen, passionné de bonsaïs, Robert Weis est un amoureux du Japon et plus particulièrement de Kyôto, ville fondée en 794 et capitale impériale jusqu’en 1868. Une ville qui, pour lui, « appartient à l’humanité toute entière » réunissant histoire, culture (17 sites étant classés au patrimoine mondial de l’Unesco)  et spirituel magnifiés par la Nature. « Séjourner à Kyôto est pour moi à chaque fois une forme de psychothérapie » a-t-il confié. C’est donc logiquement à Kyoto qu’il s’est rendu pour trouver des réponses, alors qu’une nouvelle phase de sa vie se dessinait. Un voyage dont il a tiré un ouvrage, Retour à Kyôto que nous vous présentons ainsi qu’une interview de son auteur.

Sur les routes de Kyôto

Si la ville impériale est la destination du voyage de Robert Weis, Retour à Kyôto prend cependant son temps avant de nous la faire entrevoir. Il choisit de ne pas s’y rendre directement depuis Tôkyô, une transition qu’il estimerait être trop brutale.

Ainsi, dans une longue première partie, l’auteur nous entraîne à Kanazawa, sur les chemins du Kumano kodô et dans les forêts de la péninsule de Kii. Un mini pèlerinage de quatre jours pour aiguiser ses sens et « se préparer mentalement à aborder ma destination où se cache – je l’espère – cet alignement de deux mondes, intérieur et extérieur, que j’avais entrevu lors de mon précédent voyage. »

Et d’y amener en douceur le lecteur dans ses pas.

Sur le Kumano kodô. Crédit Photo ©Robert Weis

Au terme de ce chemin, nous voilà enfin aux portes de la ville millénaire, dont la description livrée par l’auteur ne manque pas de surprendre et de dérouter le lecteur après la sérénité ressentie (et retranscrite) à Kumano. Robert Weis ne décrit Kyôto comme une ville grise, garnies d’immeubles sans âme :  » des éléments naturels : l’eau, la montagne, les jardins caractérisent la ville malgré une surface moderne et parfois laide masquant le sublime. »

C’est du moins, ce qui ressort du Kyôto contemporain. Arraché par une modernisation enlaidissant, le cœur de la ville s’est déplacé « à ses marges, à Higashiyama à l’est, à Kitayama au nord et à Arashiyama à l’ouest ». Quant au « kokoro », l’âme du vieux Kyôto, il « subsiste encore dans les hameaux des montagnes au nord, à Ôhara, à Kurama, dans la vallée de Miyama, à Nara. » Des échappées vers l’ancienne route du Nakasendô, Ôhara, la plaine de Nara et Amanohashidate dans la baie de Miyazu, sur la mer du Japon, clôtureront d’ailleurs le voyage et l’ouvrage.

Mais Kyôto demeure en son cœur une « ville-jardin », enveloppée de montagnes vénérées : « malgré son développement urbain, la ville s’inscrit dans un environnement qui mêlent nature et spiritualité. » Et de devenir un refuge pour Robert Weis qui souhaite nous en raconter sa perception.

A Ine, la mer de Kyôto. Crédit Photo ©Robert Weis

Enfin arrivé à Kyôto, Robert Weis s’interroge. Et de nous partager ses doutes, ses espoirs : « Ce séjour aura-t-il le pouvoir de changer mon regard sur le monde, de me donner un horizon nouveau vers lequel je pourrais avancer ? Kyôto pourrait-elle me nourrir de sa beauté et m’ouvrir les portes vers l’inconnu ? » Les réponses à ses questions attendent le lecteur attentif au fil du récit qui se déroule sous ses yeux.

Un récit qui marque les retrouvailles de l’auteur avec certains éléments de la culture traditionnelle dont il est épris et il prend le temps de nous rappeler des éléments d’histoire tels que la cérémonie du thé, la méditation zen, la voie du Shugendô et ses ascètes yamabushi, l’art des jardins (en particulier les jardins paysagers secs « karesansui »), la cuisine « kaiseki ryôri », la cuisine végane « shôjin ryôri », les légumes « kyô-yasai », la sylvothérapie « shinrin yoku« . Kyôto est la ville du rituel, de pratiques ancestrales, des traditions millénaires subsistant sous le vernis fin de la modernité décrit Robert Weis en nous invitant à l’y suivre.

Sous sa vision, nous irons ainsi redécouvrir des sites connus et moins connus : le temple Hônen-in, le chemin des Philosophes, le Kinkakuji (le temple du Pavillon d’or) et son cousin le Ginkaku-ji (le temple du Pavillon d’argent), les monts Daimonji et Atago, le lac Biwa, la Kamo-gawa (rivière aux canards), le quartier de Gion, le jardin du Palais impérial Gosho… Et pour ne pas passer à côté de l’âme de la ville, Robert Weis enjoint le futur touriste à sortir des circuits classiques dont le surtourisme a brisé le charme des lieux trop visités, trop « consommés ».

