Sachiko Kashiwaba est une des autrices japonaises les plus prolifiques et reconnues de la littérature jeunesse avec plus de 70 œuvres publiées. Pourtant, en France, aucun de ses romans n’avait eu jusqu’ici l’honneur d’une publication dans la langue de Molière. Un outrage partiellement réparé avec la parution aux éditions « Ynnis » de « La Cité des brumes oubliées », traduit par Nesrine Mezouane, l’ouvrage qui a inspiré le grand Hayao Miyazaki dans l’imaginaire du Voyage de Chihiro.

Dans La Cité des brumes oubliées, la jeune Lina, qui vient d’entrer en sixième, est envoyée en vacances seule dans la Vallée des brumes par son père. Arrivée à la gare, personne n’est là pour venir la chercher contrairement à ce qui était prévu. Bien décidée à trouver ce lieu dont personne ne semble vraiment avoir entendu parler, elle prend un sentier montagneux et se perd dans la forêt plongée sous un épais brouillard. Quand ce dernier se dissipe, elle découvre un village où elle est accueillie par Grand-Mère Picotto, la tenancière d’une pension. Cette dernière lui annonce que si elle veut rester pour les vacances, il faudra qu’elle travaille. Lina se retrouve donc à devoir prêter main forte aux boutiques de l’Avenue extravagante qui porte, comme elle en a la preuve assez vite, très bien son nom. Déjà apparaissent dans notre esprit des images que nous ne sont pas méconnues…

L’attend de belles rencontres avec des personnes aussi étranges qu’inoubliables qui l’aideront à affirmer son caractère et deviendront ses amis.

Sorcellerie et amitié

Le roman de Sachiko Kashiwaba est sorti en 1975 et pourtant, fort de sa fantaisie, on ne sent pas le poids des années à sa lecture plus de 45 ans plus tard. Dans la grande tradition d’un Alice au pays des merveilles, le récit est rythmé par les rencontres de Lina avec des êtres hors-du-commun, tous descendants de magiciens. Lors de son séjour, Lina va travailler pour chacun d’entre eux et c’est avec délectation que le lecteur découvre quelle nouvelle loufoquerie elle trouvera dans chacune de leurs boutiques.

Que l’on soit adulte ou adolescent, il y a assez de matière féérique pour imprimer de belles images fantaisistes dans votre imagination en suivant les pérégrinations de la jeune fille qui finit elle-même par ne plus s’étonner de ce qu’elle vit. Les séquences folles s’enchaînent pourtant et l’aventure de Lina lui permet de murir. On est heureux de se perdre avec elle dans ce monde imaginaire et de la voir peu à peu ne plus se laisser marcher sur les pieds. La Cité des brumes oubliées est un roman enchanteur qui nous transporte dans un univers que l’on n’a pas vraiment envie de quitter et qui semble avoir encore beaucoup à nous offrir. L’émerveillement est permanent et, avec ses 140 pages faciles à lire, il n’est pas impossible que vous ayez envie de le relire régulièrement pour retrouver, le temps de quelques heures, son onirisme et son optimisme charmeur.

Lina/Chihiro, même combat ?

Comme il est écrit avec fierté sur l’autocollant de la couverture française de La Cité des brumes oubliées, le roman a en effet été une inspiration pour Le Voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki. Et c’est vrai que le côté « Roman initiatique sur une jeune fille perdue dans un village extraordinaire » se retrouve dans les deux œuvres. Le réalisateur japonais avait d’ailleurs proposé de faire une adaptation du livre en long-métrage d’animation mais son idée fut rejetée par les responsables du studio Ghibli. Il garda toutefois cette idée dans un coin de la tête et décida d’écrire sa propre histoire en partant d’un postulat de départ assez similaire pour mieux s’en écarter dans le fond et la forme quand l’histoire commence vraiment. On retrouve néanmoins des similitudes entre les personnages de Lina et Chihiro.

Les deux sont des petites filles parachutées dans des mondes dont elles ne connaissent rien. Elles vont pourtant s’adapter à leur nouvel environnement pour finalement se découvrir des capacités et des qualités qu’elles ne s’imaginaient pas posséder. L’Avenue extravagante est par contre beaucoup plus lumineuse que les bains de la sorcière Yubaba, peuplés de personnages un peu lugubres et angoissants, à commencer par le Sans-Visage et les nombreux yōkais qui déambulent dans cet univers.

En définitive, les deux œuvres sont deux variations bien distinctes sur un même thème et, mis à part l’autocollant sur la couverture, vous ne trouverez pas vraiment du Voyage de Chihiro dans votre lecture de La Cité des brumes oubliées.

Le roman est désormais disponible en France et nous ne pouvons que vous en conseiller la lecture si vous avez besoin de vous échapper quelques heures dans un monde extraordinaire. On espère que cette première incursion dans la bibliographie de Sachiko Kashiwaba rencontrera le succès et que d’autres suivront dans l’hexagone. En attendant, si vous voulez découvrir Chikashitsu kara no fushigi na tabi (Littéralement L’Étrange Voyage depuis la cave), une autre œuvre de la romancière mais adaptée cette fois-ci en film d’animation, jetez-vous sur le très réussi et enchanteur Wonderland : le Royaume sans pluie réalisé par Keiichi Hara.

Stéphane Hubert


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