Poulpy vous a déniché une perle rare japonaise, et c’est rien de le dire ! Pas une simple anecdote, mais une vraie perle précieuse… Elle nous vient de Shima dans la préfecture de Mie, à deux heures de Kyoto. Ici, c’est une relation entre les huîtres, l’Homme et le temps qui se perpétue de générations en générations depuis plus d’un siècle. Comment naissent ces boules de nacre précieuses surnommées les « larmes des Dieux » ? Comment les japonais ont-ils réussi à les cultiver ? Qui se cache derrière cet héritage japonais ? Immersion.

À l’abri d’un renfoncement de la Baie d’Ago, à Shinju-no-Sato (真珠の里, litt. Village de la Perle) dans la municipalité de Shima, Poulpy croit d’abord découvrir à travers les forêts touffues un petit port typique. À y regarder de plus près, il s’agit en fait de perlicultures à perte de vue. Des bouées regroupées en vastes carrés flottent sagement devant leurs bâtisses de référence. Sous la surface ? Un trésor de nacre, dont le procédé de production nippon rayonne à travers le monde depuis la fin du XIXème siècle.

Vue de Shima depuis le toit du Shima Kanko Hotel the Classic. Photographie : Mr Japanization

La préfecture de Mie est en effet réputée pour ses élevages d’huîtres perlières en pleine mer. Mais pas seulement. Région sacralisée du Japon, ses contours renferment de nombreux lieux chers aux habitants comme une série de temples majestueux, des paysages labyrinthiques entremêlés de cours d’eau, de sentiers, de forêts et d’étendues maritimes où l’on peut encore parfois apercevoir les dernières sirènes du pays. Et pourtant, encore trop peu sont les curieux à s’y rendre, manquant de découvrir un vrai cœur du Japon.

Les femme étaient auparavant les principales pêcheuses de perles naturelles, s’enfouissant simplement dans les profondeurs pour y récupérer quelques richesses aquatiques à l’image des Ama. Concertées pour leur expertise à la fin des années 1880 par le japonais Mikimoto Kōkichi , ces professionnelles ont sans le savoir contribué à l’invention de la perliculture qui allait marquer la fin de leurs activités. Finalité ? Leur métier a été lentement remplacé par ces nouvelles méthodes de production en bassins, jusqu’à leur quasi-disparition actuelle.

Atelier flottant pour la production d’huîtres perlières. Photographie : Mr Japanization

La conquête du trésor nacré : comment pêchait-on les perles naturelles avant la perliculture ?

En plongeant dans les profondeurs de l’Archipel, peu de chance de tomber sur une perle parfaite ! Tout d’abord, ces raretés, très prisées, s’emmitouflent au cœur des coquillages, à l’abri des regards indiscrets… Ensuite, elles sont formées par les mollusques uniquement lorsque un corps étranger s’introduit dans la carapace : celui-ci l’enrobe alors patiemment de fines couches de nacre pour s’en protéger. Un processus long et surtout instable. Dans des conditions idéales, infiniment rares, le résultat est parfaitement sphérique : c’est une perle naturelle. Autant dire que ce n’est pas un phénomène qui se produit couramment en milieu sauvage…

En outre, qu’est-ce que la nacre exactement ? Douce et irisée, hypnotique, cette texture recouvre déjà l’intérieur de la coquille, juste assez lisse pour accueillir comme il se doit le fragile invertébré à la peau fine. Cette matière ? l’animal s’avère capable de la sécréter : des amas de cristaux d’aragonite consolidés par une protéine que l’on appelle conchyoline. Un véritable fil de soi aquatique qu’on ne sait pourtant pas encore classer : minéral biosynthétisé, matière organique ou bio-composite ? Le mystère reste entier, les scientifiques débattant encore de sa véritable nature, et c’est bien ce qui confère à cette formation semi-organique tout son charme et sa préciosité. 

