Les bains de forêt, « Shinrin-yoku » 森林浴 en japonais, sont un traitement naturel très populaire au Japon pour se débarrasser du stress quotidien. Le concept est simple : prescrire une balade pour se ressourcer et méditer en pleine nature. Ceci peut sembler couler de source pour beaucoup, mais la pratique est prise ici très au sérieux sur le plan médical et codifiée. L’approche est à ce point prise au sérieux que le gouvernement japonais a intégré le Shinrin-Yoku au programme national de santé publique au Japon dès les années 50. Et, n’en doutons pas, les Japonais en ont sérieusement besoin…

La thérapie par les arbres nous vient du Japon où elle s’est développée et structurée « officiellement » dans les années 80. Alors que le Japon vivait (et vit toujours) une crise économique profonde, la sylvothérapie fut soudainement médiatisée par l’Agence des forêts japonaise qui voulait inciter les Japonais à se rendre en forêt pour améliorer leur hygiène de vie.

Si cette pratique est également connue dans d’autres cultures, c’est au Japon qu’elle a pris le plus d’importance dans le cadre de la médecine préventive. Elle est encouragée par les autorités sanitaires et très pratiquée dans un cadre profesionnel ce qui n’est guère surprenant quand on connaît l’attachement que vouent les Japonais à la Nature (en dehors des problématiques liées à la chasse à la baleine ou encore à l’élevage animalier industriel). Des sentiments hérités de la religion shinto pour qui la nature est sacrée, des arbres ou mêmes des pierres pouvant héberger des divinités. D’autant que le pays regorgeant de splendides montagnes et forêts toutes plus apaisantes les unes que les autres, il est possible de se plonger en pleine nature pour un dépaysement total à moins d’une heure de Tokyo.

Yakushima Forest

Le principe du Shinrin-Yoku est on ne peut plus simple à mettre en œuvre, il s’agit d’aller se promener dans un lieu boisé et de laisser l’environnement imprégner ses sens en éveil (on éteint son téléphone, on évite de prendre un appareil photo, sources de distraction) pour se déconnecter d’un environnement urbain à la pollution sonore, atmosphérique et visuelle qui nous maintiennent en alerte, d’un quotidien oppressant rempli de stress et envahi par une technologie toujours plus envahissante.

Une pause salvatrice dans un océan de verdure pour se recentrer sur soi et se retrouver. Que ce soit par de simples ballades en forêt, des treks en montagne ou des pique-niques sous les fleurs de cerisiers, passer du temps en contact avec la nature aurait de nombreux bénéfices sur la santé. Ceci implique également la préservation collective et individuelle du patrimoine naturel de l’île, générant un véritable paradoxe sociétal entre l’urbanisation galopante, le nucléaire en zone sismique et un souhait populaire de protéger l’environnement.

Kinkaku-ji Temple (Golden temple) Kyoto, Japan

Pratiquer le Shinrin-yoku

En marchant en nature ou en s’asseyant à même la terre, l’individu est invité à prendre le temps de contempler ce qui l’entoure, à ralentir, à être attentif aux sons : le vent dans les branches, les craquements du bois, de vos pas, le chant des oiseaux, le murmure d’un ruisseau… En pleine forêt, il est recommandé d’inspirer à plein poumons l’air naturellement riche d’huiles essentielles, les odeurs de mousses, d’écorces, de feuilles mortes. Mais aussi de toucher les arbres et les pierres, d’écouter son propre corps, de se laisser guider par son instinct, de s’arrêter simplement quand l’envie nous en prend et laisser son esprit se perdre dans ses pensées. Un exercice qui peut être plus difficile qu’on l’imagine dans la société japonaise ultra réglementée et ordonnée.

Puis, dans les heures qui suivent sa promenade, le promeneur peut faire le bilan des sensations positives ressenties. Nul besoin d’habiter près d’une immense forêt, il est possible de se rendre dans un parc pourvu que les bruits de la ville n’y pénètrent pas. Le Shinrin-Yoku peut se pratiquer seul ou entre amis, mais le silence est généralement de mise. Il n’est ainsi pas apprécié de faire trop de bruit lors de vos balades dans la nature japonaise, notamment pour ne pas importuner les autres et les êtres qui y vivent. Et pour ceux qui craignent de ne pas se balader « efficacement », le métier de « guide en forêt-thérapie » a vu le jour devant la popularité croissante de cette méthode de bien-être adoptée jusqu’aux États-Unis.