Vue du jardin d’Okachi Sanso à Kyôto. Crédit Photo ©Robert Weis

Tout le long de son ouvrage, Robert Weis ponctue ses mots de citations et références littéraires, inscrivant son voyage dans les traces de célèbres prédécesseurs sur lesquels le Japon aura laissé sa marque.

Robert Weis nous lance ainsi sur les traces d’auteurs et de leurs œuvres incontournables qui l’ont guidé : Le Poisson-scorpion et L’usage du monde de Nicolas Bouvier, Oreiller d’herbes de Natsume Sôseki, L’autre face de la lune de Claude Levi-Strauss, Autumn Light de Pico Iyer, Le Pavillon d’Or de Mishima, L’Éloge de l’ombre de Junichirô Tanikazi, Le Dit du Genji de Murasaki Shikibu…

Fruits de son cheminement spirituel, de courts poèmes parsèment également les pages de Retour à Kyôto. Un moyen pour son auteur de poser en mots les émotions ressenties lors d’un séjour intimiste et intime.

Le Pavillon d’or. Crédit Photo ©Robert Weis

Puis de répondre plus directement à nos questions.

Rencontre avec Robert Weis

Mr Japanization : D’où vous est venu cet intérêt pour l’Asie, le Japon en particulier et ses arts ? J’ai lu qu’elle remontait à votre adolescence.

Robert Weis : Jeune adolescent, j’ai pu visiter une exposition de bonsaï avec mon père et j’ai été fulguré par ces arbres nains et leur esthétique. Dès lors, j’ai voulu en savoir plus et je suis rapidement tombé amoureux des jardins japonais, découvrant ensuite tout le système philosophique derrière (wabi-sabi, zen, etc.). Dès lors je n’avais qu’un désir, visiter le Japon (désir que j’ai pu finalement assouvir à l’âge de trente ans).

Vous pratiquez l’ikebana, la méditation zen, l’art du bonsaï… que vous apportent-ils au quotidien ?

D’abord une satisfaction esthétique, dans le cas du bonsaï et de l’ikebana, mais ensuite, et c’est plus intéressant, une satisfaction de l’esprit. Même chose pour le zen, la philosophie zen et la méditation zazen apportent calme et équilibre dans ma vie qui en avait un grand besoin. Bien sûr, toutes ces pratiques peuvent être vues comme une voie (« do »), donc les résultats ne viennent que progressivement, et c’est aussi une leçon importante, que les choses essentielles ne s’obtiennent pas sur le coup, mais prennent le temps qu’il leur faut, et il faut l’accepter.

Robert Weis avec ses bonsaïs. Crédit Photo ©Robert Weis

Retour à Kyôto raconte votre second séjour dans l’ancienne capitale. Pouvez-vous nous parler de la première fois où vous avez découvert la ville, deux ans plus tôt ?

Mon premier séjour était à vocation entièrement touristique, c’est-à-dire que je ne connaissais pas grand chose de la ville, et je n’y visitais que les monuments et lieux les plus connus, comme les temples Kiyomizudera ou le sanctuaire Fushimi Inari ou encore le château Nijo. Mais j’entrevoyais déjà une âme plus profonde, cachée, de la ville, que je me proposais d’explorer lors d’un séjour prolongé.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur les évènements et motivations qui vous ont conduit à ce besoin de vous rendre à Kyôto ?

Après mon premier passage j’ai vécu une période compliquée d’un point de vue personnel, une grosse crise d’identité, qui a entrainé, entre autres choses, la séparation avec la personne avec laquelle je vivais depuis 10 ans. J’avais dès lors besoin de m’éloigner pour mieux me retrouver en quelque sorte, allant à l’encontre de mes racines, et singulièrement, le Japon, et Kyôto en particulier, me semblaient l’endroit le plus approprié pour cela.

La rivière Kamo à Kyôto. Crédit Photo ©Robert Weis

J’ai senti que vous ne vous attachiez pas tant à décrire Kyôto elle-même que ses environs (montagnes, localités) et les autres lieux visités (Kumano, Nara, le Tokaido). Était-ce volontaire ?

Cela s’est fait naturellement. Après un pèlerinage sur le Kumano kodô, qui aidait à me recentrer en tant que rituel de passage entre mon passé et le présent, j’étais basé bien sûr à Kyôto, mais je me suis vite rendu compte que la ville exerce une force centrifuge: les lieux les plus intéressants de mon point de vue (temples, jardins…) se situent presque tous aux marges de la ville, et au pied des montagnes. Il devenait donc naturel que je pousse l’exploration un peu plus loin, en découvrant d’autres lieux, pour la plupart situés dans la préfecture de Kyôto ou dans les préfectures voisines de Shiga et Nara, tout en conservant Kyôto comme point de chute et comme imaginaire du récit mental qui s’écrivait au fur et à mesure des explorations.