Avant l’invention de la culture perlière, outre les navires industriels, l’incertaine pêche de ces billes immaculées était assurée par quelques téméraires, dont les amas, ces plongeuses hors-pair qui sillonnaient les fonds marins, tout juste équipées d’un habit, agrémenté au fil des ans, et d’un seau en bois. Il n’en reste aujourd’hui plus beaucoup, le patrimoine immatériel qu’elles incarnent étant ainsi menacé, avec elles, de disparaître. Si le manque de successeurs intéressés est une des raisons actuelles de ce déclin, la véritable cause remonte bien plus loin, à l’invention de la perliculture. Invention à laquelle les amas ont sans le savoir jadis participé, en confiant quelques secrets à son jeune inventeur…

Ouvrier japonais nettoyant les huîtres. Photographie : Mr Japanization

De la perle naturelle à la perle de culture : petite histoire en eaux agitées !

Remontons un peu dans le temps : en 1858, naît Kokichi Mikimoto, le premier fils d’une fratrie de neuf enfants. Il grandit à Toba, au sud du département de Mie et travaille rapidement auprès de ses modestes parents, dans un restaurant de nouilles. A l’adolescence, le jeune homme s’adonne finalement à la vente maraîchère auprès des pêcheurs. C’est là qu’il s’amourache de l’univers marin, et plus particulièrement des huîtres perlières, à cette époque de plus en plus difficiles à trouver en mer, à cause de la surpêche.

Persuadé qu’il est possible de la cultiver, le jeune commerçant s’intéresse alors vivement à la manière dont sont produites naturellement ces perles par les coquillages. Ni une, ni deux, il s’entoure de différents spécialistes, dont il récolte les savoirs. Parmi eux, le secrétaire général de l’Association Nationale des Industries de la Pêche Japonaise : Narayoshi Yanagi. Cet expert lui confie la manière dont sont cultivées les huîtres comestibles et le garçon décide alors de calquer le dispositif : des cages ou filets sur lesquels s’accrochent les coquillages. 

Mais cet agencement ne suffit pas à obtenir des perles : il faut réussir à reproduire le processus naturel en jeu dans la naissance d’une sphère impeccable. Pour cela, Mikimoto Kokichi a l’idée d’introduire chirurgicalement de minuscules morceaux de coquilles à l’intérieur de l’huître afin d’enclencher artificiellement l’enrobage. La greffe nécessite d’écarter les bords de la coquille d’environ 1,5cm maximum – car quelques millimètres de plus seraient fatales à la receveuse.

En pratique, les premiers essais d’implantations sont peu concluants : les perles sont difformes ou incomplètes. En cause ? Le choix du fragment qui fait office de nucléus (noyau). Et pour ne pas améliorer le sort de son projet, en 1892, une marée d’algues rouges détruit une majeure partie de sa culture. De quoi abandonner tout espoir. C’était sans compter sur la motivation de sa femme, Ume, qui l’incite vivement à renouveler l’expérience. Le regain d’énergie s’avère payant : à l’été 1893, les premières perles de culture sont nées. Le couple est enchanté. Mais cette bonne nouvelle est malheureusement suivie d’un drame : Ume succombe quelques années plus tard d’une maladie, laissant derrière elle son mari, leurs cinq enfants et leur ferme d’huîtres. 

Les huîtres à perles de Shinju no Sato
Évolution d’une huître perlière et types de perles. Photographie : Mr Japanization.

De la consécration à la menace climatique

Après cette terrible perte, l’à présent trentenaire nacroculteur ferme le restaurant de nouilles de ses parents et fait breveter sa découverte, ce qui lui permettra bien plus tard, en 1985, d’être inscrit parmi les dix plus grands inventeurs japonais. Un titre posthume que l’histoire souhaite parfois attribuer à d’autres inventeurs, dont les travaux ont eu lieu à la même période. Difficile de trancher, quoiqu’une chose est certaine : Mikimoto Kōkichi est celui qui a exporté la méthode dans le monde entier et fait rayonner le savoir-faire de sa région. Ses perles, raffinées et de petite taille, appelées aussi Akoya, sont considérées comme une référence, encore de nos jours. 

En effet, de fil en aiguille, son commerce prospère, avec des années de plus en plus rentables et des rencontres au-delà des frontières. Malgré tout, le pourcentage de récolte perlière ne dépassera jamais, encore aujourd’hui, les 5%. A cette échelle, c’est un métier laborieux qui demande une grande patience et résilience : sur 100 huîtres cultivées pendant près de 5 ans, seulement la moitié survivra à l’intromission du greffon, et parmi les survivantes, seulement 5 en moyenne donneront des perles rondes, à même de répondre aux exigences du marché joaillier haut-de-gamme. 

