Ryusuke Hamaguchi aime raconter des histoires. Des belles histoires, des humaines, des envoutantes… Avec « Contes du hasard et autres fantaisies », le réalisateur nippon nous en dévoile trois portes d’entrée dans un Japon où les rencontres se font là où on ne les attend jamais et parfois même quand on n’y croyait plus.

Ryusuke Hamaguchi s’est fait en quelques années une place de choix en haut de la liste des réalisateurs japonais qui comptent. S’il avait déjà marqué les esprits avec Senses  (2015) et Asako I & II (2018), c’est Drive my Car qui l’a vraiment fait exploser sur la scène internationale. Honoré du prix du scénario au Festival de Cannes et de l’Oscar du meilleur film étranger, le film a connu un succès plus que mérité dans le monde entier. Poulpy lui-même avait adoré ce grand film librement adapté d’un recueil de nouvelles de Haruki Murakami. Il faut croire que cette écriture morcelée a fortement inspiré le metteur en scène alors que nous découvrons aujourd’hui Contes du hasard et autres fantaisies, sorti dernièrement sur les écrans français.

Quand les rencontres défient les destins

Contes du hasard et autres fantaisies

Contes du hasard et autres fantaisies regroupe en effet trois histoires qui s’enchaînent sans avoir aucun lien les unes avec les autres.

Dans Magie ?, Tsugumi raconte à son amie Meiko sa rencontre avec un homme pour lequel elle a eu le coup de foudre. La description de ce dernier trouble pourtant intérieurement la jeune mannequin.

La Porte ouverte narre la tentative de séduction de Segawa, un professeur de français, par Nao, une mère de famille qui entretient une relation extraconjugale avec Sasaki, un jeune étudiant qui veut créer un scandale.

Encore une fois se déroule dans futur où un virus a rendu la communication électronique impossible. Natsuko se rend à une réunion d’anciens élèves et croise dans la rue une ancienne camarade qui l’invite chez elle.

Contes du hasard et autres fantaisies : la simplicité au service de la beauté

Ce trio de récits enchanteurs est un émerveillement de par l’ambiance légère qui s’en dégage. Ces trois histoires simples sur le papier ne le sont finalement pas au fur et à mesure que leurs intrigues se dévoilent. Comme son nom le laisse présager, le hasard a une grande place dans chaque histoire servie par une écriture délicatesse et millimétrée. Ici, tout n’est que dialogues et silence, espoir et désespoir et rien n’est superflu.

Aucune action effrénée n’y bouscule l’écran mais des discussions faussement banales et ingénues y chamboulent les cœurs. Des échanges mesurés, parfois naïfs, drôles et sensuel, toujours touchants, prenant comme décors des salons, des chambres, des bureaux, des taxis ou des cafés. Des scènes très concrètes du quotidien des japonais. Le cadre est simple et universellement familier, pourtant, tout ici est palpitant dans l’émotion qui en exhale. Le réalisateur s’amuse en plus avec malice du destin de ses personnages tout en en préservant les surprises pour les spectateurs.

Par sa mise en scène calme et brillante, Hamaguchi est au sommet de son art, maîtrisant à merveille cette réalisation émouvante qui a fait sa réputation. Comme dans Drive my Car, les personnages n’hésitent pas à déclamer de longs dialogues en regardant le spectateur droit dans les yeux, faisant finalement de lui un protagoniste à part entière de l’histoire, pris à partie malgré lui. Ces moments troublants nous immergent d’autant plus et nous invitent à nous projeter à notre tour dans nos propres questionnements. Que ferrions-nous à leur place ?

Femmes, je vous aime

Comme à son habitude, le réalisateur excelle en effet dans son portrait de femmes sensibles qui n’hésitent pas à prendre l’initiative. Ce sont elles qui vont demander des réponses, elles qui mènent les débats et qui n’ont plus peur de se lancer des défis, qu’elles y gagnent ou qu’elles y perdent au final. Elles assument d’exister, de prendre des risques et ne sont plus les faire-valoir des hommes japonais comme c’était la norme autrefois. Le metteur en scène japonais ne cache d’ailleurs pas son amour pour l’écriture de ce genre de personnage plus jamais inspiré d’un réel culturel en plein bouleversement.

J’ai un intérêt plus grand pour la femme que pour l’homme. (…) J’ai toujours été plus attiré par les parcours féminins. J’avais peut-être envie de me fixer un défi en abordant les portraits de femmes car cela me semblait plus complexe.

Pour encore mieux comprendre les questionnements des femmes japonaises modernes, Ryusuke Hamaguchi a beaucoup échangé avec ses comédiennes et ses propres amies avant le tournage. Cela lui aurait permis de se sentir plus légitime – en tant qu’homme – pour aborder les rôles féminins. Ce procédé lui a montré que pour leur donner une véritable identité, il devrait également plonger en lui-même et dans sa propre intimité. Son choix d’actrices ne souffre par ailleurs d’aucune fausse note. Mentions spéciales à Kotone Furukawa, véritable volcan d’émotion, et à Katsuki Mori dont la lecture du passage érotique d’un livre vous laissera pendu à ses lèvres.

Il y a quelques mois, le film a reçu l’Ours d’argent du Festival International du Film de Berlin, offrant à son réalisateur une nouvelle récompense largement méritée. Contes du hasard et autres fantaisies est un véritable ravissement, une bulle d’air dans un contexte mondiale qui a besoin d’espoir. Nous sommes frappés par la simplicité et la beauté des histoires et on en demanderait même plus avec grand plaisir. Hamaguchi a justement confié que ces trois histoires avaient été choisies parmi sept qu’il avait écrites. Croisons les doigts pour les voir adaptées très bientôt sur grand écran dans un deuxième volet de ces scénettes charmantes, justes et étonnantes que l’on savoure avec délectation.

Contes du hasard et autres fantaisies est à découvrir au cinéma en France depuis le 6 avril.

Stéphane Hubert