Au lac Biwa. Crédit Photo ©Robert Weis

Vous terminez votre récit par la mention des mystères de Kyôto. Lesquels avez-vous levés et lesquels vous y attirent toujours ?

Je trouve toujours des contradictions au Japon, et bien sûr à Kyôto, qui devient l’image de cette culturelle japonaise profonde qui m’intrigue tant: j’ai parfois l’impression d’avoir « saisi » cette âme, mais un instant après cette certitude peut très bien se volatiliser. Cette tension constante entre familiarité et mystère fait que le Japon m’attire toujours et continuera à le faire, très probablement.

Dans l’épilogue, on trouve cette phrase : « A la suite de mes voyages au Japon, mes habitudes ont changé, presque imperceptiblement. » Avez-vous trouvé ce que vous y étiez venu chercher ?

J’avais espéré y trouver un changement qui m’étais nécessaire pour clôturer une phase de ma vie et passer à une autre étape. Mon voyage à Kyôto a, je crois, parfaitement rempli ce rôle de passeur, et donc oui, j’y ai trouvé ce que j’étais venu y chercher, tout en admettant que je ne savais peut-être pas très bien ce que je venais y chercher au moment d’y débarquer.

Avez-vous déjà programmé un nouveau voyage au Japon ?

Effectivement, en cette année 2023 j’ai programmé un autre séjour prolongé, cette fois-ci dédié à l’exploration des montagnes sacrées du Japon.

Pouvez-vous nous partager vos impressions de ce nouveau voyage ? Comment s’inscrit-il dans la continuité de celui ayant permis Retour à Kyôto ?

Mon nouveau voyage dans les montagnes sacrées s’inscrit dans la continuité de mon voyage à Kyôto : dans mon livre j’évoque mon itinéraire sur le Kumano kodô, au cœur de la péninsule de Kii. J’avais à l’époque l’impression de n’avoir fait qu’effleurer cette région si empreinte de spiritualité et de mystère que j’ai décidé d’y retourner et d’y passer plus de temps notamment au contact des yamabushi, ces moines ascètes qui pratiquent en montagne. J’ai ensuite découvert que ces pratiques ancestrales se poursuivent un peu partout au Japon et j’ai donc visité d’autres montagnes sacrées, du Tohoku au nord jusqu’au Kyushu au sud, un mois durant. Mes explorations et les rencontres que j’ai pu faire donneront peut-être lieu à un autre livre.

Le Kumano kodô. Crédit Photo ©Robert Weis

A l’amateur de culture japonaise traditionnelle, quels endroits de Kyôto recommanderiez-vous de visiter en particulier pour sortir des sentiers battus et trop touristiques (outre ceux décrits dans votre livre) ?

Mes amis kyôtoïtes disent toujours qu’ils gardent jalousement pour eux leur endroits préférés. J’en livrerais trois: le jardin Hakuryu-en, au nord de la ville, vers Kurama ; l’ancien ermitage et jardin du Shisendo, au pied des montagnes du nord-est ; le sanctuaire shinto Shimogama, très visité des Japonais, mais peu des touristes étrangers, mais qui joue un rôle fondamental dans l’histoire de la ville, entouré de sa forêt sacrée en pleine ville.

En lisant votre récit, j’ai ressenti le besoin d’un fonds sonore pour accompagner vos mots. Auriez-vous une piste musicale à conseiller pendant sa lecture ?

Concernant le fonds musical, je conseillerai ses titres que j’évoque d’ailleurs dans le livre: Close to you de Haruomi Hosono (la reprise de Burt Bacharach) ; Mind Games de John Lennon et Swing Slow de Miharu Koshi & Haruomi Hosono (notamment le morceau Western Bolero).

Pour conclure cet échange, un ultime poème peut-être 🙂 ?

Alors un inédit 🙂 :

Voyage de pleine lune

L’Asie marche à mes côtés,

Sans me toucher

Ni même m’effleurer ne fusse par mégarde

Le battement d’une main seule

Fait écho au silence du passé

Mais l’avenir est-il vraiment au-delà de l’horizon, là où le soleil se lève ?

Ou est-il plutôt caché dans une combe de lune

Là où je tends à cacher mes illusions

Tournant en rond pour remplir le ciel

Et vidant la nuit de ses étoiles protectrices.

Je retrouve mon point de départ, quelque part

La voici qui refait surface

L’Asie chemine à mes côtés

Et cette fois-ci, m’indique la lune

Avec une main seule.

Le sanctuaire de Kumano Nachi-taisha. Crédit Photo ©Robert Weis

Retour à Kyôto est édité par Transboréal.

S. Barret

Image d’en-tête: Kyoto, le chemin des philosophes. Crédit Photo ©Robert Weis