Après une seconde vague d’algues rouges conséquente en 1899, Mikimoto Kokichi remonte la pente et inaugure même la première boutique de perles de Tokyo dans le quartier de Ginza. Ses fermes perlières sont reconnues à travers le monde, mais rendent d’abord fier son pays natal : le fermier est reconnu plus prestigieux bijoutier du JaponBien sûr, la concurrence chinoise avait de quoi effrayer : eux aussi avaient créé un système de culture perlière. Toutefois, pour éviter d’affronter la notoriété nippone et afin d’occuper un marché plus rentable, la Chine a plutôt misé sur des perles plus grosses et de moins bonne qualité. Conséquence : une production de masse. Une décision qui aura peu épargné la prospérité du commerce nippon. Pourtant, l’industrie Mikimoto prospère toujours.

Si jusqu’ici l’Akoya a pu passer entre les mailles d’un filet d’obstacles variés – échecs de greffes, marées rouges, maladies, concurrence, et même, à ses débuts, quelques critiques sur l’artificialité de la conception des perles – une ombre vient aujourd’hui réellement menacer le tableau des cultures pionnières. La Baie d’Ago où est née la nacroculture, et où vivent de ses récoltes des dizaines de familles, doit garantir aux huîtres une eau aux températures précises, ni trop basses, ni trop hautes. Or, le réchauffement climatique menace la stabilité des courants et de la météo avec des pics trop importants auxquels seront sensibles les coquillages, très fragiles. En effet, la baie étant peu profonde, chaque changement climatique a des conséquences directes sur ses eaux. Un problème que commence déjà à connaître l’industrie de la perle polynésienne. Et bien que la perliculture soit à l’origine de la disparition de la pêche traditionnelle en plongée, elle reste une dimension importante du patrimoine nippon et une pratique évidemment moins délétère ou polluante que la pêche à grande échelle. Alors, que faire ?

La clé, choisir la bonne huître !
À Shima, des petites échoppes locales vendent les perles de la région. Photographie : Mr Japanization

Une visite pour soutenir cet héritage centenaire ?

Pour permettre à ce métier de perdurer, à défaut d’enrayer à vous seul le changement climatique, vous pouvez vous rendre à Shinju-no-Sato où votre hôte vous accueillera pour vous expliquer comment trouver et extraire une perle durant 30 instructives minutes. Avis aux amateurs : au Shinju-no-Sato, il est possible d’ouvrir autant d’huître au hasard que vous le désirez, pour autant que vous en payiez le prix… Si vous en trouvez une, elle est à vous ! Quelle-qu’en soit la valeur…  Si vous avez de la chance, celle-ci sera particulièrement belle, voire – avec beaucoup de chance – peut-être plus chère que l’ensemble de votre voyage. Pour cause, certaines perles, jaunes ou grises, peuvent valoir des milliers d’euros. Avec votre perle, vous pourrez confectionner sur place un magnifique accessoire, ou l’offrir à de jeunes mariées comme c’est de coutume au Japon.

Le petit chien de Shinju no Sato est fort chanceux. Regardez bien autour de son cou…

Et pour continuer à profiter décemment de ce lieu d’exception aux embruns iodés, rien de tel que de poursuivre en rendant visite à une des dernières sirènes plongeuses ! Ou peut-être un détour par l’atelier Katsuo Ibushigoya, situé dans la même préfecture, vous tenterait-ils davantage ? Cet autre repaire, artisanal, vous promet un aller simple pour la cuisine traditionnelle japonaise à travers le Katsuo-Bushi, ce fameux condiment de poisson fermenté également concocté sur le temps long… Dans la région, il est aussi possible de louer des vélos électriques pour découvrir sans effort la culture japonaise locale dans ce qu’elle a de plus authentique.

Poulpy en balade à vélo.

Mr Japanization

Contact utile :

Mail : s.tamachan@extra.ocn.ne.jp

Site : https://www.iseshima-kanko.jp/en/see-and-do/2147 

Sources :

https://japanization.org/nous-avons-rencontre-lune-des-dernieres-sirenes-du-japon/

https://www.lexpress.fr/actualites/1/actualite/akoya-la-petite-perle-sacree-du-japon_2071909.html