Se prêter à cet exercice plusieurs fois par semaine dans la mesure du possible apporte des bienfaits tant sur le plan physique que psychologique. Ceci fut très sérieusement étudié par les japonais. De 2004 à 2012, près de 4 millions de dollars ont été dépensés pour analyser les effets des forêts sur l’être humain. Après avoir observé les effets sur un groupe de 250 personnes après 30 minutes en forêt, puis un autre groupe de 498 volontaires en zone neutre, le Professeur Qing Li, de la Nippon Medical School de Tokyo, a conclu qu’être en forêt permettrait de faire baisser le rythme cardiaque et la tension artérielle, réduire la production d’hormones de stress, améliorer le système immunitaire par l’inspiration des phytoncides (des molécules sécrétées par les arbres pour se défendre contre les bactéries) et générer des sentiments globaux de bien-être.

Globalement, la concentration, l’humeur et le sommeil s’améliorent, l’anxiété laisse la place à une sensation de détente, due en partie à l’action apaisante reconnue de la couleur verte. De quoi rendre un peu plus supportable le rythme effréné du mode de vie nippon. Si ceci ne sauvera personne d’une maladie grave réclamant des soins particuliers, le retour à la nature s’inscrit dans une démarche individuelle globale : un corps sain dans un esprit sain.

Bamboo Forest

Selon les sites qui en parlent, parfois dans un but commercial, le Shinrin-yoku est parfois présenté comme une solution miracle. Il faut rester très prudent. Il ne s’agit pas d’un remède aux maladies, mais bien d’une approche préventive et douce qui s’inscrit dans une démarche globale de recherche d’un mode de vie sain et équilibré. La pratique peut accompagner une guérison, pas remplacer un traitement médical. Car un autre facteur important est celui de l’éloignement de nos écrans, du téléphone portable et autres technologies du quotidien qui occupent notre attention.

Il est clair que les Japonais – et nous ne sommes pas mieux qu’eux – passent une grande partie de leur temps les yeux rivés sur leurs écrans. Une étude récente avait révélé que les lycéennes japonaises passaient en moyenne 7h par jour sur leur smartphone ! Un record mondial. 7 heures journalier, c’est une large part de notre temps de vie disponible. De manière générale, stress et surmenage restent des problématiques importantes au Japon, surtout dans la capitale : il est connu que les Japonais, en particulier les salarymen, se soumettent coûte que coûte au culte de l’entreprise et des à-cotés obligatoires. Beaucoup sont oppressés par leur hiérarchie et par une rigidité culturelle qui leur imposent une rigueur sans faille dans l’activité productive. Un sacrifice que la jeune génération n’est pas toujours prête à faire alors que le pays est endetté jusqu’au cou sans autre porte de sortie possible que le travail pour l’éternité.

Mirror mirror

Notons enfin que le bain de forêt n’est cependant pas à confondre avec la thérapie forestière également pratiquée au Japon. Quand la première porte en elle une notion préventive et douce, l’autre est vue comme une thérapie à part entière encadrée par des spécialistes agréés. Elle doit expressément se dérouler dans des endroits spécifiques intitulés 森林セラピー認定基地 (Base de thérapie forestière) ou 森林セラピー認定ロード (Route/chemin de thérapie forestière), sélectionnés par des chercheurs sur base d’études.

Leurs effets positifs sur la santé de ces théories spécifiques seraient démontrés, même si en occident on émet toujours des doutes sur ce type de médecine alternative dont les effets sont très subjectifs. Qu’on y croit ou pas, dès le retour du printemps, une promenade en forêt pour une reconnexion visuelle et sensitive avec le vivant ne pourra vous faire que le plus grand bien !

Photographie : Phil Hendley

S. Barret


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Sources : hinnovic.org / youtube.com / theglobeandmail.com / shinrin-yoku.org / therapeutesmagazine.com / qz.com